Le tabou monétaire reste toujours aussi vivace.
Elles ont été sauvées par les interventions des Etats, qui se sont surendettés, et par l’intervention de la BCE qui a mis à leur disposition des tombereaux de liquidités créées ex nihilo.
Alain Grandjean
Panorama monétaire en 2013
Comment se peut-il que l’on soit impuissants face à une crise qui dure maintenant depuis près de 6 ans et qui a atteint progressivement une dimension planétaire ?
A notre avis il apparait de plus en plus clairement, même si les autorités monétaires ne veulent pas en convenir, qu’il s’agit d’une crise monétaire d’une ampleur inégalée.
Quelles en sont les origines et les causes réelles ?
Essayons de répondre à ces questions en voyant au préalable comment fonctionnait le système monétaire en période normale, disons avant le premier choc systémique de 2007/2008 analysé plus bas.
A – L’indépendance de la Banque centrale
Les Banques centrales disposent d’une indépendance totale qu’elles ont arrachée aux gouvernants, d’autant plus facilement que l’Etat a, de tout temps, fait la preuve de ses goûts dispendieux. Alors, lui confier la planche à billets suppose qu’elle l’aurait entraîné à toutes les extravagances.
Mais, comme l’exercice d’un pouvoir sans contrôle, ou qui s’autocontrôle, aboutit inexorablement aux pires excès, nous sommes passés d’un pouvoir sous contrôle démocratique à un pouvoir absolu.
Il apparait désormais que les autorités monétaires font passer les intérêts de la corporation bancaire, avant et – si besoin est – contre l’intérêt public.
Mais, comme le pouvoir absolu et ses excès ne peuvent s’étaler au grand jour, il leur a fallu s’organiser pour dissimuler leurs faiblesses, leurs écarts et masquer chaque fois que nécessaire leur incompétence.
Pour conserver taboue la monnaie et mettre ses secrets à l’abri des indiscrets – ce qui est assez facile étant donné l’étendue et la complexité du sujet – la puissance monétaire s’est employée à entretenir la confusion dans les esprits :
1 – A commencer par l’inflation, terme désignant pêle-mêle la cause et ses effets, mais soutenue avec force par la théorie quantitative de la monnaie.
Il y a bien longtemps que l’inflation monétaire n’est plus la cause de la hausse des prix, laquelle s’explique plus simplement par l’attitude de ceux qui ont le pouvoir de les modifier, à la recherche de toujours plus de profits.
Cette théorie définit le niveau des prix en fonction de la masse monétaire (laquelle ?) et de sa vitesse de circulation. Bien qu’ébranlée par les faits depuis de nombreuses années, elle n’a jamais été abattue pour autant, c’est dire son pouvoir de séduction sur les esprits les plus évolués.
Elle sert d’alibi aux banquiers centraux qui n’ont rien d’autre pour justifier leur lutte contre l’inflation – qui n’est qu’un simulacre – qu’ils ont réussi à faire inscrire dans le marbre de leurs statuts. S’en servant comme d’une arme de dissuasion, ils ont réussi l’exploit d’inoculer dans le corps économique de la planète un mal que l’on peut appeler « syndrome de l’inflation », mal qui s’est répandu jusque chez nos élites sous la forme d’un réflexe pavlovien.
Tous les paramètres retenus sont pipés. Il s’agit là de la plus grande imposture monétaire de notre époque (voir ici).
2 – La théorie du multiplicateur monétaire qui « explique quel montant de crédit (de masse monétaire) peut être distribué par les banques à partir de la base monétaire créée par la Banque Centrale » dixit Natixis. Si l’on analyse les informations données par la Banque de France, c’est exactement l’inverse qui se produit.
Encore une théorie tout aussi fausse, mais redoutable d’efficacité car diffusée – on vient de le voir – et admise par la plupart des économistes.
