[Voir l’article en PDF] Que peut-on affirmer (et ne pas affirmer) sur les liens entre énergie et PIB ? La question est aiguë aujourd’hui car nous sommes face à de nombreux défis et de nombreuses interrogations.
– On sait qu’il est impossible de rester « sous les deux degrés » sans baisse de la consommation d’énergie dans les pays développés[1]. Cette baisse est-elle possible au bon rythme ?
– D’éventuelles contraintes sur l’approvisionnement énergétique sont-elles de nature à limiter le réchauffement climatique ?
– La baisse actuelle du taux de croissance mondiale et de ses perspectives suscitent de nombreux débats : vivons-nous une période de stagnation séculaire ? Si oui pourquoi ? Pourrait-elle être due à une tension sur les ressources énergétiques ?
– Le niveau d’endettement de l’ensemble des agents économiques publics et privés qui ne semble pas pouvoir être réduit sans croissance, est-il lié aux liens énergie-PIB ?
– Pourra-t-on, sans croissance, et dans cette situation de surendettement, investir suffisamment pour limiter notre dépendance énergétique et pour décarboner notre économie ?
Nous verrons que c’est une erreur de minimiser le rôle de l’énergie dans l’économie, mais qu’il est sans doute excessif d’en faire le premier déterminant, et notamment de considérer que nous allons fatalement devant des crises économiques qui seraient dues à une pénurie énergétique, tout du moins dans la perspective que nous retenons ici, de l’adoption d’une trajectoire 2°C.
Avant d’aller plus loin, situons par quelques chiffres les ordres de grandeur en matière de taux de croissance mondial du PIB par habitant. Cette croissance a été nulle jusqu’à la révolution industrielle. Sur le XXème siècle elle a été de l’ordre de 1,6% par an. Nous avons souvent en tête des chiffres plus élevés ; c’est d’une part parce que c’est en général la croissance du PIB total qui est commentée et d’autre part parce que pendant les « trente glorieuses » elle a été plus forte.
I. Historiquement, la croissance du PIB est intrinsèquement liée à la croissance de la consommation d’énergie
1. L’activité économique des hommes dépend de machines qui consomment de l’énergie.
Les êtres humains produisent beaucoup moins d’énergie que leurs machines qui sont présentes dans tous les secteurs de l’économie.
Une personne sur un vélo pendant 1 jour produit 50 W * 10h = 500 Wh, soit 0,5 kWh/jour, alors qu’un litre d’essence peut fournir 10 kWh d’énergie. Sur un an en travaillant 300 jours et en rendant utile cette énergie, cette personne produirait donc 150 kWh. Or la moyenne mondiale annuelle de la consommation d’énergie primaire[2] était en 2014 de 22 000 kWh soit 1,89 Tep par personne (l’équivalent de 150 personnes en ordre de grandeur[3]).
On croit souvent que le développement de l’informatique et des NTIC mèneraient à une dématérialisation de l’économie. De nombreux travaux permettent de montrer que cette affirmation est fausse : la fabrication des composants servant de support aux NTIC (matériel pour les utilisateurs finaux, câbles, serveurs etc.) ainsi que leurs usages pendant leur durée de vie (en particulier celui des datas center) sont fortement consommateurs d’énergie.
2. La croissance économique que nous connaissons depuis deux siècles a été à l’évidence rendue possible par l’invention des machines et l’exploitation des énergies fossiles.
La corrélation de la croissance du PIB et de la croissance de la consommation d’énergie[4] est très frappante, comme le montre le graphique ci-après (sur 30 ans, mais le parallélisme des courbes s’observe sur 150 ans) ;
Plus fondamentalement, ce qu’on appelle « activité économique » c’est la transformation de matières en biens et services utiles à l’homme, qui consomme nécessairement de l’énergie. Il ne s’agit donc pas d’une simple corrélation ; les liens entre énergie et PIB sont consubstantiels.
Rappelons par ailleurs que les énergies fossiles représentent toujours 80% de l’énergie primaire consommée : nous en sommes donc encore très dépendants.
