Je vous recommande la lecture du dernier livre de Joseph Stiglitz1, malgré son épaisseur. Il est vraiment utile de revenir, jusqu’à en avoir la nausée, sur les abus de la finance américaine. C’est en reprenant les événements et les chiffres avec recul qu’on comprend l’avidité potentiellement sans limite de ces hommes et leur absence totale de sens moral.
Le sommet de l’odieux étant atteint en ce moment : les financiers et banquiers sauvés par les Etats, les déstabilisant en jouant sur les produits dérivés et leur imposant des mesures, drastiques pour les populations du monde entier. Le pire est à craindre. Comment imaginer que ces pratiques ne génèrent pas des envies de meurtres ?
La leçon de cette crise nous ramène à des choses simples : l’homme est toujours capable des pires abus, s’il en a le pouvoir. Il faut donc précisément organiser les institutions pour limiter ces abus. Sinon c’est, très simplement, la « loi de la jungle ». Cette crise nous fait comprendre que ce qui a été fait dans les 30 dernières années sous le doux nom de libéralisation financière, a consisté précisément à démanteler les limites appelées de vilains noms (réglementations, régulations, cloisonnements) aux pouvoirs excessifs des banquiers et financiers. Il est vain de leur reprocher. Il n’est pas inutile de se rappeler que cela a été fait délibérément par les dirigeants politiques du monde occidental, sous la pression d’une idéologie, dite néolibérale, et que cela peut se corriger.
S’il faut limiter les pouvoirs des banques et cloisonner leurs activités c’est pour deux raisons. Comme pour toute l’économie, il est important de limiter le pouvoir des entreprises trop importantes. Mais le cas des banques est vraiment spécifique du fait de leur pouvoir de création monétaire. Elles peuvent, si on ne leur en limite pas le pouvoir, générer des crédits nouveaux pour financer par ce moyen les opérations de tous genres qu’elles sont prêtes à inventer tous les matins, si elles sont rentables et qu’on ne les empêche pas de le faire.
L’heure est donc à la reréglementation, avec une difficulté de taille. Les banques sont en concurrence mondiale et toute contrainte asymétrique sur une région (comme l’Europe, au hasard) au sein d’un monde « homogène » défavorise les banques de cette région, sans limiter le risque systémique. Le problème est finalement exactement le même que pour le climat : est-il efficace de contraindre fortement les entreprises européennes, ce qui les affaiblit dans la concurrence internationale, sans éviter les fuites de carbone ?
Il n’ y a donc que deux solutions : soit on impose des contraintes homogènes dans le monde entier, ce qui est totalement irréaliste, on voit qu’on y arrive pas en Europe… soit on crée des « barrières » entre les régions homogènes. Je pense que seule cette voie est réaliste et que, pour le dire en un mot, nous allons devoir en finir avec la mondialisation financière, dont la justification repose au fond sur l’idée fausse que la cupidité et la rapacité a des limites.
3 réponses à “Le triomphe de la cupidité”
Il semble que la crise économique de 2008, provoquée par les pratiques à hauts risques des établissement bancaires et leurs conséquences désastreuses sur l’économie réelle, ne soit plus qu’un mauvais souvenir. En fait, elle aurait aussi bien pu ne jamais exister tant le monde entier s’évertue à l’oublier au plus vite. Après tout, l’économie mondiale, sauvée grâce à une belle hypothèque sur l’avenir, redémarre. Cette amnésie volontaire est un phénomène récurrent dans l’histoire. Après tout, le scénario de 2008 n’est qu’une réplique assez similaire, sur une autre échelle, à d’autres épisodes critiques connus. Les abus de la finance et leurs effets pervers ont déjà été révélés maintes fois par le passé, et le triomphe de la cupidité de date pas d’hier ! Mais passé l’état de choc et le sursaut réactionnaire qu’il provoque, l’essentiel des efforts fournis ne vise qu’à perpétuer voir renforcer un système structurellement générateur de tels crises, et dont chacun sait qu’il n’est pas viable à long terme. Les dirigeants de la classe politique campent sur une position intenable qui implique de concilier des enjeux antinomiques. Le paradoxe est insoluble, et il n’est après tout que l’expression de nos propres contradictions. Qu’est ce qui pourrait nous pousser à sortir de notre schizophrénie et de notre déni pour enfin EVOLUER et prendre des mesures à la hauteur des périls qui nous menacent, hormis une crise plus grave encore ?
Il y a de bonnes raisons de partager votre scepticisme voire pessimisme (je rappelle les bons auteurs JK Galbraith et sa « brève histoire de l’euphorie financière » et PKrugman avec son livre « pourquoi les crises financières reviennent toujours?). Je pense plutôt qu’une page de l’histoire du capitalisme se tourne en ce moment. Des périodes aussi cruciales (Jaspers dirait axiales?), on en a vécu 3 au XXème siècle : la crise de 1929 et ses réactions « antilibérales », la deuxième guerre mondiale et le plan de mobilisation américaine, la contre révolution libérale des années 70. Nous vivons une période encore plus troublante de conjonction de crises économique, financière, sociale écologique. Nous sommes de mon point de vue très loin d’une franche sortie de crise. Et je crois que c’est vraiment un moment où il est possible que de grands changements se mettent en oeuvre. Toute la question est de ne pas se tromper sur ce qu’il y a à faire et ce n’est pas tout-à-fait évident….
amicalement
Alain Grandjean
Merci Alain pour le conseil de lecture le livre est passionnant même s’il laisse un goût amer dans la bouche sur le sans gêne absolu des dirigeants de la finance internationale, américaine en particulier… il n’y a plus de limites !