La réforme en cours des règles budgétaires européennes ne pourra pas seulement être la énième tentative de tirer les leçons du passé et d’adapter les règles à un contexte macroéconomique en évolution. Elle devra mettre au centre de la nouvelle gouvernance l’impératif d’une transition juste vers une économie décarbonée et respectueuse des limites des ressources planétaires. Exempter certaines « dépenses vertes » de la règle commune fait partie des propositions récurrentes à cet effet. Définir ces dépenses nécessite de répondre à quatre questions : quel objectif spécifique leur associer ? quels critères pour les identifier ? faut-il les évaluer de façon isolée ou dans leur contribution à une politique publique ? quelle gouvernance, c’est à dire qui programme, qui met en œuvre, qui valide ?
Dans cet article, Ollivier Bodin, contributeur régulier du Blog, recommande de fonder le choix des dépenses privilégiées par référence à un objectif spécifique déjà agréé au niveau européen, et peu contestable et contesté au niveau national (objectifs du pacte vert pour l’Europe et socle des droits sociaux fondamentaux), d’abandonner l’objectif trop imprécis actuellement utilisé de « renforcement de l’output potentiel », d’identifier les dépenses privilégiées, courantes ou d’investissement, par leur contribution à une politique publique dont les résultats sont mesurés par des indicateurs de performance.
Il suggère une gouvernance similaire à celle retenue pour la Facilité Reprise et Résilience qui laisse la main aux États pour la conception et la mise en œuvre des dépenses privilégiées et mesures associées et prévoit une validation par le niveau européen. La méthode utilisée dans le cadre de la Facilité pour identifier les « dépenses vertes » doit cependant être revue en imposant leur inclusion dans une programmation budgétaire de long terme et l’utilisation d’indicateurs de résultats et non simplement de moyens. En outre, les dépenses préjudiciables à l’environnement, les dépenses « brunes », y compris dépenses fiscales, seront identifiées et leur réduction programmée. Finalement, les États-membres devront être encouragés à accélérer l’introduction de méthodes de « budgétisation verte » tenant compte des interactions entre politiques budgétaires (dépenses et fiscalité), réglementation et administration.
Cette approche, dite approche « ensemble du gouvernement », nécessite une coordination étroite et équilibrée entre les ministères des finances et les ministères en charge de la transition. Sans quoi, le dérèglement climatique et la détérioration de l’environnement continueront à creuser encore leur avance sur les montants mis en oeuvre et les méthodes budgétaires et d’action publique capables de les combattre.
Introduction
La réforme en cours des règles budgétaires européennes initiée par la Commission européenne juste avant que ne se déclenche la crise de la COVID ne pourra pas être la énième tentative[1] de tirer les leçons du passé et d’adapter les règles à un contexte macroéconomique en évolution. Elle devra intégrer une réflexion sur la responsabilité et les fonctions des politiques budgétaires européenne et nationales pour réaliser les objectifs du Pacte vert pour l’Europe et du besoin urgent et primordial d’investir dans les politiques climatiques, de protection de la biodiversité et l’économie circulaire. L’impératif de soutenabilité environnementale et d’une transition juste, en particulier de la décarbonation complète à l’horizon 2050 et des progrès rapides d’ici 2030, doit devenir l’argument le plus puissant et moteur de la réforme du Pacte de stabilité et des règles de coordination des politiques économiques et budgétaires européennes. Il se traduit à ce stade par la reconnaissance d’un besoin substantiel de financements publics qui ne pourra pas être couvert en l’état des règles. De nombreuses propositions de réformes du Pacte de stabilité actent que les politiques économique et budgétaire doivent prendre en compte l’urgence climatique. Elles intègrent l’idée de privilégier d’une façon ou d’une autre certaines catégories d’investissements ou dépenses « vertes ».