3. Les gains de productivité du travail liés à l’industrialisation (puis à l’automatisation, à l’informatisation et récemment à la robotisation) se font par remplacement (total ou partiel) de tâches humaines par des machines, qui consomment de l’énergie.
Notre modèle de croissance est fondé sur les gains de productivité du travail: d’année en année une heure de travail permet de produire plus. Sur longue période, ces gains sont spectaculaires comme l’ont montré à l’époque les travaux de Jean Fourastié. Rappelons un seul exemple : au temps de Louis XIV, une glace (comme celles du château de Versailles) de 4 m2 coûtait 4 à 5 fois plus qu’une tapisserie de même dimension[6]. Faire une glace de 4 m2 prenait 35 000 à 40 000 heures de travail contre à 6 à 7 aujourd’hui. La réalisation de 4 m2 de tapisserie de haute lisse continue à prendre entre 8 000 et 16 000 heures.
Ces gains de productivité sont dus principalement aux machines. Le mécanisme en œuvre au plan microéconomique est clair : les machines remplacent les hommes. C’est le but recherché par les entreprises qui le font car les machines leur coûtent moins cher (et ne se mettent pas en grève…) ! C’est en partie lié au prix bas de l’énergie mais surtout à la puissance bien supérieure des machines.
Au plan macroéconomique, le travail ne disparaît pas nécessairement ; l’effet net global dépend principalement de trois autres facteurs : la croissance en volume, la baisse du temps de travail et…l’évolution des prix. Pour ce dernier point, une petite explication est nécessaire. S’il se faisait à prix final constant et à rémunération du temps de travail constante, le remplacement des hommes par les machines dans la production réduirait la part des salaires dans le PIB. Il en résulterait une contraction du pouvoir d’achat et une baisse du PIB qui conduirait à une baisse de l’activité et, toutes choses égales par ailleurs, à une augmentation du chômage. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Citons à nouveau Jean Fourastié :
« Le prix de l’eau à Paris a été divisé par 150 entre 1850 et 1950 ; le prix de la bicyclette courante a été divisé par 20 entre 1895 et 1974 ; le prix de l’ampoule électrique a été divisé par 15 entre 1910 et 1974 ; le prix d’une voiture courante a été divisé par plus de 10 entre 1914 et 1980, celui de la petite calculatrice de poche, dont le prix a été divisé par 50 entre 1971 et 1982. »
Insistons cependant ici sur le fait que ce processus de remplacement de l’homme par la machine a une limite énergétique. Si les robots ne présentent pas de feuille de paie à leur employeur, et n’ont pas d’états d’âme, leur fabrication puis leur fonctionnement supposent une consommation d’énergie, qui sera multipliée par leur nombre, sauf à supposer d’énormes progrès en efficacité énergétique, point que nous évoquerons ci-après.
4. On peut inférer des points précédents qu’une pénurie sur l’approvisionnement d’énergie conduirait immanquablement à une récession majeure (au sens de baisse du PIB) et à une perte considérable de confort et de niveau de vie.
La crise de 1973 marque un tournant historique dans notre histoire économique. Les taux de croissance des « trente glorieuses » ne se retrouvent plus depuis dans les pays développés, alors qu’à l’époque on continuait à parier sur leur prolongation tendancielle et sur une consommation proportionnelle d’énergie. Rappelons ici qu’un taux de croissance annuel de 4% d’une quantité conduit au doublement de celle-ci en 15 ans et à une multiplication par 50 en un siècle…La poursuite de cette croissance aurait nécessairement buté sur une limite énergétique et plus généralement sur celle de nos ressources naturelles, comme l ‘avait bien diagnostiqué les auteurs du rapport au Club de Rome, « Limits to growth » en 1972..
Le modèle actuel n’est donc pas durable sur le long terme, puisque fondé sur une consommation d’énergie fossile épuisable à terme qui conditionne la croissance. La question est jusqu’à quand, sachant qu’un modèle fondé sur d’autres sources d’énergie (bas-carbone) est en naissance mais qu’à ce jour elles pèsent encore très peu (20% du mix énergétique mondial cf ci-dessus).
