Pour la commission lancée par Emmanuel Macron, le CETA n’est pas climato compatible !

La commission CETA présidée par Katheline Schubert a rendu son rapport le 8 septembre (1). Ce rapport est court et agréable à lire, sans jargon. En synthèse, il m’a semblé plutôt relativement « carré » sur le fait que le CETA n’offre en l’état pas les garanties suffisantes en matière de santé et d’environnement (et notamment de climat). Mais il m’a semblé très timoré dans ses recommandations. J’ai essayé de voir si la commission avait répondu aux quelques questions que je lui avais posées. Je reprends donc le plan de la note que j’avais adressé à Katheline Schubert (dont le contenu est posté ici) en rappelant simplement la question posée, et j’extrais des éléments de réponse éventuels contenus dans le rapport (cités en italique) que je commente rapidement. En conclusion, je pense qu’il est vraiment souhaitable que cet accord ne soit pas ratifié en l’état par le Parlement français.

1. L’impact macroéconomique du CETA

Question : la commission peut-elle reconnaître qu’il n’est pas possible de connaître l’impact économique du CETA ? Qu’il peut donc parfaitement être négatif ?

La Commission n’a pas répondu à cette question qui n’est pas dans sa mission mais que je considère comme centrale. Le rapport sur les relations entre le CETA et le climat réalisé par le Commissariat Général au Développement Durable pour le compte de Ségolène Royal en janvier 2017, concluait à un effet économique quantifié très faible tout en rappelant que selon la Commission européenne « l’Europe bénéficierait en contrepartie de la réduction d’obstacles non tarifaires au commerce des services, le développement d’un cadre propice à l’investissement, prévisible et protecteur, étant considéré par ailleurs comme un bénéfice important. »
Il est tout aussi important de rappeler que contrairement à une idée reçue à force d’être répétée dans les journaux économiques dominants, ni l’histoire ni la théorie économique ne démontrent la supériorité du libre-échange et de la libre circulation des capitaux ; ce débat est évidemment long et technique (2) mais il est clair que la critique du libre-échange est encore un tabou.

2. L’impact du CETA sur les inégalités : la question des gagnants et des perdants.

Questions : Ces points ont-ils été analysés par la commission ? Quelles sont ses conclusions, et leurs justifications ?

La Commission n’a pas répondu à ces questions qui ne sont pas dans sa mission. Je renvoie à mon post précédent un développement sur les liens entre environnement et inégalités.

3. CETA et finance soutenable

Questions : la commission a –t-elle pris connaissance de ces travaux (3) ? Peut-elle nous dire si le CETA facilite ou non l’émergence de cette finance soutenable ? Et si oui par quels moyens ?

La question est abordée indirectement à la section 4 du rapport.
« Même lorsqu’il y a effectivement libéralisation accrue d’un secteur, l’effet sur l’environnement reste très incertain. Si certains secteurs comme le tourisme ou les transports sont susceptibles d’avoir un impact réel sur l’environnement en l’absence de régulation appropriée, de telles implications restent plus difficiles à mesurer pour des secteurs comme les technologies de l’information, les services aux entreprises ou le secteur financier.(…) Déterminer dans quelle mesure ce droit à réguler pourrait se voir affecté par d’autres aspects de l’accord, notamment dans le cadre du système de coopération règlementaire, reste toutefois une question ouverte (voir analyse infra sur le forum de coopération réglementaire). » (pp 60 et 61).

La commission n’a donc pas pris conscience du tout des enjeux de la finance durable. C’est vraiment une occasion manquée.

4. CETA et climat

La question climatique fait l’objet de la toute la section 3 du rapport.
Question : la commission peut-elle nous s’assurer que le CETA contribue à l’atteinte des objectifs de Paris ? 

La réponse est clairement non :

« Le CETA, signé avant la COP21 et l’Accord de Paris, n’y comporte pas de référence explicite dans le texte lui-même. »

Cette clarté est présente dans la synthèse du rapport dont voici un extrait :
« Le grand absent de l’accord est le climat. Ceci s’explique par les circonstances politiques propres au Canada au moment de la négociation de l’accord, et le calendrier par rapport à l’Accord de Paris. Le manque est patent dans trois dimensions: (1) la dimension purement commerciale (rien n’est prévu pour limiter le commerce des énergies fossiles et la hausse des émissions de CO2 du transport international maritime et aérien induite par l’augmentation des flux de commerce), (2) la dimension investissement (rien n’est prévu pour inciter à la mise au point et l’adoption de technologies moins émettrices de carbone, pas de clause d’exclusion pour les mesures relatives à la lutte contre le changement climatique dans l’ICS), (3) la dimension de la politique économique (rien sur la convergence des instruments de lutte contre le changement climatique). »

Source : alternatiba.org
Source : alternatiba.org

4.1. L’effet du CETA sur le changement climatique

Question : la commission a-t-elle évalué l’impact carbone du CETA ?

