Conformément à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, Edouard Philippe, a confié le 6 juillet à une commission d’experts indépendants la mission d’évaluer l’impact attendu d’une entrée en vigueur de l’accord commercial entre l’UE et le Canada (CETA) sur l’environnement et la santé. Cette commission présidée par Katheline Schubert (1) doit rendre son rapport le 7 septembre. Entre temps (le 31 juillet) le conseil constitutionnel a jugé que le CETA était compatible avec la Constitution. L’accord est supposé entrer en vigueur de manière provisoire le 21 septembre.
Katheline Schubert m’a proposé de lui faire parvenir une note sur les points que j’aurais abordés dans une audition qu’elle m’a proposée mais que je n’ai pu faire, faute de temps. J’espère que la commission répondra à ces quelques questions.
1 Quel impact macroéconomique du CETA ?
Sauf erreur, le mandat de la commission est limité aux aspects environnementaux et sanitaires. Il est, cependant, utile de savoir dans quelles perspectives globales ces questions se posent. Si l’effet du CETA était très massivement positif, on pourrait se dire que certaines des conséquences environnementales négatives pourraient être réduites par de nouveaux moyens.
Au plan théorique l’idée qu’un accord de libre-échange est globalement positif pour les pays n’est pas du tout assurée. Je signale cet article de synthèse de Gaël Giraud : l’épouvantail du protectionnisme (2).
Concernant le cas du CETA, des études (3) ont montré un impact très légèrement positif sur la croissance. Je cite l’article en note : « Au total, quatre recherches (4), directement ou indirectement financées par la Commission européenne ou le gouvernement canadien, prédisent une croissance supplémentaire du PIB variant de 0,03 % à 0,76 % pour le Canada et de 0,003 % à 0,08 % pour l’Union européenne. »
Cependant on peut douter de la possibilité des modèles d’évaluer ce type d’impacts, et encore plus avec une telle précision clairement illusoire.
Je signale cette note rédigée par Gael Giraud et moi-même relative aux capacités et limites des modèles macroéconomiques, certes dans un autre domaine (la question du climat) mais dont de nombreuses observations et conclusions s’appliquent dans le cas d’espèce.
Question : la commission peut-elle reconnaître qu’il n’est pas possible de connaître l’impact économique du CETA ? Qu’il peut donc parfaitement être négatif ?
2. Quel impact du CETA sur les inégalités : la question des gagnants et des perdants.
On sait que les questions environnementales et sociales sont interdépendantes. Il est utile que la commission nous éclaire sur la question des inégalités possiblement induites par le CETA.
L’une des faiblesses des modèles macroéconomiques c’est qu’ils ne modélisent souvent qu’un agent représentatif (parfois deux) ; dès lors ils capturent très mal les effets redistributifs. Le raisonnement classique sur le commerce international a la même faiblesse : on peut argumenter que son ouverture peut dans certains cas permettre la création d’un surplus (dans le cas du CETA ce n’est néanmoins pas montré, cf point précédent) mais, sans action spécifique de redistribution, l’effet global peut être celui d’une augmentation des inégalités.
En particulier, il me semble qu’il serait utile d’éclairer l’opinion publique et les décideurs sur deux enjeux : les PME / les grandes entreprises ; les « nomades » / les « sédentaires ».
- On sent bien l’intérêt des grandes entreprises structurées pour la conquête de marché ; elles revendiquent un « level playing field » qui réduit leurs charges et accroit leur terrain de jeu.
Pour les PME françaises (et canadiennes…), on voit mal en quoi cet « alignement » a pour elles un intérêt (5) ; les barrières à l’export dans les pays lointains sont liées à leurs moyens limités et au risque d’échec d’une telle aventure (l’auteur de ses lignes a une longue expérience de la PME et est actuellement patron d’une petite PME) ; en revanche on voit bien les inconvénients pour elles d’une augmentation potentielle de la concurrence sur leur propre terrain de jeu. Or rappelons que l’emploi est massivement dans les PME et que le chômage est notre premier problème économique et social. - On sent bien également, et pour les mêmes raisons, l’intérêt des professions « nomades » (pour reprendre la terminologie de Pierre-Noël Giraud) mais pas celui des « sédentaires ». Or là aussi la question sociale et politique française surtout dans un contexte de restriction budgétaire est bien plus celle de l’avenir des sédentaires que celui des nomades.
Questions : Ces points ont-ils été analysés par la commission ? Quelles sont ses conclusions, et leurs justifications ?
3. CETA et finance soutenable
La France a pris une initiative remarquable en adoptant l’article 173 de la loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte qui rend notamment obligatoire aux investisseurs, gestionnaires d’actifs et entreprises un reporting sur l’impact de leur activité sur le climat et réciproquement des effets du changement climatique sur leur activité. Les acteurs de la place de Paris ont pris une initiative ambitieuse : Finance for tomorrow visant à « promouvoir en France et à l’international, la finance durable. Celle-ci contribue à réorienter les flux financiers vers une économie bas carbone et inclusive, en cohérence avec l’Accord de Paris et les Objectifs du Développement Durable (ODD). »
Suite à une initiative du G20 , le président du FSB, Mark Carney, gouverneur de la Banque Centrale d’Angleterre, a mandaté une task force, la TCFD (task force on climate-related financial disclosure), présidée par Michael Bloomberg qui a remis un rapport cette année pour préciser les attentes de la sphère financière en termes de reporting. Le but est d’informer le monde financier des risques climat (risques fiduciaires, de transition et risques physiques liés au changement climatique).