3 – La mesure de la masse monétaire délibérément faussée. Il en est ainsi :
– des banques créatrices de monnaie mêlée aux établissements financiers (qui n’ont d’autre pouvoir que celui de la faire circuler), pratique légalisée par la loi du 24 janvier 1984,
– de la monnaie scripturale mêlée aux instruments monétaires, alors que rien n’est plus facile à mesurer que la monnaie scripturale puisqu’elle est faite d’écritures comptables, et que toute écriture comptable laisse une trace indélébile dans les comptes,
– des dépôts à un terme supérieur à 2 ans qui sont écartés des instruments de mesure sur lesquels s’appuie toute politique monétaire,
tous éléments concourant paradoxalement à fausser les paramètres de la théorie monétariste, mais on n’en est pas à une contradiction prés.
4 – L’utilisation d’un vocabulaire trompeur, des inexactitudes et des discours tronqués. Et de nombreuses incohérences non relevées, car affirmées avec autorité.
Ainsi, la Banque de France a toujours prétendu que sur le marché interbancaire ne s’échangeait que de la monnaie centrale émise par elle, ce qui est faux (voir plus bas). Mais, les enseignants, les étudiants, les chercheurs et les économistes le croient, puisqu’on le leur a appris. Et, pourquoi douteraient-ils de l’affirmation faite par pareille autorité ?
5 – La circulation de la monnaie et la place de l’épargne dans l’économie sont manifestement méconnues en raison d’informations restrictives sinon fausses.
A titre d’exemple, il faut savoir que l’épargne réglementée fait l’objet d’un simulacre de transfert. Elle est amassée dans une monnaie (secondaire) qui ne quitte pas la banque de dépôt, et conservée en l’état. Elle est ensuite – ainsi que la loi l’y oblige – versée dans une autre monnaie (centrale) à la banque chargée de son affectation, si bien qu’elle donne lieu à une seconde émission de monnaie (secondaire) quand elle est attribuée au gestionnaire des fonds (ANB) en vue de financer des projets sociaux. La Banque centrale ne peut pas ignorer cette entourloupe à moins qu’elle ne soit d’une incompétence rare.
6 – Enfin, le summum des excès : les banques centrales décident elles-mêmes des règles comptables qui s’appliquent à leur activité, au mépris des règles les plus élémentaires de la comptabilité. Les irrégularités comptables et le bidouillage des comptes sont ainsi autorisées !
B – Son pouvoir sur l’émission de monnaie par les banques de dépôts
Le lecteur est aimablement invité à se reporter à une étude complète, grâce à ce lien.
En voici les conclusions :
Ayant abandonné aux banques de dépôt le droit et le pouvoir d’émettre la monnaie, dite secondaire, sans réel contrôle, la banque centrale n’a aucun pouvoir sur l’émission de monnaie par les banques et par voie de conséquence aucun pouvoir sur la stabilité des prix dont elle s’est elle-même investie de la responsabilité suprême !
Elle abuse l’opinion publique en prétendant lutter contre une inflation monétaire qui n’existe plus depuis longtemps, la hausse des prix ayant une origine qu’il faut rechercher dans les comportements de ceux qui par ce moyen font leurs profits.
Elle utilise le seul instrument de bord – la masse M3 – complètement déboussolé, car reposant sur une mesure pertinemment fausse, et elle le sait ! De plus, elle ne peut ignorer que la Fed a abandonné cet indicateur (en 2006) car son évolution est sans corrélation, ni avec celle du PIB, ni avec celle de l’inflation.
Enfin, des réserves obligatoires qui ne servent à rien ! Bref, tout n’est que faux-semblants à destination de l’opinion pour masquer ses carences !
Les autorités monétaires ne maitrisent rien du tout et on peut même se poser la question de savoir si la complexité du système et le voile qu’elles ont jeté délibérément sur la monnaie – pour la conserver taboue – ne les ont pas aveuglées au point de les priver de la lucidité indispensable pour assurer une saine gestion monétaire.