Sous réserve de leurs cohérence et interaction avec la réforme respectivement envisagée pour les règles de déficit et d’endettement, plusieurs options sont sur la table. Elles incluent un simple avis d’une l’Institution budgétaire indépendante[2] sur la suffisance ou insuffisance des investissements publics[3], un assouplissement des clauses de flexibilité existantes[4], ou la déduction entière ou partielle de dépenses « vertes » du déficit et de la dette[5]. Une proposition récurrente est d’aligner la comptabilité publique sur la comptabilité privée et de n’inclure dans les dépenses et calcul du déficit courants que l’amortissement et la maintenance en créant un compte séparé pour les dépenses en capital. A cela s’ajoutent les propositions de renforcer la capacité budgétaire européenne, que ce soit sur le modèle de la Facilité Reprise et Résilience (avec un financement européen mais une programmation et mise en œuvre au travers des budgets nationaux) ou via une augmentation du budget communautaire[6].
Quelle que soit la technique retenue, il est nécessaire de répondre à quatre questions : quel objectif spécifique associer aux dépenses à privilégier ? quels critères pour les identifier ? faut-il conditionner le « droit » à des dépenses supplémentaires à d’autres mesures fiscales, réglementaires ou administratives, voire à des dépenses complémentaires[7], de façon à insérer les dépenses dans une politique sectorielle cohérente ? quelle gouvernance, c’est à dire qui programme, qui met en œuvre, qui valide ?
Les nouvelles règles budgétaires devront être établies pour remplir deux objectifs :
- rendre possibles les financements et politiques nécessaires à une transition juste dans les délais fixés, voire y inciter;
- remplir correctement les fonctions macroéconomiques des finances publiques, pleine utilisation des ressources et soutenabilité de la dette publique.
Cette note ne traite que le premier de ces deux points. Pour rappel : les émissions de gaz à effet de serre mondiales[8] ne sont pas actuellement sur une trajectoire compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 2°C adopté par la communauté internationale avec l’Accord de Paris en 2015. Le non-respect des accords de Paris conduirait avec une forte probabilité à des coûts économiques et sociaux insupportables[9], y compris des scénarios de rupture catastrophiques et irréversibles. Sans mesures supplémentaires par rapport à celles déjà prévues, les émissions de l’Europe ne sont pas non plus compatibles avec les engagements pris pour 2030 d’une réduction de 55% des émissions de GES par rapport à 1990 malgré la baisse due à la dépression économique provoquée par l’épidémie COVID[10]. Il n’y a pas d’alternative à une transition énergétique juste et, au minimum, au respect des engagements pris dans le Pacte vert pour l’Europe.
1. La qualité des dépenses et politiques publiques par les règles budgétaires actuelles
Les règles budgétaires actuelles du Pacte de stabilité n’accordent à la « qualité » des dépenses publiques – définie comme leur impact sur les objectifs de politique économique – qu’une faible considération. Elles se concentrent presque exclusivement sur les agrégats – déficit public et dette – laissant les aspects de redistribution et d’affectation des ressources, centrales pour les politiques nationales, dans les mains des États-membres[11].
La qualité des dépenses publiques n’est cependant pas complètement absente des règles actuelles.
Les clauses de flexibilité dites de réforme structurelle et d’investissement se veulent incitatives d’une amélioration de la qualité des politiques économiques et des dépenses publiques nationales. Selon ces clauses, la mise en œuvre de réformes structurelles susceptibles de réduire dans le long terme les dépenses publiques ou de renforcer l’ « output potentiel » [12] peuvent justifier une déviation provisoire de l’objectif de déficit ou de dépenses. Il en est de même pour des investissements avec un impact attendu et vérifiable sur l’output potentiel et bénéficiant d’un co-financement européen.
Voici quelques exemples de réformes pouvant légitimer une déviation de l’objectif budgétaire qui sont donnés dans le guide d’application du Pacte de stabilité[13]: les réformes des retraites, d’assurance maladie et de l’administration publique, des domaines relevant de façon sensible de choix politiques nationaux. Par ailleurs, l’« output potentiel » se définissant pour l’essentiel par rapport à un taux de chômage « non inflationniste », les réformes structurelles qui, outre les précédentes, peuvent principalement être prises en compte visent le fonctionnement du marché du travail avec comme moyen sa flexibilité.