A plus court terme, on peut se trouver dans une configuration où les investissements faits en année T dans le secteur énergétique ne permettent pas de produire sur une année T + X plus qu’une certaine quantité d’énergie ce qui dimensionne l’activité économique maximale. Les investissements dans le secteur énergétique au niveau mondial sont considérables, de l’ordre du trillion de dollars annuels. Ils sont faits sur la base d’une anticipation de la croissance des besoins, qui pourraient être sous-évalués. On peut également se trouver dans une situation où il n’est pas possible de produire à pleine capacité suite à des problèmes techniques, environnementaux ou géopolitiques.
Il n’est cependant pas très facile d’avoir une mesure précise du degré d’utilisation de ces moyens de production. Le prix des énergies qui est en théorie une mesure de la tension entre l’offre et la demande, n’est plus un indicateur pertinent de cette tension, du fait de la financiarisation des marchés, comme l’a montré Nicolas Bouleau.
5 La production d’énergie fossile passera forcément par un maximum avant de décroître
Il est facile de démontrer mathématiquement qu’une courbe qui représente la production qu’une quantité finie (en l’occurrence d’énergie) passe nécessairement par un maximum (pour décroître après). Pour les énergies, la question est de savoir quand. En matière de pétrole conventionnel, selon l’AIE ce maximum s’est produit aux environs de 2010.
Sans profond changement de modèle (réel découplage PIB/énergie et remplacement des énergies fossiles par des énergies non fossiles), les tensions économiques apparaitront dès que la production d’énergie commencera à décroitre (donc au moment du plafonnement de la production) et non à l’approche de leur épuisement. Ce qui compte en effet au plan économique, ce n’est pas le stock disponible en théorie mais le flux annuel d’énergie disponible. Or ce flux se met à décroître par définition quand le plafond de production est atteint et dépassé.
Le débat est vif sur la survenance de ce plafond pour les énergies fossiles autres que le pétrole conventionnel. Nous y reviendrons plus en détail dans une prochaine note portant sur le pétrole. Concernant le total des énergies fossiles (incluant donc charbon, pétrole et gaz), l’ASPO voit ce pic arriver avant 2050[7], contrairement aux experts de l’AIE. Dans une trajectoire 2° ce n’est pas la contrainte première, comme nous allons le voir.
II. Cette dépendance entre PIB et énergie est-elle une fatalité pour l’avenir ?
1. L’accès à l’énergie sur son propre territoire ou par achat à l’extérieur conditionne donc la croissance mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante.
La « malédiction du pétrole » et plus généralement des ressources naturelles[8] (« resource curse » en anglais), bien documentée, est là pour le prouver. Des pays avec de fortes ressources pétrolières peuvent ne pas se développer, soit par incapacité technique (c’est le cas de tous les pays du monde avant la révolution industrielle) soit du fait de la captation de la rente pétrolière par une oligarchie. La Norvège a adopté un modèle différent (fonds souverain, alimenté par la rente pétrolière utilisée pour s’en rendre indépendant). Cette malédiction n’est donc pas une fatalité. Mais elle montre bien que l’accès à l’énergie n’est pas en soi source de croissance.
Pour que l’activité économique se développe, il faut de l’énergie mais cela ne suffit pas, il faut des connaissances accumulées et mobilisables, du personnel compétent et motivé, des machines en état de marche, des organisations, des compétences humaines, des systèmes institutionnels…
2. La consommation d’énergie par habitant pour le monde entier croit lentement mais la situation est très contrastée selon les niveaux de développement. Plus le PIB d’un pays est élevé plus la consommation d’énergie par personne l’est.
Rappelons qu’en moyenne mondiale la consommation d’énergie primaire par personne était en 2014 de 22 MWh soit 1,89 Tep par personne, pour un PIB par habitant en moyenne mondiale de 10000 $2005 . Cette consommation est très inégale.
Les pays très pauvres (comme le Soudan du Sud, l’Erythrée, le Bangladesh, le Niger) ont un PIB annuel par habitant inférieur à 1000 dollars par habitant et une consommation d’énergie primaire par habitant inférieure à 0,2 Tep.
