Quelques calculs de coin de table[1] montrent que l’objectif (inscrit dans loi de transition énergétique adoptée en 2015) de réduction à 50% de la part du nucléaire dans le mix électrique en 2025 est inatteignable. L’absence de crédibilité de cet objectif pourrait nuire à l’ensemble de la politique énergétique de notre pays alors que les enjeux en sont majeurs tant bien sûr pour la filière nucléaire (voir ce résumé des enjeux), que pour le développement des énergies renouvelables et pour la facture des ménages. Ce serait vraiment regrettable au lendemain de la signature de l’accord de Paris.
La loi de transition énergétique s’inscrit dans le cadre des objectifs français de réduction des émissions de GES (par rapport à 1990) d’une division par 4 à horizon 2050 et d’une baisse de 40 % à horizon 2030, ce qui met la politique énergétique de la France sur une trajectoire 2°C.
Elle vise par ailleurs (par rapport à 2012) une division par deux de la consommation d’énergie finale à horizon 2050 et une baisse aussi de 30 % des énergies fossiles à 2030. Elle se donne enfin comme objectif de faire baisser la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50% en 2025. Nous allons voir que ce dernier objectif est intrinsèquement impossible à tenir et incohérent avec les précédents.
En 2014, le nucléaire a produit 436 TWh, soit 77% d’une production électrique s’élevant à 562 TWh.
Cette production d’électricité sert une consommation électrique d’environ 440 TWh (soit environ 6700 kWh par habitant) ; le reste ce sont des pertes en ligne, l’autoconsommation (électricité consommée pour produire de l’électricité) et l’exportation (92 TWh en 2014, pour des importations de 27).
Dans la suite nous supposerons que ce différentiel reste stable en ordre de grandeur :
- l’exportation est limitée par les capacités des lignes haute tension transfrontalières et par les consommations de nos voisins européens qui stagnent
- les pertes et l’autoconsommation peuvent être considérées en première analyse comme globalement constante
Combien de tranches nucléaires faudrait-il arrêter ?
Pour faire passer le nucléaire à 50 % sans arrêter de tranche, il faudrait que la production passe à 872 TWh ce qui correspondrait à une consommation d’environ 750 TWh. Or la consommation électrique française stagne depuis 10 ans : corrigée des variations saisonnières elle est passée de 400 TWh en 2001 à 440 TWh en 2014 (données SOeS). Qu’est-ce qui pourrait la faire croître de 70 % (soit plus de 5% par an) dans les 10 prochaines années ? Rappelons que les scénarios les plus « optimistes » étudiés dans le cadre du Débat National sur la Transition Energétique la positionnent à cette date à 550 TWh, soit une croissance de 20% par rapport à aujourd’hui. Les autres la situent entre 400 et 500 TWh.
La croissance économique ?
Certes la croissance de la consommation électrique est proportionnelle à celle du PIB. Mais d’une part la croissance économique est très faible depuis 10 ans. Comment imaginer qu’elle reparte à un taux de 5% par an ? Sans effort d’efficacité énergétique et à usages constants la hausse de la consommation électrique suivrait celle de la démographie (soit 0 ,9% par an, 40 TWh d’ici 2025).
D’autre part, l’un des buts clairs de la transition énergétique est de découpler consommation d’énergie et PIB. Cela concerne évidemment aussi l’électricité…en tendance, et sans transfert d’usages vers l’électricité on devrait donc plutôt voir la consommation baisser de 2010 à 2025 d’environ 15% pour atteindre 375 TWh…Pour que le nucléaire représente alors 50% de la production (qui s’élèverait à 500 TWh) il faudrait que sa production soit de 250 TWh et il faudrait fermer 25 tranches[2].
Le transfert d’usages ?
On peut imaginer qu’afin de réduire la consommation de pétrole et les émissions de CO2 la France se lance (car ce n’est pas encore vraiment le cas…) dans une politique massive d’électrification d’usages aujourd’hui satisfaits grâce au pétrole : pompes à chaleur en remplacement de chaudières au fioul existantes et dans la construction neuve , développement de la voiture électrique, électrification de procédés industriels… Quelques calculs de coin de table montrent que même sous des hypothèses ambitieuses, ces transferts pourraient conduire à une hausse de la consommation électrique de l’ordre de 50 TWh d’ici 2025. Deux millions de voitures électriques ou hybrides pluggables[3] consommeraient de 2 à 4 TWh. 3 millions de logement chauffés par pompe à chaleur (soit par remplacement de chauffage au fioul dans l’ancien soit dans les logements neufs) consommeraient entre 20 et 40 TWh. On peut rajouter à cela des PAC dans le tertiaire et l’électrification industrielle.