C – Deux monnaies scripturales, deux compartiments à circuits indépendants l’un de l’autre
Ainsi que le savent les initiés, il existe deux monnaies scripturales – issues d’écritures comptables – la monnaie centrale émise par la Banque centrale et la monnaie secondaire émise par les banques de dépôt.
On suppose généralement que ces deux monnaies sont substituables, alors qu’il n’en est rien. C’est une particularité de la monnaie scripturale qui semble échapper à la connaissance des initiés, puisque tout le monde s’étonne de voir que les liquidités massivement émises en faveur des banques par la super-banque ne servent pas l’économie réelle, mais alimentent la trappe à liquidités.
Pour qu’une monnaie scripturale donnée puisse s’échanger, il faut nécessairement deux comptes ouverts dans la même monnaie, celui qui est débité et celui qui est crédité. Ainsi,
– la monnaie centrale ne peut s’échanger qu’entre titulaires de comptes ouverts à la Banque centrale : les banques et le Trésor Public ; il n’existe plus de comptes d’agents non bancaires (ANB) depuis longtemps à la Banque de France, par exemple,
– la monnaie secondaire ne peut s’échanger qu’entre titulaires de comptes ouverts dans une banque de dépôt, soit les ANB.
La Banque centrale qui ne peut ignorer cette caractéristique spécifique de la monnaie scripturale entretient ici aussi la confusion, en se taisant.
D – Compensation et règlements interbancaires
Le lecteur est aimablement invité à se reporter à une étude complète, grâce à ce lien.
On est ici au cœur du système monétaire, fortement endommagé par 2 chocs systémiques (voir chapitre suivant).
La compensation est l’outil qui traite quotidiennement – par dizaines de millions – les instruments de paiement que s’échangent entre eux les ANB disposant de comptes dans des banques différentes. S’il n’existait qu’une banque, il n’y aurait pas de système de compensation.
De plus, abusant de leur position dans la place, les banques utilisent la compensation pour un grand nombre de leurs opérations pour propre compte. La Banque centrale le sait, mais laisse faire.
La compensation est un système binaire dans lequel les positions débitrices et créditrices s’annulent à tout moment, ce qui fait que le marché interbancaire sur lequel elles se règlent n’est pas un marché au sens habituel du terme puisque l’offre est égale à la demande.
Après compensation, les opérations de traitement s’opèrent à trois niveaux :
1 – Les banques débitent ou créditent les comptes de leurs clients, selon le sens des transactions, en monnaie secondaire, la seule qui a cours entre ANB comme il a été dit au-dessus.
2 – Les banques ont et constatent des positions parallèles à celles de leurs clients.
Quand une banque débite le compte de son client, la somme quitte son établissement ; elle doit donc constater une dette envers la banque adverse. Et inversement, quand une banque crédite le compte de son client, la somme entre dans son établissement ; elle doit donc constater une créance sur la banque adverse.
Constater une dette ou une créance ne signifie pas règlement.
3 – Elles doivent donc solder leurs positions les unes envers les autres, à la sortie de la compensation.
Elles ont pour cela accès au marché interbancaire. Les banques en position créditrice consentent des prêts à leurs consœurs en position débitrice, contre garanties naturellement. Ces garanties sont représentés par des titres, appelés aussi collatéraux, bénéficiant des meilleures notes de la part des agences de notation (principalement les titres subprimes avant qu’ils ne deviennent toxiques et les titres souverains avant que n’apparaissent les risques de défaut).
Sur le marché interbancaire, contrairement à ce que prétend la Banque de France, il ne s’échange pas de monnaie centrale. Il ne s’échange que des accords de prêts/emprunts contre garanties, sans monnaie donc. Et ce n’est pas l’obligation de faire passer toutes les transactions par les comptes des banques chez elle, qui va nous faire croire que les transactions sur le marché interbancaire se font en monnaie centrale, monnaie créée par elle, comme elle le dit. Encore un leurre.
