La conférence de Paris sur le Climat en 2015 risque d’échouer par manque d’argent. Les « pays du Sud » attendent que les pays développés tiennent leur promesse, notamment en finançant le « fonds vert pour le climat[1] », décidé à Copenhague en 2009, à hauteur de 100 Milliards d’euros par an. C’est tout sauf gagné si l’on se résigne aux dogmes mortifères qui nous condamnent à l’austérité et à la déflation, au niveau mondial et pas uniquement européen. Dès qu’on accepte d’innover de nombreuses pistes sont à explorer. Nous n’en citerons que quelques-unes, sans les approfondir à ce stade. Notons que certaines d’entre elles ont été évoquées à la Conférence des Parties (COP 20) qui s’est tenue à Lima fin 2014[2] sous l’acronyme SUMOs (Smart Unconventionnal MOnetary policieS, politiques monétaires non conventionnelles). Il nous suffit de dire à ce stade qu’elles sont envisagées et analysées avec sérieux, toutes ayant des avantages et des inconvénients.
- Mettre en place une taxe carbone vraiment incitative
Le niveau actuel de la taxe carbone en France (16 euros la tonne de CO2 passant en 2016 à 22 euros) n’est pas suffisant. Si on le passe à 50 euros au moins, les investissements verts seraient favorisés. L’Observatoire Français des Conjonctures Economiques (OFCE) propose que cette taxe mise en place au niveau européen soit surcompensée budgétairement (en subventionnant donc les acteurs économiques forfaitairement à un niveau globalement supérieur au produit de la taxe) et qu’elle soit accompagnée d’une taxe carbone aux frontières pour rééquilibrer la perte de compétitivité que subirait l’industrie européenne. Christian de Perthuis[3] propose qu’elle soit mise en place au niveau mondial avec un système de bonus-malus basé sur les émissions moyennes de GES par tête et par an, dans lequel les pays émettant plus que la moyenne mondiale (7 tonnes/habitant en 2013) devraient s’acquitter d’un malus, et les pays en dessous de cette barre recevraient un bonus.
- Mettre en place une taxe sur les transactions financières et affecter son produit aux investissements verts
Cette idée, poussée notamment par Nicolas Hulot[4], permettrait de concilier deux objectifs, l’un de régulation bancaire et l’autre de rentrées fiscales additionnelles. Elle a été relancée par le président de la république française début 2015, dans un contexte de discussions déjà avancées au niveau européen[5] sur la taxe sur les transactions financières.
- Créer des certificats carbone, actifs financiers susceptibles d’être racheté par les banques centrales
Les actions de réduction d’émissions de GES (par rapport à un scénario de référence) bénéficieraient de certificats carbone (comme aujourd’hui les actions d’économie d’énergie bénéficient en France de certificats d’économie d’énergie) qui pourraient être cédés aux banques (contre réduction de taux). Les banques seraient en droit de les placer à la banque centrale comme un autre actif financier pour se refinancer. Cette proposition a été mise au point par l’économiste Michel Aglietta[6].
- Flécher tout ou partie des engagements d’une banque publique en faveur du financement de la transition écologique
Les banques et établissements financiers publics nationaux ou internationaux (banque postale, caisse des dépôts et consignation, Banque Européenne d’Investissement, agence française de développement) sont au service de l’intérêt général. Leurs engagements (sous forme de prêts, capitaux, placements financiers) peuvent être orientés, en utilisant des outils adaptés, dont certains existent[7], vers les investissements verts.
- Lancer des programmes d‘assouplissement quantitatif » (quantitative easing) verts notamment au niveau européen.
Face à la menace déflationniste de plus en plus aigüe, la Banque Centrale européenne envisage en ce début 2015[8] un programme d’assouplissement quantitatif de 500 milliards d’euros, allant jusqu’à racheter des dettes publiques, flirtant ainsi avec les interdictions du traité de l’union européenne. Ces mécanismes pourraient être mis à profit pour privilégier les obligations vertes et les investissements verts réalisés par les Etats ou les administrations publiques.
- Faire évoluer la régulation bancaire.
Il s’agit de créer des incitations au sein même de la réglementation bancaire pour favoriser, toutes choses égales par ailleurs, les investissements verts. Fondamentalement, il pourrait être envisagé de réduire la quantité de fonds propre demandés pour un financement vert. Cette voie semble être étudiée par les banques centrales brésilienne et chinoise[9]. Dans le même esprit il est possible d’envisager une « titrisation verte » et responsable qui pourrait générer des actifs spécifiques éligibles à une telle évolution des banques centrales.