Pour y voir plus clair, nous avons regroupé les pays en 4 grandes catégories selon leur niveau de PIB par habitant en 2014 (en $ de 2005) : Moins de 10 000 $2005 / habitant; de 10 à 20 000 ; de 20 à 40 000 et plus de 40 000. Nous avons par ailleurs isolé la Chine, les Etats-Unis et l’ex-URSS[9].
En 2014, on voit donc qu’en gros la consommation par personne est de l’ordre de 1kWh par dollar de PIB par habitant. Par exemple, la consommation énergétique par habitant des pays dont le PIB par habitant est compris entre 0 et 10 000$, était en moyenne de 8 680 kWh en 2014.
3. Pour le monde entier, le ratio PIB/hbt croît avec la consommation d’énergie par habitant.
Le graphique suivant relatif au monde de 1971 à 2014 place pour chaque année le taux de croissance du PIB en ordonnée et le taux de croissance de l’énergie en abscisse.
Mais, si l’on représente les pays du monde entier sur un graphique avec en abscisse leur consommation d’énergie par habitant et en ordonnée leur PIB par habitant, on voit que le lien devient assez lâche, passé un certain niveau. Cela résulte de la très forte disparité de l’efficacité énergétique des diverses économies à fort PIB.
4. L’efficacité énergétique du PIB[10] croît (donc l’intensité énergétique décroît).
On observe depuis 2000 un début de découplage entre la croissance du PIB et celle de la consommation d’énergie par habitant dans les pays les plus riches.
- en Suisse le PIB / Hbt est passé (en $2005/tête) de 67000 à 75000 et l’énergie (en MWH /Hbt) de 40 à 35.
- en Suède depuis 2000 le PIB / Hbt est passé (en $2005/tête) de 44000 à 54000 et l’énergie (en MWH /Hbt) de 62 à 57.
- pour les pays de plus de 40000 $/HBt, le PIB / Hbt est passé (en $2000/tête) de 47000 à 52000 et l’énergie (en MWH /Hbt) de 56 à 47.
Mais il n’est pas possible sur ces seules données de savoir à quoi est dû ce découplage ; plusieurs facteurs peuvent jouer dont la désindustrialisation par transfert de l’industrie hors de chez eux. Il faudrait donc connaître « leur empreinte énergie » et sa variation ce dont nous ne disposons pas. On peut penser cependant que l’énergie liée aux importations industrielles ne représente pas plus de 20 à 30% de l’énergie consommée. Cela ne change pas les ordres de grandeur pour les raisonnements ultérieurs.
Au niveau mondial, où les effets de délocalisation sont neutralisés (aucune production n’étant encore faite sur Mars) les conclusions sont claires sur la période 1971-2014 (avec une amélioration du ratio énergie/PIB de 32% sur la période mais moins nette sur la période 2000-2014).
Le ratio Energie/PIB est passé de 3,21 kWh/$2005 en 1971 à 2,19 en 2014.Cette décroissance est cependant lente et semble s’être ralentie dans les dernières années.
5. L’intensité énergétique de tous les pays du monde se rapproche et se situe dans une fourchette comprise entre 0,5 et 5 kwh/$2005
En particulier, la Chine est passée d’une intensité de 23 kwh/$2005 en 1971 à 4,3 en 2014. Les pays très efficaces énergétiquement (la Suisse, le Danemark, l’Irlande, Hong-kong) consomment moins de 0,6 kWh par $2005 de PIB. L‘OCDE dans son ensemble se situe à 1kWh.