Les banques centrales servent de simple chambre d’enregistrement pour ces opérations interbancaires, dans lesquelles elles n’interviennent pas. Et, si elles ne se prenaient pas les pieds dans les ficelles qu’elles ont placées pour se protéger, elles auraient depuis longtemps trouvé la solution technique au problème de la dégradation du marché interbancaire ((voir chapitre suivant)).
E – Les deux chocs qui ont profondément ébranlé le système monétaire
La crise que nous subissons impuissants depuis près de 6 ans trouve son origine dans deux chocs systémiques qui ont ébranlé les systèmes monétaires nationaux et internationaux, les uns et les autres copiés sur le modèle américain, car en ayant adopté ses normes et ses pratiques plus ou moins douteuses. Enfin, elle s’est internationalisée avec la mondialisation des échanges.
Le premier choc est parti en 2007/2008 des Etats-Unis avec l’affaire dite des « surprimes », gigantesque escroquerie montée de toutes pièces par les banques américaines sous l’œil bienveillant et complice de la Fed, laquelle l’a chèrement payé (tout est relatif) puisqu’elle a dû se mettre – en état de quasi-faillite – sous la protection du Trésor au début de l’année 2011.
La Fed prêteur en dernier ressort a cédé sa place à l’Etat américain payeur en dernier ressort !
Les titres « subprimes » mêlés par titrisation avec d’autres valeurs ont été diffusés par dizaines ou centaines de millions dans le monde de la finance internationale (banques, fonds de pension ..) appâté par des taux d’intérêt élevés. Mais, en devenant toxiques ils perdaient de leur valeur et généraient des pertes dues à leur dépréciation, si bien que l’on a assisté dans l’ombre à un sauve-qui-peut général. Les banques, tant américaines qu’européennes, qui possédaient ces titres en grand nombre ont cherché à s’en débarrasser vers des bad banks ou structures de défaisance, avec plus ou moins de succès selon les pays. Mais, dans la plupart des cas, avec l’aide de leur Banque centrale (vers la SFEF en France).
Conséquence immédiate, les marchés interbancaires s’en trouvent immédiatement affectés car ces titres – appelés aussi collatéraux – ne sont plus acceptés en garantie par les banques prêteuses, d’où le premier choc systémique.
Le deuxième choc provient, semble-t-il, d’une erreur (ou manipulation ?) de politique monétaire invraisemblable de la part de la BCE qui a voulu faire respecter soudainement en 2010 le ratio de l’endettement public (60% du PIB) fixé par Maastricht. Pourquoi ? Alors qu’avant la crise, en 2006, les taux d’endettement avaient déjà dépassés le seuil critique dans bon nombre de pays européens, notamment l’Italie (107%), la Grèce (105%), la Belgique (89%) et l’Allemagne (68%).
S’agit-il d’une politique de diversion destinée à dissimuler les dégâts considérables causés par le premier choc au sein de la profession bancaire, qui ne s’en est pas encore remise ? Ou bien d’une utilisation conjoncturelle des événements visant à favoriser le capitalisme monétaire toujours à l’affut de bonnes affaires ? Ou des deux ?
Jusque là les Etats plaçaient les bons et obligations du Trésor selon leurs besoins propres sur les marchés, principalement auprès des banques (collatéraux), assurances et fonds de placement. Puis jugeant que les limites étaient largement dépassées, la BCE a imposé aux Etats les plus exposés de réduire leur taux d’endettement, sans se poser la question de savoir si sa décision était judicieuse et pertinente, dans l’intérêt public évidemment.
C’est ainsi que l’émission de nouveaux titres a été pratiquement interdite, ne laissant la place qu’au roulement (reports d’échéances) de la dette, ce qui s’appelle de la cavalerie. Si en avril 2013 le Président de la BCE a donné pouvoir à la Banque de France de battre monnaie, cela veut bien dire qu’il en a levé l’interdiction pour la France.
Conséquence de cette politique absurde, il est apparu très vite que les Etats concernés ne pourraient pas rembourser, ce que les marchés ont bien anticipé. Les titres souverains ont subi alors des décotes de plus en plus fortes à mesure que leurs économies se dégradaient et que la spéculation s’en emparait.