A cet horizon, 50 TWh est donc déjà un beau défi ! On rajoutera dans ce scénario les 40 TWh liés à la croissance démographique. La consommation finale serait de 530 TWh ; la production totale serait de l’ordre de 650 TWh et le nucléaire en représenterait donc plus des deux-tiers. Pour qu’il n’en représente que 50%, il faudrait réduire la production nucléaire de 110 TWh et fermer une quinzaine de réacteurs nucléaires.
En conclusion de ce premier point, pour limiter la part du nucléaire à 50% en 2025, il faut fermer entre un et deux tranches nucléaires par an à partir de maintenant. C’est irréaliste du point de vue social (au vu du nombre d’emplois concernés) et économique (les centrales actuelles sont une source importante de revenus pour EDF). Il est déjà très difficile de fermer Fessenheim au plan social et financier. Par ailleurs, après fermeture, il faudra bien déconstruire les centrales. Comment imaginer un tel rythme de déconstruction, même s’il est décalé dans le temps ?
Pourrait-on remplacer la baisse du nucléaire par une hausse suffisante des énergies renouvelables électriques ?
En 2014, les renouvelables électriques ont produit 96 TWh (68 d’hydraulique, 17 d’éolien, 6 de photovoltaïque et 5 d’autres renouvelables (les thermiques, majoritairement des cogénérations), les moyens thermiques fossiles ayant produit 30 TWh (12 pour le charbon et 18 pour le gaz). Dans un scénario bas de production électrique à 2025 (500 TWh) il faudrait donc que les EnR produisent 220 TWh et près de 300 TWh dans un scénario haut (650 TWh), en supposant stable la production thermique (par un remplacement des centrales au charbon par des centrales à gaz).
L’hydraulique ne peut plus croître en France que marginalement. Toute la croissance en 10 ans portera donc essentiellement sur l’éolien et le solaire photovoltaïque qui devront donc générer en plus d’aujourd’hui entre 120 et 180 TWh. Sont installés aujourd’hui 9,1 GW d’éolien et 5,3 GW de solaire avec des facteurs de charge moyens respectifs de 21% et 12% (soit une moyenne pondérée de 18%). Il se développe aujourd’hui par an environ 1 GW d’éolien et 1 GW de solaire. A ce rythme en 10 ans, la capacité de production annuelle sera augmentée de seulement 30 TWh ; il faut donc multiplier l’effort par un facteur 4 à 7, pour disposer en 2025 des capacités suffisantes. Cela semble exclu au vu des rythmes de sortie des projets.
Pour fixer les idées de l’effort d’investissement en termes financiers, calculons-le dans un scénario médian (production électrique de 560 TWh, nucléaire à 280 TWh et EnR à 250TWh) il faudrait donc accroître la puissance installée de l’ordre de 100 GW[4]. Supposons que le coût d’investissement au kW installé soit dans la fourchette 1000 à 1500 euros[5] (Voir ici), , l’investissement à réaliser dans les 10 ans serait de 100 à 150 milliards d’ euros.
A cela s’ajouteraient probablement les moyens complémentaires à mettre en œuvre pour les raccordements au réseau et pour gérer l’adéquation offre-demande du fait de la variabilité de l’éolien et du solaire PV (qui représenteraient alors 30 % de la production électrique, ce qui est gérable techniquement). L’investissement supplémentaire vu d’aujourd’hui n’est pas facile à estimer sans modèle détaillé. Mais la conclusion ne sera pas modifiée : cet effort est hors de portée vu d’aujourd’hui et dans le cadre des dispositifs actuels de financement, de subventions des EnR et compte tendu en plus de la faible acceptabilité sociale de la hausse de la facture d’électricité qui en découlerait[6].
La situation financière d’EDF et la facture des ménages
EDF va bientôt devoir réaliser -dans des délais courts- des investissements considérables, du fait de l’ancienneté de son parc nucléaire dont la construction s’est concentrée dans les années 1970-80 : « grand carénage » d’une partie des centrales actuelles (dont le montant est de l’ordre du milliard d’euros par réacteur), arrêt puis déconstruction de certaines d’ entre elles (en fonction notamment des audits de l’Agence de Sûreté Nucléaire voir ici), et achèvement du chantier de Flamanville… Le consommateur et/ou le contribuable devront d’une manière ou d’une autre supporter l’amortissement de ces investissements plus ceux qui sont liés au développement des énergies renouvelables. Il est donc impératif de tracer un chemin qui soit réaliste.
Conclusion
La part du nucléaire ne baissera pas qu’on le veuille ou non à 50% en 2025. C’est irréaliste du fait de la baisse du parc nucléaire qui serait à organiser et de la montée en puissance des ENR que cela suppose. Il serait beaucoup plus rationnel de se donner des objectifs ambitieux mais mieux lissés dans le temps. Il n’est pas trop tard car les travaux visant à réaliser la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) [7] ne sont pas terminés. Elle peut encore s’armer d’objectifs ambitieux ET cohérents si l’on veut réussir la transition énergétique avec un minimum d’impacts négatifs sur nos concitoyens .
Alain Grandjean
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