Contrairement à ce qui est couramment admis, le mandat actuel et le cadre légal de la Banque centrale européenne lui offrent des possibilités d’actions importantes sur le terrain du changement climatique. Le temps est venu de passer à l’étape suivante : celle de la mise en place de politiques concrètes. La transition vers une économie bas-carbone requiert une redirection massive des flux financiers vers des projets durables. Dans son premier rapport, le Network for Greening the Financial System (NGFS), reconnaissait le rôle décisif des Banques centrales dans cette tâche, tant celles-ci influencent la destination et le volume du crédit, le coût du capital sur les marchés financiers et tant elles sont les dépositaires de la stabilité financière.
Néanmoins, nombreux sont ceux qui affirment que l’actuel mandat de la BCE l’empêcherait d’avancer dans cette direction. Dans cet article, nous démontrons que le mandat de la BCE n’est en aucun cas un frein à l’action environnementale. Au contraire, les responsables de la BCE ont à leur disposition toutes les marges de manœuvre légales pour développer des politiques monétaires vertes, et ce dès maintenant. Il reste maintenant à changer d’état d’esprit et surtout d’attitude quant à l’interprétation du cadre européen et du mandat de la BCE.
Cet article est une traduction d’un article de Nicolas Hercelin, paru sur le site de Positive Money Europe.
La protection de l’environnement est un objectif formel de la BCE.
L’objectif primaire de la BCE est et reste celui de la stabilité des prix. Toutefois, les Traités européens prévoient des objectifs supplémentaires. L’article 127 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) indique que « sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur l’Union européenne » (TUE). Pour sa part, l’article 3 du TUE inclut explicitement l’objectif de « développement durable de l’Europe fondé » – entre autres facteurs – sur « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ». Ainsi, les éléments de légalité suffisants pour que la BCE développe des politiques monétaires vertes sont déjà inclus dans l’article 127 du TFUE.
Ce n’est pas tout. Comme l’a montré Javier Solana, l’article 11 du TFUE « impose une obligation à l’Eurosystème de « tenir compte » […] des objectifs horizontaux de protection de l’environnement lors de la conception et de la mise en place de mesures relatives aux politiques monétaires ». Si l’article 11 ne consacre pas la protection de l’environnement comme objectif absolu, il force néanmoins les décideurs à tenir « dûment compte des intérêts écologiques » dans le processus d’élaboration et de mise en place des politiques publiques. De ce point de vue, la conception et le déroulement du programme de rachat d’obligation d’entreprise de la BCE pourraient être considérés comme une violation du principe susmentionné tant il a contribué à financer les secteurs les plus carboné de l’économie.
De fait, une analyse minutieuse du cadre légal européen montre que la BCE n’est pas seulement habilitée à lutter contre le changement climatique, mais qu’elle est également sujette à l’obligation procédurale de prendre en considération l’impact de ses politiques sur la protection de l’environnement. Cet argument semble être compris par la BCE. Benoît Coeuré a, ainsi, récemment déclaré « qu’il existe déjà un périmètre dans lequel les banques centrales peuvent jouer un rôle de soutien à la réduction des risques associés au changement climatique, tout en restant dans le cadre de leurs mandats ».
Ceci étant dit, le principal défi pour la BCE résiderait dans l’arbitrage entre les différents objectifs de l’Union – parfois décrits comme conflictuels. En guise d’exemple, l’article 3 du TUE inclus également des objectifs de croissance et de plein emploi. Dans cet esprit, « pourquoi la BCE ne devrait-elle pas promouvoir des industries promettant la plus forte croissance de l’emploi, sans égards à leurs empreintes écologiques ? » se demande Benoît Coeuré dans son discours. La priorisation des nombreux objectifs de l’UE est en effet une question épineuse, mais elle n’est pas insurmontable comme nous le verrons plus bas.
L’Accord de Paris fait du combat contre le changement climatique une priorité pour l’UE.
La ratification de l’Accord de Paris sur le changement climatique par l’Union européenne donne un début de réponse au dilemme de Benoît Coeuré. En tant que traité international signé par l’UE, l’Accord de Paris engage toutes les institutions européennes dont la BCE. De plus, en faisant directement allusion à la régulation financière, l’Accord concerne explicitement la BCE. A l’alinéa « c » de l’Article 2 les parties doivent ainsi s’attacher à « [rendre] les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ».
En ratifiant l’Accord de Paris, l’Union Européenne a, ainsi, de facto donné son accord pour faire de la lutte contre le changement climatique sa priorité. En effet, l’Accord de Paris reconnaît « que les changements climatiques représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète ». De fait, il s’avère relativement délicat d’anticiper un taux de croissance stable et une situation de plein emploi dans une économie sujette aux conséquences de températures élevées et à des catastrophes naturelles régulières. Suivant cette logique assez évidente, plutôt qu’un « objectif conflictuel » la lutte contre le changement climatique doit être interprétée comme une précondition nécessaire à la poursuite des objectifs économiques de l’UE.