Autre conséquence immédiate, les marchés interbancaires ne veulent plus de ces titres en raison de leur risques de défaut et ils ne sont plus acceptés en garantie par les organismes prêteurs, d’où le deuxième choc systémique.
Dès que ces garanties ont été refusées à la sortie de la compensation, les banques emprunteuses se sont alors retournées vers leur Banque centrale : Fed aux USA, BCN en Euro zone. Le règlement des positions se faisant alors pour la première fois véritablement en monnaie centrale, « sonnante et trébuchante ». Les banques centrales acceptent les garanties dépréciées, refusées par les banques de dépôt, alimentant ainsi la trappe à liquidités (selon C ci-dessus).
En Europe en outre, celles qui disposaient de liquidités ont profité de la circonstance pour se débarrasser des titres souverains qu’elles possédaient contre monnaie centrale, les unes et les autres se défaussant alors sur leur banque centrale des pertes passées et prévisibles dues à la dépréciation.
C’est ainsi que la Fed possède pour plus de 1.000 mds $ de titres toxiques et les BCN, devenues bad banks, possèdent des centaines de mds € de titres souverains déprécies, dépréciations que les autorités monétaires européennes se refusent à constater car ce serait reconnaitre l’échec de leur politique.
Le système monétaire est donc en pleine crise systémique, crise due au dysfonctionnement des marchés interbancaires. Cette crise durera tant que ces marchés ne fonctionneront pas à nouveau convenablement, ce qui parait exclu dans l’état actuel du système sauf à le remettre totalement à plat.
Le pouvoir monétaire et les banques ne sont plus très loin de faire passer une annonce du type :
Recherche collatéral désespérément
supposant sans doute que la découverte de nouveaux collatéraux redonnerait vie au marché interbancaire.
Voyons maintenant qu’elle pourrait être la solution évoquée plus haut.
Les marchés interbancaires seraient supprimés. A la sortie de la compensation, les positions des banques, débitrices et créditrices, seraient enregistrées à un compte bloqué à leur nom à la Banque centrale en position ouverte, c’est-à-dire sans règlement. Par le fait même, les dettes et les créances des unes envers les autres deviendraient des dettes et des créances envers la Banque centrale.
Ce qui est totalement différent et contrairement à la situation antérieure, d’une Banque centrale simple chambre d’enregistrement, celle-ci pourrait alors exercer pleinement son rôle de gardienne de la monnaie. On entrevoit aussitôt les perspectives de changement de politique monétaire.
Enfin, n’oublions pas que ces positions résultent de transactions des ANB, opérées dans le cadre des concours à l’économie qui leur ont été consentis. Il est insupportable de voir que les agents non bancaires sont les victimes d’une organisation inadaptée et qui devrait leur être totalement neutre.
De plus, cette solution aurait l’avantage de supprimer les besoins de collatéraux !
F – Relations monétaires internationales
Réservons quelques lignes aux échanges internationaux et intra-frontières de la zone euro pour mettre en évidence le fait que tout se tient en macroéconomie.
Je te tiens, tu me tiens par la barbichette !
C’est Jens Weidman, le président de la Bundesbank, qui a soulevé – sans doute involontairement – le problème dans toute sa dimension quand il a dit notamment en mars 2012 :
Aujourd’hui, la Bundesbank est la seule banque centrale nationale avec celle de Finlande et d’Autriche à afficher un solde positif considérable de près de 500 milliards d’euros sur Target.
Pour de plus amples informations, voir à ce lien.
En matière d’échanges internationaux, il existe une règle fondamentale que les initiés ne peuvent pas ignorer, mais dont ils ne veulent pas tirer les conséquences.
Quand il y a un exportateur dans un pays, il y a un importateur dans un autre pays, et comme la valeur de l’échange est la même pour les deux parties, on peut avancer qu’à l’échelle de la planète, les exportations sont égales par définition aux importations, ce qui veut dire en clair que l’exportation des uns ne peut pas se réaliser sans l’importation des autres.