La définition actuelle des réformes et dépenses qui peuvent justifier une déviation de la règle relève donc d’arguments qui n’ont rien à voir avec la transition écologique et sociale.
L’objectif de « transition juste » et les conséquences du changement climatique sont hors champ des règles budgétaires telles que définies dans le guide d’application du Pacte. Ce jugement est nonobstant les signaux d’une inflexion politique censée prendre mieux en compte la question sociale comme la Déclaration de Porto en mai 2021 et l’adoption du socle européen des droits sociaux. La mise en cohérence avec les objectifs d’une transition juste de la dimension « qualité » du Pacte de stabilité reste à faire dans les principes pour l’appliquer systématiquement dans la pratique.
Ces clauses de flexibilité n’ont été formellement utilisées que dans de très rares cas. Deux raisons s’ajoutent à celle de la résistance des autorités nationales à suivre des recommandations européennes sur des sujets au cœur des débats politiques nationaux : premièrement, les conditions mises et les déviations autorisées sont telles que leur intérêt est limité du point de vue quantitatif ; deuxièmement, la faible capacité à estimer l’impact d’une réforme ou d’un investissement sur l’output potentiel a été reconnu.
La recherche d’un accord sur cette estimation risque de ce fait de rapidement être renvoyé au niveau politique[14]. Cette deuxième raison n’est pas surprenante : l’« output potentiel » est une variable non observable et dont l’estimation soulève de nombreux problèmes méthodologiques. Il est donc difficile, et d’un point de vue de bonne méthode scientifique impossible, de « vérifier » l’impact d’une réforme ou d’un investissement sur lui.
Spécificités des politiques écologiques, climatiques et de transition juste
Le paradigme et les modèles macroéconomiques sur lesquels les règles budgétaires sont actuellement fondées ne permettent pas de conduire la transition qui est nécessaire. Il ne fait pas de doute que les politiques de transition auront un impact significatif sur les variables habituellement regardées par les « macro-économistes », notamment sur les investissements privés et publics ou sur le PIB. Mais cela ne signifie pas que les politiques climatiques puissent être forcées dans le moule de ce paradigme et de ces modèles. Ces derniers ont été conçus et se sont développés dans l’ignorance ou la négligence des limites de la planète et des transformations qui résultent du dérèglement et des politiques climatiques.
Les politiques climatiques se distinguent de ce qui est encore communément considéré comme politique macroéconomique à plusieurs égards.
- Le dérèglement climatique et les politiques de transition tendent à renforcer les inégalités. Les inégalités portent sur la contribution respective des groupes sociaux aux émissions de gaz à effet de serre, sur leur vulnérabilité et leur capacité de s’adapter aux impacts du dérèglement climatique ainsi que sur l’impact des politiques de transition sur les revenus réels et les emplois. L’impact du dérèglement climatique sera aussi inégal selon les régions et les activités économiques : qu’il s’agisse de phénomènes progressifs érosion, baisse de la productivité des terres, montée des eaux, disparition des glaciers ou de la recrudescence des évènements extrêmes, crues, incendies, stress hydrique, épisodes de chaleur extrême.
- Les politiques de décarbonations se caractérisent par un horizon temporel beaucoup plus éloigné que celui habituellement utilisé en politique macroéconomique[15].
- Leurs résultats se mesurent à des indicateurs matériels, en particulier énergétiques (émissions de gaz à effet de serre, part des énergies renouvelables) ou étroitement liés à la consommation d’énergie (transfert en t/km du fret de la route vers le ferroviaire), hors du champ des modèles macroéconomiques servant actuellement de base à la décision et qui traitent pour l’essentiel de variables monétaires de la comptabilité nationale. Les modèles n’intègrent pas non plus ou de manière insatisfaisante les risques physiques liés à la recrudescence d’évènements météorologiques extrêmes et aux effets du dérèglement climatique[16].