6. Quelles projections imaginer ?
Si nous tentons d’imaginer un scénario à 2050, compatible avec une trajectoire 2° et relativement équitable, nous devons nous fixer des ordres de grandeur pour la consommation d’énergie par tête. Nous allons raisonner sur une cible de 20 MWH soit 1,7 tep : c’est l’objectif de la France pour 2050 (et c’est un peu moins que la moyenne mondiale actuelle). Dans les scénarios construits pour y arriver, c’est un objectif qui correspond à un niveau de vie « acceptable » [11] et ne repose pas sur des ruptures technologiques majeures. Ils supposent cependant de forts investissements notamment dans la rénovation énergétique de l’habitat. Ils supposent pour être compatible avec les 2° une forte décarbonation du contenu en carbone du mix énergétique. Viser une trajectoire 2° c’est viser, pour 2050, des émissions de CO2 liées aux énergies situées entre 12 et 15 GTC02 (pour des émissions totales de GES de 20 GTCO2eq). Le mix énergétique devrait alors contenir entre 0,7 et 0,9 TCO2/Tep (contre 2,4 actuellement), soit une division par trois du contenu en carbone de ce mix.
A 10 milliards d’habitants en ordre de grandeur en 2050, cela conduirait à une consommation d’énergie primaire de 200 000 TWH ou 17 GTEP (contre 13,7 en 2014) soit une augmentation de 25% par rapport à la moyenne actuelle.
Notons que c’est l’ordre de grandeur qu’envisage l’AIE dans son scénario 2DS ETP 2016 (scénario 2°C, qui fait passer la consommation totale de 156 000 TWh à 183 000 TWh (17% de croissance) pour une population atteignant 9,468 milliards d’habitants, soit une consommation par habitant de 19,3 MWh).
Notons également que ce n’est pas le cas des autres scénarios 4DS (pour 4 °C) et 6DS (6°C) pour lesquels la maîtrise de la consommation énergétique est moindre. Dans le scénario 6DS par exemple la consommation d’énergie primaire est supposée croître de 65% par rapport à 2013.
Cette moyenne ne peut être atteinte bien sûr que si les pays développés acceptent une forte baisse de leur consommation d’énergie par habitant compensant la croissance de celle des autres. Cette hypothèse est très forte et suppose notamment pour les grands pays énergivores (USA, Australie, Canada) une forte mutation culturelle, économique et technologique.
Il est très difficile de se faire une opinion sur l’état des réserves et des ressources énergétiques fossiles, comme évoqué ci-dessus. Si l’on ne tient pas compte des contraintes climatiques (qui limitent la combustion des dites énergies[12]), il est cependant probable qu’on ne connaîtra pas de manque absolu d’ici 2050 du fait de l’importance des réserves en charbon, et de la croissance des énergies bas-carbone. Il est tout aussi probable qu’on ne connaîtrait pas de tensions sur les flux annuels ; on ne voit pas ce qui pourrait empêcher l’appareil de production de produire 25% de plus qu’aujourd’hui. Rappelons que si nous concluons ici à l’absence de contrainte énergétique en valeur absolue (et pour le monde entier), c’est bien parce nous raisonnons dans l’hypothèse où l’humanité s’engage dans une trajectoire 2° !
Symétriquement le cas des pays efficaces comme la Suisse montrent que l’objectif ciblé est atteignable sans envisager un retour à la bougie…
La seule vraie question est donc bien de savoir s’il est possible de réduire la consommation d’énergie aussi vite pour les pays développés.
- L’intensité énergétique peut-elle décroitre à la bonne vitesse ?
Le développement économique a besoin d’énergie comme on l’a montré mais ce besoin varie en fonction de l’efficacité énergétique du PIB. Mathématiquement cela se traduit par l’équation[13] suivante valable pour des petites variations des chiffres (et approximatives pour les plus grandes) :
(VarPIB)/PIB = (VarEN)/EN+ (Var(PIB/EN))/ (PIB/EN)
Au niveau mondial sur la période 1971-2014 les termes de cette équation en moyenne annuelle sont les suivants : le PIB croît de 3% par an[14], l’énergie de 2% par an et l’efficacité énergétique de 1% par an.
Les chiffres de la Chine sur la période 1971-2014 sont assez différents. Son PIB par tête a été multiplié sur la période par 26, l’énergie par tête a été multipliée par 4,8, et l’intensité énergétique a été améliorée d’un facteur 5,3. En croissance annuelle, le PIB a cru de 9%, la consommation énergétique de 5% et l’efficacité énergétique de 4%.
