Un prix minimum du carbone pour l’électricité permettrait à l’Europe de respecter l’accord de Paris. Si l’on peut se féliciter de la décision gouvernementale d’accélérer la hausse de la taxe sur les combustibles et les carburants (1), le gouvernement doit maintenant reprendre un autre dossier, celui de la taxation du contenu en carbone de l’électricité. Les travaux de la Commission Canfin-Grandjean-Mestrallet ont mis en évidence la difficulté d’une démarche unilatérale sur ce sujet. Il est, en particulier, essentiel de rallier l’Allemagne à cette ambition du fait de son poids politique et économique dans l’Union mais aussi car le mix électrique allemand est bien plus dépendant du charbon que le nôtre.
La fenêtre de tir est étroite mais réelle : au lendemain des élections allemandes et avant la COP23, il sera possible de mettre en place un dispositif très simple étudié de façon exhaustive. La France y a intérêt et continuerait ainsi à montrer son engagement concret. Pour l’Allemagne, c’est le moment de sortir de l’ambiguïté qui consiste à signer des engagements sans aller au bout des actions nécessaires pour les mettre en oeuvre. Le mécanisme proposé permettra de réduire rapidement la part du charbon dans la production d’électricité en Europe de l’Ouest et contribuera ainsi de manière significative à la tenue des engagements climatiques de l’Union européenne.
Avec quelques collègues et amis (2), nous avons réfléchi en profondeur à ce mécanisme et avons publié [allons publier] une note détaillée dont vous pouvez lire le résumé ci-après. Vous pouvez par ailleurs :
- consulter la note en français sur le site de Terra Nova.
- télécharger la note en anglais : Accelerating decarbonation with a minimum CO2 price for electricity in Western Europe
- lire les articles : des Echos, du Monde, de carbone 4, ma chronique dans Alternatives Economiques [Modifications le 27/09/17 à 13h38 ]
L’Union européenne ne peut respecter sa contribution à l’accord de Paris qu’en limitant au plus tôt les émissions des industries utilisatrices d’énergie fossile, à commencer par la production d’électricité à partir de charbon.
Tout d’abord, le secteur électrique européen présente le potentiel de réduction le plus important et des coûts de décarbonation parmi les plus faibles.
Ensuite, il n’est pas soumis à la concurrence internationale, et peut donc s’adapter plus facilement aux dispositifs augmentant ses prix de revient sans risque d’impacts sur sa compétitivité ou de fuites de carbone.
Enfin, il est en situation de surcapacité et il est vital, tant pour les acteurs du système électrique que pour la planète, de les réduire en commençant par les plus polluantes.
Ces trois raisons poussent à considérer le secteur électrique comme prioritaire dans une stratégie de décarbonation européenne. Néanmoins le principal instrument, le marché de quotas de CO2, le système EU ETS, même réformé avec le projet en cours de discussion, ne permettra pas de sélectionner les moyens de production les moins carbonés. Il risque de conduire à l’exploitation et au maintien des centrales à charbon à 2030 alors que des centrales à gaz ne seront pas ou peu utilisées, puis seront arrêtées du fait de la surcapacité du système électrique européen.
Pour réduire l’utilisation du charbon dans la production d’électricité, les Etats membres envisagent une voie administrative, consistant à imposer des normes sur les émissions de polluants et/ou à fermer les centrales les plus polluantes. Cette solution, partiellement mise en œuvre en Allemagne, est néanmoins coûteuse pour les finances publiques, du fait des compensations octroyées aux électriciens, et moins efficace sur le plan économique.
Il est préférable d’instaurer d’ici à 2020 pour l’électricité en Europe de l’Ouest un prix plancher de 20 à 30€ par tonne de CO2. Ce mécanisme a une valeur d’assurance sur le prix du CO2 pour le secteur électrique, et serait sans effet dès qu’une réforme suffisamment ambitieuse de l’EU ETS aura été mise en œuvre. Il a l’énorme avantage d’avoir des effets immédiats : dès sa mise en place certaines centrales au charbon seront moins appelées que des centrales au gaz qui deviendront plus performantes économiquement. Ce serait un moyen de répondre à l’objectif français de fermeture des centrales à charbon d’ici 2022, tout en initiant une démarche similaire et coordonnée avec les pays voisins.
Ce système conduirait à une substitution progressive de l’électricité produite par les centrales au charbon et au lignite par certaines centrales au gaz. Ces dernières, verraient une hausse de leur coûts variables mais connaîtraient au global une situation économique identique ou améliorée par rapport à aujourd’hui, au même titre que les cogénérations. Cela permettrait également de limiter le poids du développement des énergies renouvelables sur les finances publiques.
Pour être efficace, une telle mesure devrait être déployée de concert avec les pays voisins, l’Allemagne puis l’Italie et l’Espagne, ainsi que les pays du Benelux (et également le Royaume-Uni, où la mesure est déjà en place). Pour autant, ce mécanisme peut être initié graduellement par quelques pays puis élargi à un ensemble plus important. Un tel processus décisionnel serait beaucoup moins lourd que celui associé au marché ETS.
Les conditions de mise en œuvre seront cependant cruciales.
- Un mécanisme de prix plancher donnerait en effet lieu à des transferts financiers importants entre les producteurs d’électricité, les fournisseurs, les Etats et les consommateurs, notamment en raison de l’augmentation des prix de l’électricité sur les marchés de gros. Les études montrent que cette mesure déployée sur la plaque ouest européenne se traduirait par un surcoût de l’électricité aux alentours de 6-7 €/MWh en France et aux alentours de 10-11 €/MWh en Allemagne. Ces augmentations de prix seraient faibles pour les consommateurs résidentiels et tertiaires mais plus significatives pour les industriels. Pour limiter les impacts négatifs sur les industries électro-intensifs, les mécanismes de compensation existants pourraient être maintenus voire étendus.
- Les revenus pour les finances publiques engendrés par le prix plancher devront financer la reconversion des emplois de l’industrie du charbon dans les pays volontaires, le pays le plus touché étant l’Allemagne. En France, les contrats de transition et les grands chantiers énergétiques pourraient constituer localement des solutions. Les transitions qui ont eu lieu dans d’autres pays pourront également servir d’exemple.
Un prix minimum du CO2 pour l’électricité en Europe de l’Ouest apparaît dès lors nécessaire pour atteindre les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et la cohérence avec le développement des énergies renouvelables.
Il constitue la solution la plus efficace et la plus rapide à court terme tant du point de vue du processus de décision que du point de vue fonctionnel pour cibler le gisement de réduction de gaz à effet de serre le plus important, et parmi les moins coûteux, en Europe.
La note finale paraîtra prochainement sur le site de Terra Nova. Si vous souhaitez l’obtenir avant cela vous pouvez me la demander à l’adresse suivante grandjean.a(a)gmail.com
Alain Grandjean
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