L’une des quelques réelles sources de difficultés de compréhension du changement climatique en cours tient au mélange de conclusions présentées comme solidement établies et d’incertitudes apparemment encore très fortes. Plus précisément elle tient au fait que la sensibilité climatique des modèles reste dans une fourchette toujours aussi large, malgré la complexification croissante des dits modèles. L’incertitude scientifique reste forte alors qu’on intègre de plus en plus de phénomènes. La tentation est forte d’en déduire que les climatologues n’y comprennent rien. Nous allons voir que c’est exactement le contraire qu’il faut en déduire au plan logique.
La sensibilité climatique d’un modèle c’est sa réponse en température à un doublement de la concentration en CO21 . En 1979 la fourchette de réchauffement prévue par deux modèles américains se situait entre 1,5 et 4,5°C. Aujourd’hui elle se situe pour l’ensemble des modèles utilisés entre un peu moins de 2 et un peu plus de 5°C. La fourchette ne se resserre donc effectivement pas.
Pour comprendre pourquoi, je vous suggère de lire le dernier livre2 d’ Hervé Le Treut, directeur de l’Institut Simon Laplace, et l’un des meilleurs spécialistes français de la modélisation du climat, qui analyse en détail cette question (pages 161 à 170). Il montre en quoi elle est principalement liée à la difficulté de modéliser le cycle de l’eau.
Mais l’essentiel ici est la conclusion qu’on peut tirer de ce constat : c’est la robustesse de la conclusion principale des modèles. Tous confirment que la réponse climatique à un doublement du CO2 atmosphérique s’écrit en degrés et non en dixièmes de degré, donc que son amplitude domine, sur ce pas de temps de quelques décennies, celle des fluctuations naturelles ! Les fluctuations naturelles ont besoin d’un temps beaucoup plus long pour jouer dans la cour des grands : c’est bien en degrés que s’exprime la différence entre une ère glaciaire et une ère inter-glaciaire (5 ° C d ‘écart environ) ; quand on sait que dans des scénarios d’émissions prolongeant les tendances actuelles la concentration en CO2 pourrait être multipliée par 3 d’ici la fin du siècle, on comprend que l’incertitude, certes importante sur la sensibilité climatique, ne change rien à la démonstration du fait que ce sont bien les émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre qui vont déterminer le climat dans les décennies à venir et qu’il est vital d’en réduire les émissions.
Alain Grandjean
1 En ordre de grandeur la valeur préindustrielle de la teneur atmosphérique en CO2 est de 270 ppm. La doubler c’est passer à 540, ce qui pourrait intervenir au milieu du XXIème siècle dans certains scénarios d’émission (en gros elle croit en ce moment de 3 ppm par an et elle est de l’ordre de 380 ppm en ce moment). Il ne faut pas confondre cette sensibilité avec l’écart de température à horizon de 2100 qui dépend en plus des scénarios d’émission d’ici là.
2 Nouveau climat sur la terre, Flammarion, 2009