- Labelliser et donner des avantages aux fonds d’investissement verts et aux émissions d’obligations vertes
Les gestionnaires d’actifs peuvent avoir une influence[10] tant sur le capital que sur les émissions obligataires des entreprises qu’ils détiennent dans leur portefeuille. Il existe maintenant des moyens de caractériser des portefeuilles « bas-carbone ». Il pourrait être souhaitable de créer dans un premier un « label bas-carbone » pour identifier ceux de ces fonds qui utilisent les meilleures pratiques en la matière, puis de leur faire bénéficier d’avantages fiscaux à préciser.
- Offrir des garanties publiques spécifiques aux investissements verts
Les investissements verts relevant en partie de l’intérêt général, il serait logique que la puissance publique prenne en charge une partie des risques en se portant, partiellement, garante des dits risques. C’est un mécanisme de ce type (imaginé par l’économiste Gaël Giraud) qui a été exploré dans le cadre de l’étude de faisabilité du projet de Société de Financement de la Transition Energétique (SFTE)[11]. Cette étude a été lancée à la suite du Débat National sur la Transition Energétique, avec l’appui de la Fondation Nicolas Hulot et d’un large consortium multi-acteurs. Elle a pris comme cas d’application la rénovation énergétique des bâtiments publics, un des enjeux clefs de la transition énergétique, qui bute sur la contrainte financière. Ses conclusions ont été reprises largement par la France dans sa contribution au plan Juncker[12].
- Utiliser les Droits de Tirage Spéciaux pour alimenter le « fonds vert pour le climat»
Le « fonds vert pour le climat[13] » a été créé pour financer les projets d’atténuation et d’adaptation au changement climatique dans les pays du Sud. Il doit être doté de 100 milliards de dollars d’ici 2020 puis de ce même montant chaque année ultérieure. Fin 2014 il n’était doté que de 10 milliards de dollars. Lors de la crise financière le Fonds Monétaire International a émis des Droits de Tirage Spéciaux (DTS)[14] qui ne sont pas utilisés et pourraient l’être pour l’alimenter. Une proposition détaillée a été faite en ce sens par l’économiste Gaël Giraud[15].
Conclusion : il est possible et nécessaire d’innover dès à présent pour mettre la finance au service de la transition énergétique et climatique.
Si la finance a une responsabilité écrasante dans les difficultés économiques et sociales de nombreux pays dans le monde, et si sa régulation s’avère extrêmement difficile, il serait fortement contre-productif de baisser les bras ou d’ignorer son apport possible et indispensable dans le traitement de la question climatique. L’année qui s’ouvre est de ce point de vue décisive. La France accueillera fin 2015 la 21ème conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. Un des points clefs de cette négociation majeure portera sur le respect des engagements pris à Copenhague en matière de financement des pays du Sud en 2009. Le rétablissement de la confiance sur ce plan est, selon un avis partagé par l’immense majorité des observateurs et des acteurs, une condition absolument nécessaire de la réussite de la conférence de Paris. Dans un contexte de tension sur les finances publiques de nombreux pays, qui rend très difficile une augmentation de la pression fiscale, il est nécessaire, pour répondre à ces engagements, de mettre en place des outils de financement innovants. Il est impératif d’étudier et d’évaluer les divers dispositifs financiers innovants évoqués rapidement ci-dessus et visant à faciliter le financement de la lutte contre et l’adaptation au changement climatique.
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[1] Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Fonds_vert_pour_le_climat
[3] Voir http://www.euractiv.fr/sections/developpement-durable/des-experts-proposent-un-marche-transnational-du-carbone-pour
[4] Voir par exemple : http://www.fondation-nicolas-hulot.org/en/blog/tags/climat
[6] Voir par exemple http://www.cepii.fr/docs/files/reunions/communications/2012-10-25/2012-10-25-MA.pdf
[7] L’Agence Française de développement par exemple dispose d’un outil lui permettant d’évaluer les émissions de GES générées et les émissions évitées par les investissements qu’elle finance.
[10] Voir « Pour une finance positive, parce que l’argent a aussi des vertus ». Hervé Guez, Philippe Zaouati, Ed. rue de l’échiquier, 2014
[12] Voir http://projet-sfte.fr/wp-content/uploads/2014/12/20141211-The-Juncker-Plan-will-be-the-Europe-energy-shift-project1.pdf. Ce plan vise à relancer l’investissement en Europe pour faire face au risque inflationniste. Il privilégie les infrastructures comme il en est ainsi traditionnellement. Le volet rénovation énergétique est donc une innovation, tout comme le mécanisme de garantie, proposé dans l’étude SFTE, qui a été repris au niveau d’un fonds le FEIS dépendant de la Banque Européenne d’Investissement.
[14] Le Fonds Monétaire International a la possibilité de créer sa « monnaie », le DTS, qui peut être ensuite donnée aux banques centrales des pays concernés par ce don. Ce sont pour elles des réserves de change qui leur permettent d’émettre leur propre monnaie.
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