- Les politiques de transition sont conçues au niveau des secteurs (en particulier, énergie, transport, industrie, agriculture, bâtiments). La transformation de chaque secteur va encore nécessiter pour de nombreuses années des interventions publiques qui lui sont particulières même si l’on pourra progressivement se diriger vers des politiques transversales, notamment vers l’unicité du prix du carbone[17]. Ces interventions combinent[18] 1) des mesures augmentant le coût des activités émettrices de gaz à effet de serre (GES) que ce soit de façon réglementaire, par la fiscalité, un droit d’émettre payant ou une baisse des subventions ; 2) des investissements dans les bâtiments publics, les réseaux publics et/ou réglementés de transport et de distribution d’énergie qui vont façonner les préférences des consommateurs et réduire les coûts des énergies non carbonées ; 3) des aides aux investissements privés, à la recherche et au développement, à l’adaptation au changement climatique et à la reconversion professionnelle ; 4) des transferts sociaux pour compenser les perdants vulnérables qui ne sont pas en mesure de s’adapter.
- Elles visent des transformations des structures de l’économie, des préférences des consommateurs et des processus de production d’une ampleur inégalée et de nature inexpérimentée susceptibles de dévaloriser la pertinence des agrégats macroéconomiques et, en tout cas, de déstabiliser les relations entre ceux-ci[19].
- Leur mise en œuvre sera souvent sous le régime « essais et erreurs » en raison des incertitudes qui pèsent sur les réactions des acteurs à des politiques inédites.
2. Vers une règle d’or « écologique et sociale » opérante
Une bonne règle d’or « écologique et sociale » doit privilégier les dépenses qui vont accélérer la transition. Une telle règle doit aussi renforcer la cohérence entre les politique budgétaire et les politiques de transition énergétique telles qu’elles sont ou devraient être reflétées dans les Plans Nationaux Énergie Climat ou les Stratégies nationales de décarbonation.
Huit conditions peuvent être identifiées :
- Ne plus assigner à ces dépenses l’objectif indéterminé et non mesurable de renforcement de l’« output potentiel », mais les relier à des objectifs spécifiques, agréés au niveau européen ainsi que difficilement contestables et peu contestés aux niveaux nationaux. La poursuite de politiques de plein emploi et le socle européen des droits sociaux, la lutte contre le réchauffement climatique, la protection de la biodiversité, les objectifs d’économie circulaire sont des candidats évidents même s’il peut y avoir diversité de points de vue d’un pays à l’autre sur la manière de les atteindre ;
- Laisser un champ aussi large que possible aux choix politiques nationaux. Si une transition juste vers une économie décarbonée et la poursuite d’autres objectifs environnementaux s’imposent à tous les États, les chemins préférés pourront différer : reposant plus sur des technologies innovantes à venir ou plus sur des modes de consommation plus sobres, plus ou moins égalitaires, reposant sur des productions d’énergie plus ou moins centralisées, sur un usage intensif de transports publics, de moyens de mobilité « doux » ou de voitures individuelles.
- Fonder l’éligibilité des dépenses – qu’elles soient courantes ou des investissements – sur leur participation à une action publique cohérente portée par une politique qui sera le plus souvent sectorielle et visant l’accélération de la transition. Prendre en compte les dépenses fiscales (c’est-à-dire les exemptions ou réductions d’impôts).
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Identifier les dépenses, y compris fiscales, préjudiciables à l’environnement (« brunes ») et être incitatives à leur réduction. Par exemple, le montant des dépenses privilégiables pourrait dépendre d’une réduction programmée de ces dépenses.