Plus récemment, la Commission Européenne a nommé une commission de haut niveau (HLEG – High Level Expert Group on Sustainable Finance) dont le mandat est de faire des propositions pour rendre la finance plus soutenable. Cet adjectif est à prendre ici dans deux sens : une finance générant moins de risques de crises, donc plus stable, et une finance au service d’un développement soutenable. Je joins à cette note une note rédigée par les représentants français aux travaux du HLEG. On peut penser que la libéralisation des services financiers généralement prévue dans un accord de libre-échange soit un véritable obstacle aux initiatives réglementaires nécessaires pour rendre la finance soutenable.
Questions : la commission a –t-elle pris connaissance de ces travaux ? Peut-elle nous dire si le CETA facilite ou non l’émergence de cette finance soutenable ? Et si oui par quels moyens ?
4. CETA et climat
Sauf erreur l’Accord de Paris sur le climat ne comporte pas le mot commerce et ne traite aucun sujet lié au commerce. Il revient donc aux accords commerciaux, surtout les plus récents, dits de « nouvelle génération » de traiter la question climatique.
Question : la commission peut-elle nous s’assurer que le CETA contribue à l’atteinte des objectifs de Paris ?
4.1. L’effet du CETA sur le changement climatique
On sait aujourd’hui calculer en ordre de grandeur l’impact carbone d’un projet et même d’un portefeuille de titres.
Pour prendre trois exemples, on peut penser que l’application du CETA :
- va augmenter les flux de personnes et de marchandises traversant l’atlantique par avion ou par bateau : ceci augmente les GES ;
- va contribuer à augmenter la production de pétrole issu de sables bitumineux au Canada, idem ;
- va contribuer à augmenter la production de viande bovine, idem.
Pour faire un bilan complet il suffit de partir des effets sectoriels imaginés et de faire (ou faire faire) quelques calculs. Nous savons (chez Carbone4 ) que c’est possible.
Question : la commission a –t-elle évalué l’impact carbone du CETA ?
Rappelons qu’il s’agit d’évaluer (en ordre de grandeur) les émissions de GES éventuellement induites et les émissions éventuellement évitées par l’application du CETA.
4.2. L’effet sur la lutte contre le changement climatique
L’Union européenne ne peut pas mettre de taxe carbone aux frontières (parce que la fiscalité n’est pas de sa compétence mais de compétence souveraine). A ce jour, aucun autre dispositif aux effets similaires (comme le projet de MIC par exemple qui n’avance pas) n’est sur la table des discussions. Du coup, l’EU-ETS (voir note I4CE à paraître), et plus généralement les politiques et mesures européennes, ne permettent pas à l’UE de respecter ses engagements pris à l’accord de Paris.
En particulier les industries intensives en énergie et soumises à la compétition internationale poussent (légitimement du point de vue de leurs intérêts à court terme) à limiter tout surcoût direct (via une hausse du coût des quotas de CO2) et indirect (via une hausse du coût de l’énergie). Elles sont très sensibles à la compétitivité des industries d’Amérique du Nord qui bénéficient d’une énergie moins coûteuse et moins taxée. On peut craindre qu’un accord de libre-échange affaiblisse encore plus la possibilité de tarifer le carbone en Europe.
Par ailleurs, certains pays comme la France ont mis en place une taxe carbone sur certaines émissions diffuses et pourrait envisager d’étendre ce dispositif ; le CETA ne risque-t-il pas de défavoriser de fait les activités concernées contre d’éventuels compétiteurs non soumis à cette taxation ?
Question: en quoi le CETA peut-il faciliter la lutte contre le changement climatique (indépendamment de ses effets directs tels qu’analysés ci-dessus) ?
5. Le CETA, la nature, les ODD et la résilience des socio-écosystèmes
Il n’est plus à démontrer que nous vivons une « sixième extinction » biologique et que le changement climatique va aggraver cette crise. Dès lors, un nouvel « arrangement institutionnel » devrait être analysé à travers non seulement son absence d’impact mais bien plus à travers sa capacité à favoriser :
- les produits et services à faible impact environnemental,
- la réparation les écosystèmes en cours de destruction
- la résilience des sociétés et des écosystèmes concernés face à cette destruction.
Question : la commission peut- elle nous dire si le CETA a cet effet positif ou non ? Plus basiquement, le CETA va-t-il faciliter l’atteinte des ODD ?
La France grâce à Laurent Fabius et Yann Aguila pousse au niveau de l’ONU la signature d’un pacte mondial pour l’environnement.
Question : le CETA facilite-t-il la signature des pays signataires à cette charte ?
Alain Grandjean
2 réponses à “Le CETA pourra-t-il être compatible avec l’accord de Paris sur le climat ?”
Votre note concernant le CETA, par sa limpidité et sa pertinence, me rend impatient de lire les réponse apportées par cette commission. J’ai beaucoup apprécié aussi votre remarque sur le caractère illusoire de la précision fournie dans les prévisions d’impact sur le PIB. Quiconque a déjà « joué » avec les sciences et le calcul d’incertitude sait que dans le cas présent, on est plus proche de la farce que du résultat démontré.
En revanche, votre analyse (ou demande d’analyse) de l’impact de cet accord sur la « soutenabilité » de notre développement à venir me semble on ne peut plus pertinente.
Je formule un voeu et une question :
Espérons que cette commission mettra toute la rigueur et l’honnêteté nécessaire à apporter les réponses.
Comment faire dans ce cas pour assurer la plus large diffusion de ces résultats et en faire comprendre le sens.
Merci
@pascal rémond; je m’apprête à demander le rapport de la commission qui doit sortir le 7 septembre et nous verrons bien si elle répond aux questions posées…sinon il faudra le faire savoir et ensuite lancer le débat public quand ce sujet sera traité par le parlement (je ne sais pas quand mais je le saurai bientôt). bien à vous. AG