S’il était décidé de faire un grand programme d’investissements, financé par la Banque Centrale, comme je l’ai proposé ici, il faudrait disposer de critères pertinents pour les choisir. Les critères actuels ne le sont pas dans une optique de développement durable ou soutenable.
Les investissements publics (Etat ou collectivités territoriales) sont aujourd’hui décidés selon un double mécanisme : le dernier mot est au politique ce qui peut conduire à des « éléphants blancs 1», investissements mûs par le désir de prestige, le clientélisme ou la simple envie de « couper un ruban ». Du coup, les administrations ont tenté de mettre au point des méthodes de rationalisation des choix budgétaires visant à limiter ces risques. La méthode qui s’impose aujourd’hui est l’analyse coûts-avantages ou coûts-bénéfices (en anglais cost-benefice analysis) que nous appellerons dans la suite ACB.
L’ACB s’inspire très fortement du calcul financier d’entreprise. Il s’agit dans les deux cas de calculer la Valeur Actuelle Nette (VAN) de l’investissement avec un taux d’actualisation qui, pour le calcul public, est fixé par le Conseil d’Analyse Stratégique (ex commissariat au plan). Aujourd’hui ce taux est de 4%. Actualisé à ce taux, un investissement à VAN positive est considéré comme rentable.
Je ne vais pas discuter maintenant de la question du taux d’actualisation, ni plus globalement de la pertinence et des limites de l’ACB, que Nicolas Bouleau a discuté dans ce blog, mais de la manière dont sont comptabilisés les coûts et les avantages.
Qu’est-ce qu’un coût ou un avantage socio-économique ?
Une ACB s’inspire d’ un calcul privé mais est supposée se placer du point de vue de la collectivité. En effet l’Etat qui va réaliser un investissement le fait dans l’intérêt général : il doit donc viser à ce qu’il génère le plus d’avantages collectifs (ou socio-économiques) possibles au moindre coût collectif (ou socio-économique).
Prenons comme exemple la réalisation d’une autoroute. Les avantages à prendre en considération sont le gain de temps, la réduction de l’insécurité routière (blessés et morts évités), la réduction de la congestion éventuelle, celle des pollutions et nuisances (NOx CO2 bruit) s’il y a lieu. Les coûts à prendre en considération sont le coût budgétaire de l’investissement, , le coût du péage, les coûts d’exploitation et de maintenance l’augmentation des pollutions et nuisances s’il y a lieu (Nox CO2 bruit). Un guide méthodologique permet de donner une valeur monétaire à des coûts ou des avantages qui n’en ont pas « spontanément » : le temps, la vie humaine, une blessure, le bruit, les émissions de polluants…
Ainsi entre deux autoroutes qui ont le même coût budgétaire, c’est celle qui a les meilleures « performances » en gains de temps, en sécurité, en réduction de la congestion et en émissions de polluants qui aura la meilleure VAN.
Cette analyse semble conforme au bon sens mais elle comporte plusieurs pièges. Commençons par le premier.
Il est plus facile de trouver du temps qu’une autre planète
L’évaluation socio-économique d’une autoroute comme on l’a vu suppose de donner une valeur au temps gagné par les usagers. Sans entrer dans les méthodes de calcul de cette valeur du temps il est intéressant de pointer du doigt une curiosité du calcul ainsi fait. L’autoroute fait gagner du temps ; elle donne du travail (ce n’est donc pas un coût2) mais coûte des ressources non renouvelables comme du pétrole. La combustion de ce pétrole émet du CO2 qui participe à la dérive climatique. Si la valeur du temps utilisée est élevée et les coûts du pétrole et du CO2 ne sont pas trop élevés, il va être socioéconomiquement rentable de réaliser l’autoroute, et ce d’autant que le gain de temps est maintenant et l’impact climatique plus tard. Le jeu de l’actualisation favorise le gain de temps et défavorise les impacts négatifs qui arrivent plus tard…
Ce calcul va donc inciter à trouver rationnel d’accélérer la destruction des ressources non renouvelables et la dérive climatique alors qu’il est plus facile, comme le dit la Fondation Nicolas Hulot, de trouver du temps qu’une autre planète.
Où est l’erreur ?
A suivre…
Alain Grandjean
1 C’est le cas du Grand-Paris, même si le nom de son initiateur, Christian Blanc, n’est pas à l’origine de l’appellation pittoresque d’éléphant blanc !
2 On y reviendra dans la suite
3 réponses à “De nouveaux critères pour orienter les investissements publics”
Merci pour cet article. Ce sujet, si peu abordé, me semble primordial.
Peut on se procurer le guide méthodologique dont vous parlez, je suis curieux de connaître, entre autre, la valeur du temps et son mode de calcul… ?
Cordialement
Bonjour Alain
Dans le cadre de ta réflexion sur ce sujet, je voudrais te signaler un excellent bouquin de Claude Rochet « Politiques publiques, de la stratégie aux résultats » chez de Boeck.
Bonne fin d’année
Bonjour,
Vu l’économie actuelle,
Dans l’ économie occidentale, le temps sert plus à détruire de la richesse globale à l’augmenter. Donc la perte de temps d’une économie développée fait globalement gagner du patrimoine global (nature + confort humain)?