Après avoir reconnu qu‘elle :  « n’a pas eu les moyens, dans le temps imparti, d’évaluer précisément l’impact de l’accord sur les émissions de GES. Elle s’est donc forgé son point de vue à partir des évaluations existantes », la commission indique qu’ « Au total, l’impact devrait être légèrement défavorable » (page 55).

Elle met surtout en avant les émissions liées au transport de marchandises (qui ne sont en outre pas soumises à contraintes du fait de l’accord de Paris). Concernant les effets économiques directs, elle affirme:

« D’autres facteurs ont des effets, mais très délicats à mesurer. L’activité économique générée par le commerce est elle-même source d’émissions de GES. Mais l’élévation du niveau de vie entraîne souvent une plus forte sensibilisation des agents aux questions environnementales, ce qui contribue à faire diminuer les émissions par habitant. La libéralisation des échanges permet enfin un accès plus facile à des biens ou des technologies plus « propres », ce qui facilite sa mise en oeuvre. » (page 55)

J’aurais aimé que ces deux affirmations soient plus documentées. Toutes choses égales par ailleurs nous constatons l’inverse, la croissance économique fait croître les émissions de GES (même si elle peut conduire à une baisse de l’intensité carbone du PIB, ce qui est une autre question). Cela étant la hausse des revenus généré par le CETA reste à prouver (cf point 1 ci-dessus)… Quant à l’accès aux technologies propres, il est autant facilité que l’accès aux technologies « sales »…

4.2. L’effet sur la lutte contre le changement climatique

Question : en quoi le CETA peut-il faciliter la lutte contre le changement climatique ? (Indépendamment de ses effets directs tels qu’analysés ci-dessus).

La commission affirme ceci (page 59) :
« Le CETA se veut un accord commercial se réclamant d’un nouveau type, liant des parties partageant les mêmes valeurs, visant non seulement à réduire les barrières tarifaires mais aussi les barrières non tarifaires au commerce, en respectant les enjeux de développement durable. S’agissant du climat, ces objectifs sont loin d’être atteints. Si on veut éviter de fermer les frontières au nom du climat, il est indispensable de mener des politiques beaucoup plus actives et coordonnées du carbone ».

Elle répond donc de fait non à la question posée. Elle fait d’ailleurs des propositions d’amélioration de la « régulation du carbone » qui sont envisagées en dehors du cadre de l’accord. En particulier elle écrit :
« L’objectif de rendre le CETA neutre en CO2 suppose de mieux coordonner les marchés du carbone. L’objectif pourrait être un prix du carbone commun, à la fois aux frontières et à l’intérieur de la zone, en prévoyant notamment l’interconnexion des marchés du carbone européen et de certaines provinces du Canada. » (page 58).

Quand on connaît l’inefficacité actuelle du marché ETS on peut que déplorer la faiblesse de la proposition.

5. Le CETA, la nature, les ODD et la résilience des socio-écosystèmes

Question : la commission peut-elle nous dire si le CETA a un effet positif ou non sur ces dimensions ? Plus basiquement, le CETA va-t-il faciliter l’atteinte des ODD ? Le CETA facilite-t-il la conclusion d’un pacte mondial pour l’environnement (tel que promu par Laurent Fabius et Yann Aguila au niveau de l’oNU). ?

Je n’ai pas trouvé mention de ces enjeux dans le rapport qui, en matière d’environnement, s’est concentré sur l’agriculture, l’énergie et le climat. On peut donc en déduire que la réponse à ces questions est de fait négatives.

Alain Grandjean

Notes

1. Voir la réaction de la Fondation pour la Nature et l’Homme, créée par Nicolas Hulot.
2. Voir l’article de référence de Gaël Giraud, l’épouvantail du protectionnisme et celui de Pierre-Noël Giraud qui milite pour un protectionnisme coopératif. Rappelons que le premier prix Nobel d’économie français Maurice Allais a milité contre le « libre-échangisme ». Voir son livre La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance : L’évidence empirique, Clément Juglar, 1999.
3. Il s’agit des nombreux travaux et initiative en cours en matière de finance soutenable : travaux de la Task force on climate-related financial disclosure lancé par le Financial Stability board, du High Level Expert Group on Sustainable Finance lancé par la Commission européenne ; initiative Finance for tomorrow lancé par les acteurs de la place de Paris.