Le parallèle est souvent fait entre dette publique et dette écologique. La question du financement des retraites redonne de la vigueur à cette comparaison qui me semble pourtant dénuée de fondement. Particulièrement parce que la dette publique est un faux problème, dont la solution est simple comme de l’eau de source.
Dans le domaine comptable toute dette est contrepartie d’une créance, les deux s’annulant. C’est d’ailleurs en gros ce qui se passe quand la monnaie s’effondre, comme au temps de la république de Weimar. Les débiteurs se sont enrichis de la somme perdue par les créanciers. L’économie allemande dans son ensemble ne s’est pourtant pas effondrée à l’époque1. Au contraire, quand les ressources physiques viennent à manquer, comme sur notre bonne île de Pâques (Lire notre livre « C’est maintenant« . Ou en lire quelques critiques.), l’économie s’effondre. Un proverbe attribué2 à un sage indien le dit de belle manière : « Quand le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été pêché, alors on saura que l’argent ne se mange pas. »
La dette publique c’est une dette des administrations envers ses créanciers. Le passif des uns est égal à l’actif des autres. Supposons que cette dette soit tout simplement annulée. Les créanciers verraient une partie de leur épargne annulée. Cela leur serait déplaisant3, mais au même moment l’état de l’économie serait inchangé : il y aurait toujours des entreprises, des travailleurs, des machines, des savoir-faire, des ressources etc. Supposons plus modestement que l’inflation soit de 5 % ; cette épargne perdrait chaque année de la valeur, sans impact direct sur la capacité de l’économie à faire face aux besoins des français.
Plus précisément, il est intéressant de comprendre le mécanisme de formation de la dette publique française. Fin 1980 la dette publique était en gros de 500 milliards de francs, soit 75 milliards d’euros (et 20% du PIB). Fin 1990 , elle était de 275 milliards d’euros; le déficit public total primaire (c’est-à-dire le déficit avant paiement des intérêts) de la décennie 80 s’est élevé à environ 50 milliards d’euros. La croissance de la dette sur cette décennie, environ 200 milliards d’euros, est donc due pour 75% aux intérêts de cette dette.
Le même raisonnement s’applique sur la période 1980-2010 qui conduit à une dette de 1500 milliards d’euros, soit 80 % du PIB. Un petit tableau permet de voir d’où vient la situation de la dette publique actuelle.
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Dette 1980 Dette 2010 Variation de la dette de 1980 à 2010 Total des soldes primaires
sur la période 1980-2010
Intérêts 75 Milliards d’euros 1500 Milliards d’euros 1425 Milliards d’euros 250 Milliards d’euros 1175 Milliards d’euros 18% 82%
Sur cette période on voit que la dette est principalement constituée à 80 % du paiement des intérêts et de leur capitalisation sur la période4. C’est l’effet boule de neige bien connu. Si les intérêts avaient été nuls sur la période la dette publique serait aujourd’hui de 325 milliards d’euros (75+250) soit moins de 20 % du PIB, comme en 1980.
Ces intérêts il faut bien les payer ?
C’est là que les choses se discutent vraiment. On sait que les banques centrales « refinancent » aujourd’hui les banques à des taux proches de zéro et qu’elles pourraient leur prêter à taux nul. Le cas actuel de la Grèce est assez frappant pour marquer les esprits : les banques prêtent à l’Etat grec à 9 % ce qu’elles empruntent à la banque centrale à 0. Il serait économiquement tout-à-fait possible (et il l’aurait été sur la période analysée) que la banque centrale prête à l’Etat français à taux nul. C’est juridiquement interdit en France depuis 1973 et contraire à l’article 104 du traité de Maastricht (article 123 du traité de Lisbonne). On y reviendra plus loin. Si la banque centrale avait prêté à taux nul à l’Etat français, et plus généralement aux administrations publiques, la dette publique serait aujourd’hui un sujet complètement marginal…
On ne peut refaire le passé ?