- Utiliser des indicateurs spécifiques et mesurables de résultats et non de simples indicateurs de moyens. Ce qu’il faut regarder n’est pas le nombre de kilomètres de pistes cyclables construites, mais la baisse du trafic automobile carboné. Ce n’est pas le nombre de logements qui ont bénéficié d’une isolation thermique, mais la réduction effective de consommation d’énergie carbonée. Ce n’est pas le nombre de formations professionnelles dispensées, mais le nombre de salariés d’une filière condamnée ayant retrouvé un emploi. Ce n’est pas le montant des transferts sociaux mais la réduction du nombre de ménages souffrant de précarité ;
- Allonger l’horizon temporel de la programmation budgétaire et des choix de politique économique. La transition énergétique est une entreprise de très longue haleine avec des coûts fixes initiaux d’investissements et de qualification élevés. La réduction des incertitudes, par exemple sur la pérennité des programmes d’aide à la rénovation énergétique des bâtiments, sur les choix en matière de production d’énergie ou en matière d’infrastructure de transports conditionne la propension des entreprises et ménages à investir, à faire évoluer leurs préférences et à s’adapter ;
- Renforcer les capacités administratives de conception, de mise en œuvre et de suivi des politiques et lutter contre la corruption. Un rapport récent souligne que les progrès réalisés par les États membres pour introduire des méthodes de « budgétisation verte » ou de programmation budgétaire orientée sur les performances environnementales sont encore très inégaux, lacunaires et même le plus souvent inexistants. Un rapport joint OCDE/FMI/Commission européenne souligne par ailleurs l’importance d’insérer ces méthodes dans une approche incluant l’ensemble des mesures réglementaires et administratives même si elles ne sont pas directement étayées par le budget (approche dite « ensemble du gouvernement »).
- Reconnaître les incertitudes inhérentes aux politiques publiques, les inconnus de la boucle économie-énergie-climat, le droit à l’erreur et l’obligation de la corriger.
3. La contribution de la taxonomie verte
La taxonomie de finances soutenable, dite verte[20], a été conçue pour décrire les performances environnementales nécessaires pour qu’une activité économique contribue à un plusieurs de six objectifs environnementaux de l’Union européenne sans nuire aux autres[21].
Son objet est d’informer les entreprises, les banques, les émetteurs et investisseurs financiers ainsi que les décideurs politiques des conditions dans lesquelles une activité économique est soutenable[22].
Elle classifie les activités économiques selon des critères strictement techniques en fonction de leur contribution à la réalisation des objectifs environnementaux. Elle distingue entre des activités économiques durablement compatibles avec l’objectif environnemental ainsi que, en l’absence d’alternative, des activités permettant de réduire à un minimum les dommages environnementaux pendant une période transitoire. Elle reconnaît aussi des activités « habilitantes », facilitant les activités des deux premiers types.
Pas plus qu’elle ne permet à un investisseur privé de juger la rentabilité de l’activité et de décider d’entreprendre, la taxonomie ne permet à elle seule à un acteur public de juger de l’efficacité environnementale de son action même si l’activité financée respecte les critères techniques. Cette efficacité dépendra en général du contexte réglementaire, fiscal et financier dans lequel la dépense s’inscrit, des comportements des acteurs privés destinataires et éventuellement de dépenses complémentaires.
La taxonomie n’en a pas moins à prendre sa part dans l’évaluation de la contribution de certaines dépenses publiques aux objectifs environnementaux. Le respect des critères techniques reste nécessaire chaque fois qu’une dépense publique finance ou cofinance une activité économique, mais il n’est pas toujours suffisant : le processus de construction d’une infrastructure habilitante peut bien respecter les critères de la taxonomie, l’efficacité de cette infrastructure dépend dans la durée de l’intensité de son utilisation par les usagers et de sa conformité aux préférences de ceux-ci.
4. L’approche de la Facilité Relance et Résilience
La méthode choisie pour la Facilité Reprise et Résilience se rapproche des propositions plus haut. Elle établit un lien entre des dépenses et des mesures non financières (les « réformes »). Elle met l’accent sur les capacités de mise en œuvre et la lutte contre la corruption. Elle associe des financements à des objectifs spécifiques politiquement agréés au niveau européen (transition écologique, transitons numérique, cohésion régionale et socle des droits sociaux fondamentaux) sans toutefois abandonner l’objectif mal défini d’un renforcement d’output potentiel.
