Il est bien légitime qu’un « honnête homme » ne connaissant pas le dossier climatique, l’ouvre avec un à-priori sceptique. Après quelques heures de recherche, il comprendra que l’immense majorité des arguments propagés par les « professionnels du scepticisme » ne tiennent pas la route. Il reste quelques points un peu plus délicats comme celui de l’incertitude résiduelle des modèles qui n’ont pas tous la même « sensibilité climatique » en raison notamment de la difficulté à modéliser assez précisément le cycle de l’eau. J’y reviendrai.
Mais indépendamment de l’argumentation rationnelle, il est amusant de s’intéresser au contours idéologiques du climato-scepticisme quand il devient ancré. Je m’y lance en amateur, en espérant que des sociologues professionnels mettront plus de rigueur dans ce premier essai.
Quelques exemples valent mieux qu’un long discours :
- le président tchèque Vaclav Klaus qui a sorti un livre « Planète bleu au péril vert » se pose en défenseur de la liberté : « C’est la liberté qui est en danger. Le climat va bien ». Il est relayé en France par des blogs et think tanks « libéraux » que je vous laisse découvrir.
- les créationnistes américains sont en train de s’ opposer à l’enseignement de la théorie du réchauffement
- Luc Ferry caricature l’écologie et en fait un nouvel obscurantisme depuis son livre « Le nouvel ordre écologique »; il dénonce le catastrophisme de Nicolas Hulot
- Fred Singer cité comme référence par Vincent Courtillot et Claude allègre dirige le « Science and Environnement Policy Project » (SEPP), qui s’est également mobilisé dans les années 1990 pour nier la dangerosité de l’amiante, des pesticides, ou la réalité du trou de la couche d’ozone ; il est financé par l’industrie pétrolière.
- Jean-Marie Le Pen clôturant en public une journée de conférence organisée par le conseil scientifique du Front national, en janvier dernier part en croisade contre le changement climatique en se référant à Claude allègre.
- -de nombreux internautes crient au complot ou à la manifestation de l’empire, qui seraient derrière une pensée unique (sans bien sûr se rendre compte que le « consensus » porte sur un tout petit nombre d’affirmations bien pesées).
En y réfléchissant il me semble que le climato-scepticisme pousse plutôt bien dans les jardins idéologiques qui:
- refusent a priori toute explication qui ferait des hommes une source de problèmes (ceux qui osent dire cela nous culpabilisent !)
- croient dans le progrès technique (ceux qui n’y croient pas sont des obscurantistes et veulent nous faire revenir à la chandelle ou des catastrophistes qui ne comprennent pas qu’on s’en sortira grâce à des ruptures technologiques)
- refusent a priori toute légitimité à une intervention publique et ne croient qu’aux mécanismes de marché (ceux qui la veulent sont des dirigistes voire des totalitaires)
- attribuent toute forme de consensus à une manipulation (si vous adhérez à un consensus même construit scientifiquement c’est que vous avez perdu toute indépendance d’esprit).
Du coup on peut s’attendre à des alliances curieuses. Allègre a été socialiste et se reconnaît sans doute dans les items 1 et 2, moins dans le 3 (il propose d’ailleurs une taxe sur l’énergie…). Il se retrouve dans le même club que Vaclav Klaus et Jean-Marie Le Pen, très sensibles au 3. Nos internautes soupçonnant un complot (item 4) sont dans la barque des scientistes (item 2) qui ont un projet pour l’humanité, qui ne plairait sans doute pas à nos internautes…Un peu plus paradoxalement on pourrait trouver une famille 3 assez composite, avec des libertaires et des affairistes.
Quelles leçons tirer de ce premier tour d’horizon ultra-sommaire ?
Qu’il importe de travailler la communication non strictement rationnelle. Le changement climatique est d’abord affaire de science puis de politique publique. Mais il heurte de front des idéologies différentes pour lesquelles les réponses à apporter (au-delà des arguments rationnels) sont de nature très différentes. Comment parler en même temps à un scientiste et à un libertaire ?
Qu’il importe encore plus de participer à l’élaboration d’un nouvel imaginaire d’un nouveau modèle. Les grandes lignes idéologiques caricaturées dans les axes 1 à 4 ci-dessus, traduisent des grandes sources d’espoir et de représentations de l’avenir. Certes heureusement que les scientifiques du climat ne se sont pas mis sur ce terrain. Ils auraient perdu tout crédit. Mais si nous voulons qu’un discours un peu raide soit entendu, il nous faut prendre la mesure de la révolution culturelle qui est en jeu et proposer des lignes d’horizon nouvelles.
Laisser un commentaire