On ne peut refaire le passé mais on peut en tirer les leçons. Et proposer une solution qui résoud le problème de la dette publique. A chaque échéance de remboursement d’un instrument de dette (que ce soit un bon du trésor ou obligation) la dette est aujourd’hui renouvelée, reconduite (puisque les administrations voient leur endettement augmenter, elles ne peuvent faire autre chose que renouveler leurs dettes quand elles tombent à échéance et en souscrire de nouvelles). Il suffit que la banque centrale prête à l’Etat à taux nul le montant de ce renouvellement et le montant de l’endettement nouveau. On appelle cela « monétiser la dette ». Très rapidement5 les intérêts de la dette publique vont se réduire et la dette retrouver un niveau soutenable.
Cela change-t-il quelque chose dans le débat sur les retraites ?
Oui et c’est fondamental. Quand on réfléchit comme l’énarque qui ne sait pas compter de notre Ile de Pâques, on se dit que le paiement des retraites à un instant donné c’est un transfert de richesses réelles des actifs qui se privent de biens et de services pour les retraités.
En économie fermée il ne se pose que deux vraies questions :
1-A-t-on les richesses matérielles pour réaliser ce transfert (y a-t-il de l’eau et de la nourriture pour tous ? y a-t-il de l’énergie et des matières premières pour faire tourner les machines qui produisent les biens demandés pour tous, y a-t-il les entreprises pour réaliser la production et les services demandés, et de la main d’œuvre pour réaliser le travail manuel ?).
2-Les actifs sont-ils prêts à faire ce transfert vers les retraités, ou bien le gouvernement est-il prêt à les y obliger ?
Il ne saurait être question dans cette affaire de manque d’argent ou d’excès de dette, sauf, et c’est notre cas, si nous avons inventé les mécanismes assez tordus pour que ces questions se posent.
En économie ouverte, se posent deux autres questions :
1-A-t-on les moyens (en termes de production réelle à échanger) d’acheter à l’extérieur ce que nous voulons consommer ? Ce qui est la même question que la première ci-dessus dans un contexte qui n’est pas celui de l’autarcie.
2-Les mécanismes financiers de transfert sont-ils des obstacles à la compétitivité de nos entreprises exportatrices
(oui si on fait porter sur le prix de revient le poids des charges de retraite…).
Ces questions ne sont évidemment pas simples. Mais ce sont les vraies questions qui seraient débattues si la situation des finances publiques avaient été assainies comme nous le proposons ici.
Pourquoi cette solution ne se met pas en place ?
Parce qu’elle est contraire au traité de Maastricht et au traité de Lisbonne. Le traité de Maastricht est fondé sur le dogme selon lequel l’avance de la banque centrale à l’Etat (qui conduit à une création de monnaie) est inflationniste et doit être évitée. Instituer dans un traité un dogme infondé a été une grave erreur que nous paierons malheureusement très cher. Soit par l’explosion de l’Euro, ce qui n’est plus exclu, au vu de ce qui se passe en ce moment , soit par des tensions sociales et une augmentation de la misère totalement injustifiée.
Il faut donc étudier cette solution, voir quelles modalités elle peut prendre pour limiter les inconvénients qu’elle pourrait avoir, si elle n’était pas correctement encadrée. C’est à cette discussion que je vous invite maintenant.
A suivre.
Alain Grandjean
1 C’est d’abord les réparations de guerre puis la crise de 1929 qui a créé le chômage en Allemagne et l’ a conduite dans les bras d’Hitler.
2 C’est sans doute une attribution apocryphe.
3 On se rappelle que Keynes souhaitait l’euthanasie des rentiers, ce n’est pas ce que je propose ici !
4 Les calculs seraient à affiner, ils sont faits ici en ordre de grandeur.
5 Pour calculer cette durée il faut connaître la composition de la dette publique par durée.
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