Le débat sur le climat a réveillé des réflexions de fond sur le statut d’un énoncé scientifique. Même si la mauvaise foi la plus évidente est à l’origine de ce débat il n’est pas inutile d ‘en profiter pour éclairer la question.

La démarche scientifique est née avec Galilée, le premier à avoir mis en lumière que la vérité ne pouvait pas être issue d’un principe d’autorité (c’est vrai parce que celui qui le dit est …le pape, un puissant, une autorité reconnue, une personnalité « autorisée ») mais de la confrontation avec la réalité par le biais d’une expérience reproductible. Cette révolution ne s’est pas fait sans mal. Les détenteurs de la Vérité qui en tiraient une position dominante et des avantages se sont retrouvés progressivement en Occident dans la peau de « croyants » sans influence. On comprend qu’ils n’aient pas accepté cette perte facilement1.

L’efficacité de cette démarche expérimentale n’est plus à prouver; elle a valu la domination militaire et intellectuelle de l’Europe pendant 3 siècles, une profusion de découvertes conceptuelles et technologiques dans tous les domaines. A l’inverse dans les domaines où l’expérience est difficile ou impossible (la majorité des sciences dites humaines) la pêche est moins miraculeuse.

Karl Popper2 s ‘est intéressé à ce qui distinguait la psychanalyse et la physique. On lui doit le concept de « réfutabilité » qui, selon lui, permet de distinguer science et idéologie. Un énoncé est scientifique s’il est réfutable, c’est-à-dire s’il est possible de construire une expérience qui permettrait de montrer qu’il est faux. C’est toute la démarche qui consiste à formuler des hypothèses qu’il est possible de vérifier  ou d’infirmer. Popper était très sensible à la notion de contre-exemple et à la faiblesse logique du raisonnement par induction, faiblesse remise en valeur par Taleb dans son cygne noir3 : ce n’est pas parce que je n’ai vu à ce jour que des cygnes blancs que tous les cygnes sont blancs. Il suffit que j’en voie un noir pour m’en rendre compte. Un contre-exemple suffit à démolir une thèse, mille exemples ne permettent pas de l’établir scientifiquement.

Le recours à l’expérience reproductible et ce souci de n’affirmer que des choses « testables » est à l’origine de la notion de doute scientifique, très voisine de celle de réfutabilité. L’esprit scientifique est celui de la critique et du doute. En quantité, peu d’Einstein et de grandes inspirations dans le travail scientifique ; beaucoup de travail de critiques de vérifications (avant de remettre en cause la mécanique quantique disait Richard Feynman vérifiez que les plombs n’ont pas sauté).

A l’inverse la démarche idéologique est un empilement d’arguments visant à étayer la thèse défendue. Et elle a une capacité à intégrer par des artifices ad hoc les contre-arguments et les contre-exemples. Exemple dans le domaine de la psychanalyse : si vous niez l’existence de l’inconscient c’est que vous en êtes l’esclave (le raisonnement était le même avec le diable…). L’histoire de la pensée montre que cette démarche, au fond celle de l’argumentation raisonnée, se retrouve dans des biens des domaines : la théologie, le droit, l’économie, la politique…la vie des affaires. Elle n’est pas réservée aux grandes idéologies comme le marxisme ou la psychanalyse.

Ce concept de réfutabilité a sans doute fait trop bonne fortune. On pourrait en déduire en effet que la science ne peut pas, par définition, énoncer des vérités. La vérité serait en dehors du champ de la science ; elle serait cantonnée dans celui de l’idéologie et de la religion. Ce serait une affaire de croyance ou de foi.

Manifestement les choses ne sont pas si simples : la démarche scientifique permet en effet de construire des faits qui deviennent des vérités de fait exprimables par « il est vrai que », de la même valeur (de vérité) que la vérité de fait élémentaire, comme celle par exemple selon laquelle en ce moment « il est vrai que je rédige un texte ». La loi de la gravitation est non seulement vraie mais vraie d’une manière incroyablement précise, les lois de l’électromagnétisme « marchent » et ainsi de suite. Un exemple intéressant de la construction d’un fait scientifique est celui de la dérive des continents. Avant Wegener la croyance dominante chez les géologues c’était que la surface de la Terre n’avait pas bougé. Sa thèse de la dérive des continents assez bien étayée fut combattue jusqu’à sa mort. Il fallut les travaux de Xavier Le Pichon et ses collègues sur la « tectonique des plaques » (publiés en 1968) pour montrer que les continents avaient bien été l’objet d’une dérive et pour expliquer comment cela avait été possible. La dérive des continents est maintenant un fait acquis. C’est ainsi que marche la science dans l’immense majorité des cas, et c’est ce qui fait d’elle une entreprise de capitalisation collective des savoirs.

Appliquée au cas de la dérive climatique et de ses causes, les choses sont du même ordre. Les travaux de milliers de scientifiques montrent l’impact des émissions de gaz à effet de serre. Les conclusions synthétisées par le GIEC ont le même statut que celles de la dérive des continents : non pas une idéologie (ce qui serait en effet contradictoire) mais bien celui de vérité scientifique. Que certains ne le reconnaissent pas n’y changent rien. Il est toujours possible que certaines personnes pensent que la terre est plate, cela ne change rien à sa« rotondité ».

Alain Grandjean

1 Quand on y réfléchit froidement la vraie question c’est plutôt « pourquoi ont-ils accepté de se faire dessaisir de ce qui faisait leur pouvoir ? ». Les principales civilisations concurrentes n’ont pas franchi le pas. Les théocraties ou les empires ont toujours tout fait pour empêcher l’émergence de l’esprit scientifique.

2 Voir par exemple « la logique de la découverte scientifique », Payot 1973.

3 Voir Le cygne noir

2 réponses à “Science et vérité”

  1. Avatar de Agequodagix
    Agequodagix

    Votre comparaison avec la dérive des continents souffre… On ne peut pas dire que la théorie carbocentrique soit une thèse combattue jusqu’à la mort avant de devenir un fait acquis. Il a même été question de consensus scientifique irréfutable à son propos, jusqu’à ce qu’on découvre dans les mails échangés entre Tom Wigley, Kevin Trenberth, Michael Mann , Stephen H Schneider , Myles Allen, Peter Stott, Philip D. Jones, Benjamin Santer, Thomas R Karl, Gavin Schmidt, James Hansen, et Michael Oppenheimer comment ce consensus avait été obtenu, et les doutes qu’eux-mêmes avaient sur les fondements scientifiques de leur théorie. Les himalayangate et autres bévues n’ont fait qu’ajouter au doute.
    Votre vérité scientifique à propos des conclusions du GIEC me parait hâtive. Il lui manque encore son Xavier du Pichon !
    Et nous sommes encore loin des grandes figures historiques de la science, de Galilée, Newton ou Wegener ! Et beaucoup plus près du commun des mortels, dont les centres de recherches climatiques, les supporters alarmistes ou sceptiques et les Al Gores présentent tant de modestes représentants, plein d’attendrissantes faiblesses humaines.

  2. Avatar de Bernard
    Bernard

    L’analyse devrait aussi intégrer le jeu des lobbies qui parviennent à instrumentaliser les controverses scientifiques. On commence à avoir des travaux sociologiques sur le sujet (Pour une présentation, voir par exemple : http://yannickrumpala.wordpress.com/2008/11/19/les-sources-du-scepticisme-environnemental/ ).