Une fois encore la Banque centrale européenne semble être d’accord avec ce raisonnement. La pression du parlement européen a poussé Mario Draghi en février 2018 à déclarer publiquement que « la BCE est partie prenante de l’Accord » et à reconnaître « l’importance de politiques visant à répondre aux problématiques du changement climatique ».
Enfin, le Parlement européen a déjà soutenu à plusieurs reprises des actions dans ce sens. En mai 2018, il a adopté un rapport appelant « la BCE a explicitement prendre en compte l’Accord de Paris et les objectifs ESG dans ses lignes directrices qui orientent les programmes d’achat d’actifs ». Une préconisation que le Parlement a réitérée en janvier 2019 dans une contribution à sa résolution annuelle sur la BCE. Ceci démontre que la BCE détient la confiance de (l’actuel) Parlement européen pour avancer dans les politiques monétaires liées à l’environnement.
Du débat à la mise en place de politiques.
Des Traités européens jusqu’à l’Accord de Paris, la Banque Centrale Européenne dispose déjà d’un cadre légal significatif pour intégrer la lutte contre le changement climatique à son mandat, ses objectifs et ses politiques. Cadre auquel s’ajoutent les incitations et la confiance du Parlement européen. Évidemment, plusieurs clarifications du mandat de la BCE pourraient être nécessaires sur le long terme, mais à ce stade aucune barrière légale n’empêche la Banque centrale européenne d’aligner ses politiques sur la lutte contre le changement climatique.
La question qui se pose est donc la suivante : si la BCE peut préserver la stabilité des prix tout en combattant le changement climatique, pourquoi ne devrait-elle pas le faire ? Les opposants au « verdissement » des politiques des banques centrales mentionnent souvent que cela détournerait d’une certaine manière l’attention des banques centrales de la lutte contre l’inflation, mais ils ne donnent que très rarement des exemples concrets de comment cela se traduirait. Le seul moyen d’en avoir le cœur net est d’engager ce débat vers un processus concret de réalisation de politiques, afin de contrôler la nécessité et la proportionnalité de ces mesures.
Dans un premier temps la BCE devrait intégrer les risques financiers liés au changement climatique dans son propre cadre de gestion des risques et s’assurer que les agences de notations lui emboîtent le pas. Les dernières déclarations de la BCE sur ce sujet sont encourageantes. En tant qu’approche purement prudentielle, cette mesure tomberait indubitablement dans son mandat de préservation des prix et de la stabilité financière puisque qu’il est aujourd’hui largement reconnu qu’ils sont impactés par les aléas climatiques « aigus » et « chroniques ».
Toutefois, Positive Money Europe affirme que la BCE peut et doit aller beaucoup plus loin que l’approche des risques climatiques en intégrant les objectifs climatiques à ses activités relevant de la politique monétaire. Dans notre récent rapport, nous invitons, ainsi, la BCE à intégrer des obligations de reporting dans le cadre de ses programmes de rachat d’actifs (particulièrement pour le rachat d’obligations d’entreprises). Ceci en vue i/ d’appliquer à terme des critères de soutenabilité dans les règles d’éligibilité aux collatéraux de ses différentes opérations et ii/ de ré-allouer ses achats vers les secteurs moins carbonés de l’économie.
Enfin, la BCE pourrait approfondir son soutien aux investissements dit de « transitions » en soutenant par exemple les investissements verts des banques publiques de développement en Europe. A ce titre, la BCE est aujourd’hui en mesure d’acheter jusqu’à 50% des obligations émises par la Banque européenne d’investissement (BEI) via le quantitative easing, et serait certainement prête à en acheter davantage s’il y avait une volonté politique d’accroître le volume de prêt de la BEI, ou d’autres institutions bancaires équivalentes.
Conclusion
En tant que gardienne de la soutenabilité économique de long terme, la BCE n’a pas d’autre choix que d’agir rapidement sur la question climatique. Comme nous l’avons démontré, la légalité des politiques monétaires vertes est difficilement questionnable, mais est ce que légalité signifie légitimité ? A cet égard, de nouvelles consultations et dialogues entre la BCE et le Parlement européen pourraient fournir un canal de responsabilisation utile pour approfondir la validation ou entériner la légitimité de la BCE à agir, notamment en priorisant (si nécessaire) ses objectifs écologiques. En tout état de cause, des initiatives de la BCE sur les sujets environnementaux rencontreraient les demandes croissantes qui émergent des sociétés civiles européennes depuis plusieurs années.
Nicolas Hercelin, assistant de recherche pour Positive Money Europe (cet article est une traduction de l’article original paru en anglais)
2 réponses à “La BCE dispose déjà d’un mandat légal pour développer des politiques monétaires écologiques”
[…] Chroniques de l’Anthropocène https://alaingrandjean.fr/2019/05/14/mandat-bce-politique-monetaire-ecologique/ via […]
il y a aussi dans le TFUE la libre circulation des capitaux et des marchandises donc c’est paradoxal avec les économies d énergie…..et si c’est pour faire une « energy wende »à l allemande où on remplace le nucléaire par du charbon et du gaz:non merci!