Autrement dit, les bénéfices des uns se font au détriment des autres.
De la règle exposée ci-dessus découle une autre égalité, généralement oubliée – mais redécouverte par le Gouverneur de la Buba -, c’est que :
A la somme des balances bénéficiaires d’un ensemble de pays correspond par symétrie la somme des balances déficitaires de l’ensemble des autres pays.
La Grèce, pour ne citer qu’elle, subit les effets dramatiques de cette règle. Depuis le début du siècle, elle a notamment importé, pour des dizaines de milliards d’euros, d’Allemagne, de France et des Etats-Unis, des armements – parfaitement inutiles (sauf pour les intermédiaires), si l’on prend en considération l’Union Européenne faite pour la protéger. Elle a émis de la monnaie qui a fait grimper sa dette souveraine dont elle doit maintenant s’acquitter sous le prétexte qu’elle a dépassé les critères de Maastricht !
Il n’est évidemment pas question de lui saisir le matériel militaire fourni !
Les pays déficitaires doivent donc de l’argent aux pays bénéficiaires, par symétrie.
Autrement dit – revers de la médaille – ceux qui exportent sont amenés à prêter à ceux qui importent.
Le cas des Etats-Unis paraît bien être l’exception à cette règle, car ils font fonctionner la planche à billets en dollar selon leurs besoins. Commerçant tant à l’exportation et qu’à l’importation uniquement dans leur propre monnaie, ils ont pu se permettre de lancer en 1971 cette phrase désormais célèbre et toujours d’actualité :
» Le dollar est notre monnaie, mais c’est votre problème. »
De plus, à l’intérieur de leurs frontières, ils se sont bien gardés de signer notre équivalent du traité de Maastricht.
La lutte à laquelle se livrent tous les pays au monde pour exporter est devenue une guerre économicide. La paix commerciale ne peut s’exercer qu’en passant des accords bi-ou multinationaux afin que l’équilibre des échanges soit garanti, leur solde devant être voisin de zéro. Mais, on préfère sans doute la guerre à la paix !
La recherche de toujours plus de compétitivité, et – on ne se cache même plus de le dire – de faire baisser toujours plus les salaires n’a d’autre effet que de ruiner le peuple et de l’amener à l’esclavage économique. Et dans tous les cas de figure, c’est la recherche de toujours plus de profits pour les intermédiaires et multinationales qui surfent sur la mondialisation des échanges.
C’est la plus grande arnaque de notre temps.
G – Sombres perspectives
Faisons le point de la situation.
Des banques centrales qui abusent de leur indépendance. Des banques centrales qui défendent bec et ongles la corporation bancaire, contre l’intérêt public si nécessaire. Des banques centrales qui ont abandonné aux banques commerciales le pouvoir de l’émission de monnaie secondaire en dehors de tout contrôle et qui prétendent malgré tout diriger la politique monétaire ! Une banque centrale américaine qui a couvert, sinon accompagné, la plus gigantesque escroquerie monétaire faite par les banques américaines dans l’affaire des subprimes. Enfin, des banques centrales qui dissimulent leur incapacité à diriger une politique monétaire responsable, en usant de toutes sortes de moyens pour tromper l’opinion et en particulier le syndrome de l’inflation qu’elles ont réussi à inoculer dans le corps économique de la planète entière.
L’affaire des subprimes a provoqué un premier choc systémique dont la corporation bancaire a été la première victime. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé.
En Europe, une politique insensée de la part de la BCE a provoqué le deuxième choc systémique avec l’affaire des titres souverains, au prétexte d’un endettement considéré soudainement excessif si on le rapporte aux taux fixés par les critères de Maastricht, déjà dépassés avant la crise de 2007/2008 !
Aux Etats-Unis, la Banque centrale s’est arrangée pour faire supporter le poids de ses erreurs à l’Etat. La Fed – prêteur en dernier ressort – s’est mise sous la protection du Trésor début 2011, cédant ainsi la place à l’Etat américain devenu pour l’occasion payeur en dernier ressort.