Dans la phase actuelle (depuis les 15 dernières années), les pays développés font croître leur PIB, en faisant croître leur efficacité énergétique. Par exemple, pour la Suisse sur 2000-2014 on trouve que la variation du PIB est exactement égale à la variation du contenu en PIB de l’énergie (28%), soit 1,6% par an, la consommation totale d’énergie ayant été constante sur la période (l’intensité énergétique du PIB a donc baissé, en l’occurrence de 22%).
Pour les pays à plus de 40 000 dollars de PIB/ HBT, sur la même période, en croissance annuelle, le PIB a cru de 1,4% par an, la consommation énergétique a décru très légèrement (0,3% par an) et l’efficacité énergétique a cru de 1,6%.
Dans cette période la croissance, est donc due principalement à la décroissance de l’intensité énergétique et marginalement à la baisse de la consommation d’énergie.
D’ici 2050 la population mondiale pourrait atteindre les 10 milliards, c’est l’hypothèse que nous faisons ici. Cela correspond à une croissance annuelle de l’ordre de 0,9% à partir de 2014.
Si l’on vise d’ici 35 ans une hausse de la consommation d’énergie de 25 % (soit une hausse annuelle de 0,65%) et un doublement du PIB (soit une hausse annuelle du PIB mondial de 2 % par an, donc une hausse du PIB/hbt de 1,1%), il faut une amélioration de l’efficacité énergétique du PIB mondial de 1,35% par an, ce qui semble techniquement accessible. Il s’agit de faire passer le ratio Energie/PIB (qui était rappelons-le de 3,21 kWh/$2005 en 1971) de 2,19 en 2014 à 1,4 en 2050 (alors que celui du groupe des pays à plus de 40000 /$2005 de PIB par habitant est à 1 en moyenne. Le rythme est également réaliste.
Si l’on vise la poursuite du taux séculaire de PIB / hbt soit une croissance annuelle de 1,6%[15], il faut une croissance de l’efficacité énergétique du PIB mondial annuel de 1,85% ce qui est ambitieux. Cela nous conduirait à un ratio énergie/PIB de 1 kWh/$2005PIB. C’est faisable si on considère la cible (puisque les pays riches sont plus efficaces que cela) mais le rythme est élevé. Dans la période 1971-2014, le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique n’a été en effet que de 0,9% par an. Réussir ce défi passera donc clairement par une gouvernance innovante, avec des mesures de politique publique efficaces (normes strictes et contrôlées, fiscalité incitative, et financement adapté), dont nous avons déjà parlé plusieurs fois ici.
En résumé, ces objectifs sont techniquement atteignables, tout comme le découplage qu’ils traduisent. Ils seront plus difficiles à atteindre bien sûr dans un scénario à 3% de croissance annuelle. Ils supposent cependant une grande volonté politique et une forte mobilisation économique.
Conclusion provisoire
Cette rapide analyse montre l’importance de l’énergie dans la croissance du PIB mais qu’à ce stade il est impossible d’en déduire que les contraintes énergétiques sont telles qu’elles pourraient en soi nous empêcher d’atteindre les objectifs climatiques, ou nous emmener dans une récession irréversible, dans ce cadre d’action. La clef de l’avenir repose dans notre capacité à développer rapidement des économies d’énergie et des énergies bas-carbone. Cette conclusion ne signifie bien sûr pas que nous atteindrons ces objectifs. Les facteurs humains, géopolitiques, économiques du fait notamment des énormes disparités entre pays vont exercer des pressions considérables. Il nous reste également à analyser plus en détail le cas spécifique du pétrole, dont les tensions sur l’approvisionnement mondial seront les premières à se produire.
Marion Cohen et Alain Grandjean
11 réponses à “Les liens entre PIB et énergie dans une trajectoire +2°C”
En lien avec la video de Steve Keen: http://www.resilience.org/stories/2017-04-17/role-energy-production/
La question du lien entre PIB et énergie est intéressante dans le cadre de cette campagne présidentielle. Hamon et Mélenchon proposent de suivre le scénario négaWatt, qui requiert une baisse de 3,8% par an pendant 20 ans de la consommation en énergie primaire.