Sa gouvernance qui laisse la main aux États pour la conception et la mise en œuvre de la politique et prévoit une validation du programme au niveau européen semble à ce stade être un succès. Elle pourrait inspirer les modalités d’un accord sur les dépenses à privilégier et les mesures devant les accompagner, à condition toutefois de ne pas interférer avec des choix de politique nationale sans lien direct avec l’objectif spécifique poursuivi.
Trois faiblesses méritent cependant d’être soulignées qui s’expliquent probablement par l’urgence avec laquelle les déboursements devaient intervenir. La non-insertion dans une programmation budgétaire de long terme, l’utilisation d’indicateurs de moyens, et non de résultats ainsi qu’une « taxonomie » des dépenses et une évaluation des mesures fondées sur les objectifs déclarés et non sur des performances attendues[23]. Il en résulte une asymétrie d’information entre le décideur national et des tiers. Ceci est préjudiciable aux fonctions de contrôle qui doivent être exercées par un tiers, que ce soit par une autorité européenne devant valider le plan et surveiller sa mise en œuvre, ou par la représentation politique, par celle de la société civile ou des partenaires sociaux exerçant un contrôle démocratique.
Conclusion
Les nouvelles règles budgétaires devront permettre une hausse substantielle des financements affectés à l’objectif d’une transition juste. Les raisonnements étayant les politiques macroéconomiques doivent intégrer la boucle de rétroaction économie-énergie-climat. Et une attention plus grande qu’actuellement doit être accordée à la qualité des finances publiques. Les progrès dans ces deux dimensions conditionnent la pertinence de la hausse durable des dépenses publiques qui est nécessaire au regard de la crise climatique.
Une programmation budgétaire multi-annuelle doit s’imposer. Les capacités en matière de « budgétisation verte » et d’évaluations d’impacts sociaux et environnementaux, y compris pour identifier les conditions de l’acceptabilité des mesures, devront être renforcées. En tout état de cause, une coordination et coopération étroite entre le ministère des finances et les ministères sectoriels devra être organisée. Les nouvelles règles budgétaires européennes devraient inciter les États à progresser rapidement dans ces domaines. A l’heure actuelle, le dérèglement climatique et la détérioration de l’environnement creusent encore leur avance sur les montants mis en oeuvre et les méthodes budgétaires utilisées dans les ministères des finances pour les combattre
Certaines mesures indispensables à la transition prendront du temps pour être décidées: parce qu’il s’agit de décisions lourdes engageant le pays pour des décennies et nécessitant des débats démocratiques éclairés difficiles (centrales de production électrique) ou parce qu’elles supposent une prise de conscience ou évolution des préférences par l’information et consultation (mobilité urbaine). Des tâtonnements peuvent aussi être nécessaires pour une meilleure compréhension des comportements ou préférences, par exemple pour le design des transferts sociaux facilitant le consentement à une hausse des prix de l’énergie ou pour la diffusion d’innovations technologiques.
Mais ceci ne doit pas être une raison de procrastiner : il existe des fruits faciles à identifier et à cueillir dans de nombreux domaines, la préparation à la reconversion professionnelle des salariés des industries carbonées, certaines infrastructures pour des mobilités alternatives qui seront de toute évidence incontournables, l’efficacité énergétique des bâtiments, l’investissement dans les énergies solaires, et le plus souvent éoliennes, et l’utilisation des sols. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre pour les cueillir.
Ollivier Bodin, Ancien fonctionnaire international et fondateur de l’ONG Greentervention
Une réponse à “Des règles budgétaires européennes « fit pour 55 » : la dimension qualité”
Merci pour cet article très riche ! Il n’y a plus le choix il va falloir passer à l’action et changer quelques mentalités…