En Europe, la BCE et ses BCN accumulent à leur bilan des titres dépréciés sans vouloir en constater les dépréciations financières. La BCE espère sans doute obliger les pays de la zone à réduire leur dette souveraine de telle façon que leur valeur d’origine soit rétablie. Très mauvais calcul, si c’est le cas, puisque de restrictions monétaires en restrictions monétaires le remède est en train de tuer le malade.
Partout dans le monde (excepté en Zone Euro) aux USA, en Grande Bretagne et au Japon, notamment, les banques centrales déversent des milliards de monnaie nationale dans le but de redresser leur économie en récession ou en très faible croissance. Le résultat est évidemment déprimant, car le diagnostic est faussé par des raisonnements archaïques qui ont pourtant fait la preuve de leur incapacité à redresser l’économie. Malheureusement on n’a rien d’autre à se mettre « sous la dent » pour l’instant.
En Euroland, il apparait d’évidence que l’application stricte des critères de Maastricht nous prive de tout espoir de redressement – si l’on peut dire – par cette voie. On ne peut pas faire du Quantitative Easy chez nous, puisqu’il est quasiment interdit aux BCN de prêter à leur Etat supposé trop endetté. Et les marchés ne sont pas assez fous pour prêter à des Etats considérés déjà en voie de cessation de paiement.
H – Monnaie d’endettement et monnaie permanente – Effets macro-économiques
Règle n° 1 du capitalisme monétaire : le prêteur peut et doit vivre aux dépens de l’emprunteur.
La dette permet au créancier d’exploiter le débiteur quand le taux d’intérêt est supérieur à celui de l’inflation et de le spolier quand il fait défaut. Les garanties s’exerçant alors, le plus souvent, aux dépens du second.
Pire est le cas de la banque qui prête de l’argent qu’elle n’a pas, puisqu’elle le crée.
Il n’est de pays qui ne vit de dette, publique ou privée.
Le principe même de la monnaie-dette, c’est que s’il n’y a plus de dettes alors il n’y a plus de monnaie, et toute l’économie marchande s’arrête. C’est déjà une situation ubuesque.
Et d’ajouter que :
S’il n’y a plus de dettes, il n’y a plus de monnaie, mais aussi que s’il n’y a plus de monnaie, il y a encore des dettes, parce qu’il n’y a pas que les banques qui prêtent de l’argent, la même monnaie étant prêtée plusieurs fois.
Il faut savoir en outre que les banques sont généralement destructrices nettes de monnaie. Voir ici une étude sur le sujet.
Les effets du capitalisme monétaire sont dévastateurs, car celui qui ne peut plus payer doit vendre ses biens pour rembourser.
Les exemples ne manquent pas d’entreprises en panne de trésorerie qui déposent leur bilan. Mais aussi, dans une autre dimension :
– endettement privé : les millions de ménages américains spoliés dans l’affaire des subprimes,
– endettement public : le désastre économique de la Grèce et de Chypre, pour ne citer que ceux-là. Le tour du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie ne sont plus très loin. Mais pour tous la politique est à la privatisation généralisée des biens publics. Il faut rembourser nos dettes ; c’est la priorité des créanciers.
On ferait bien de réfléchir aux conséquences des restrictions monétaires imposées par la Troïka en Europe qui ne visent qu’un but : faire passer les biens publics aux mains de capitalistes de plus en plus avides de richesse et de puissance.
L’examen des publications de l’Insee, l’Institut de statistiques français, sur une longue période (1988-2012) montre que les revenus du capital, appelés revenus de la propriété, se situent en moyenne à un tiers du PIB, avec des pointes à 44,5% en 1993 et à 46,2% en 2008. Et, les loyers (logements, magasins, bureaux, entrepôts, terrains..) ne sont pas compris dans ces chiffres. Exception faite des loyers d’habitation, ils ne sont pas communiqués ou très difficile d’accès. Il est donc permis de supposer que les revenus du capital pourraient être égaux sinon supérieurs aux revenus du travail.