Si on applique l’équation de Kaya de votre §7, et en prenant l’hypothèse d’une amélioration de l’intensité de 1,5% par an, alors ça conduirait à une baisse du PIB de 3,8-1,5 = 2.3% par an, pendant 20 ans. C’est très certainement incompatible avec le reste de leurs promesses !
On voit bien là la difficulté pour que « les pays développés acceptent une forte baisse de leur consommation d’énergie par habitant » …. sans découplage fort, cet baisse est récessive, et impactera l’activité économique très significativement. Quid de l’acceptabilité sociale en démocratie ?
Un autre aspect du problème est celui de l’énergie cannibale. Pour améliorer l’efficacité énergétique, ou pour développer de nouvelles sources d’énergie, il faut de l’énergie (pour construire les matériaux et les équipements, les installer et maintenir, etc). L’énergie investie sera récupérée grâce aux économies ou aux nouvelles productions au bout de x années. Or il y a un résultat mathématique simple, due à Pierce, qui montre que si le taux de développement de ces technologies est supérieur à 1/x%, alors il n’y a pas d’énergie nette produite et il faut prendre de l’énergie par ailleurs. Par exemple si un programme d’énergie renouvelable récupère son investissement énergétique en 5 ans (ce qui est assez réaliste si on prend en compte les équipements pour gérer l’intermittence), alors il n’y a pas d’énergie nette si le taux de pénétration est supérieur à 1/5 = 20% par an. C’est potentiellement une contrainte, car cette énergie prise par ailleurs ne peut pas venir d’extraction supplémentaire d’énergie fossile (pour ne pas émettre de CO2) .
ll y a pas mal de travaux autour de ce genre de raisonnements. Lire par exemple http://alerts.springer.com/re?l=D0In66dmiI6j0u5smIj pour un modèle plus sophistiqué, dans un contexte assez proche de déplétion des ressources.
Bonjour,
Je suis plus optimiste que vous
Avec la mise en place du scénario Negawatt 2050
Et surtout
L’explosion de la recherche sur l’efficacité énergétique
Habitations passives puis à énergie positive
Chute spectaculaire de la consommation des véhicules
On peut imaginer une decorelation entre croissance et consommation d’énergie
Par contre,
Quid de la croissance
Quand nous sommes sur une surproduction dans tous les domaines au niveau mondial et que les politiques persévèrent à promouvoir une stratégie de l’offre
Cordialement
Marc
[…] de l’énergie se visualise sur les courbes corrélant PIB et énergie (voir l’article dédié à ce sujet sur ce blog), même si le contenu énergétique du PIB varie dans le temps et selon les pays, et même si le […]
[…] humaine. Comme le montre le montre Alain Grandjean dans un article absolument indispensable (lien), ce découplage est en réalité déjà engagé. Grandjean montre que l’efficacité […]
[…] les estimations en seraient réduites d’autant. Mais étant donné le lien étroit entre énergie et PIB, cela impliquerait une décroissance non […]
[…] liaison direct ENergie disponible et PIB […]
Bonjour M. Grandjean,
Quand vous évoquez l’évolution de la consommation d’énergie primaire par habitant, avec 4 groupes de pays différent selon leur niveau de richesse, pouvez-vous préciser quels pays sont dans quels groupes :
– Moins de 10 000 $2005 / habitant;
– de 10 à 20 000 ;
– de 20 à 40 000
– plus de 40 000.
Ceci afin de bien cadrer quels pays sont responsables au cours du dernier demi-siècle de la hausse de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, et défaire l’argumentaire raciste-malthusien.
Merci beaucoup !
Frederic
[…] https://alaingrandjean.fr/2017/04/17/liens-energie-pib/ […]
[…] comparée du PIB, de la consommation d’énergie et de pétrole[5] – Source : M Blogs 19 avril 2014 par Mathieu Auzanneau Gaël Giraud, du CNRS : « Le vrai […]
[…] Source : le blog de l’économiste Alain GRANDJEAN Chroniques de l’Anthropocène 17 avril 2017 […]