Il y a trop d’épargne.
Le capitalisme envahit petit à petit l’espace économique, réduisant la part du travail dont il tire toujours plus de profit. C’est pourquoi, il faut réduire les salaires de plus en plus pour être compétitifs !
Esclavage économique, avez-vous dit ?
I – Loi macro-économique
Fruit des travaux de recherche de l’auteur de ces lignes, il existe une loi macroéconomique qui commande l’allure de marche de toute activité nationale, donc la croissance. Celle que l’on cherche à obtenir par incantation, ce qui évidemment ne marche pas.
Elle démontre que la sphère de l’activité de production connaît l’expansion ou la récession selon qu’elle est alimentée plus ou moins en monnaie. L’activité nationale fonctionne à peu près comme le moteur d’un engin mécanique. Elle tourne plus ou moins vite selon qu’elle est alimentée plus ou moins en carburant, c’est-à-dire en monnaie.
La conjoncture n’est rien d’autre qu’une économie libérale livrée à l’influence désordonnée, parce que non régulée, des facteurs endogènes opposés que sont l’épargne et le crédit. L’épargne dans le rôle du frein et le crédit dans celui de l’accélérateur. Etant précisé de plus, qu’une balance extérieure déficitaire amplifie l’effet de frein, tandis qu’au contraire si elle est bénéficiaire elle amplifie l’effet d’accélérateur.
Cet aspect macroéconomique et les effets de frein de l’épargne échappent totalement aux théories actuelles. Et, il ne faut pas croire que l’épargne finance l’investissement, comme le laisse supposer la théorie de l’égalité de ces deux termes, à laquelle échappe curieusement le troisième et dernier terme : les échanges extérieurs.
Il apparaît ainsi que la croissance dépend en premier lieu de l’abondance monétaire au sein de la sphère réelle, et ensuite de la maîtrise de ses effets sur les prix, donc sur les revenus.
Le système actuel nous mène lentement mais sûrement à notre perte, avec une accélération due à la crise, car il repose pour fonctionner sur une progression constante du recours au crédit, d’abord pour neutraliser les effets négatifs de l’épargne bancaire, épargne morte, ensuite pour rembourser les emprunts antérieurs sans oublier les intérêts de la dette (nourriture du capital).
Ainsi, nous acheminons-nous progressivement vers une économie comparable à celle du Japon d’aujourd’hui, anémiée depuis deux décennies malgré sa puissance industrielle.
Rappelons que le Japon a l’un des taux d’épargne parmi les plus forts au monde et ses tentatives de redressement de ses exportations, insuffisantes, se heurtent à une conjoncture mondiale déprimée.
Quant aux USA, ils souffrent de deux maux convergents :
– une balance extérieure en déficit chronique, facteur de ralentissement de l’activité de production (cf. loi macroéconomique),
– un fort ralentissement du recours au crédit (consommation, investissement, logement, etc.).
En Europe, outre les restrictions monétaires exigées, la BCE et l’Union Européenne imposent à nos gouvernants une politique de compétitivité qui ruine nos masses laborieuses par la perte de pouvoir d’achat (baisse des salaires, chômage) qu’elle engendre. C’est le prix qu’a dû payer l’Allemagne pour améliorer sa rentabilité et ses ventes à l’exportation sa Parité de Pouvoir d’Achat (PPA), meilleure que celle de la France en 2001 (+3,9%) lui est devenue inférieure (-8,5%) en 2012 (cf. Statistiques OCDE).
La conséquence en est le ralentissement de l’activité de production, car ce sont les revenus modestes qui ont la plus grande propension à consommer face aux revenus élevés qui ont une plus grande propension à épargner.
Dans tous les cas, on observe un déséquilibre épargne/crédit, les effets de frein (épargne) sont plus puissants que les effets d’accélération (crédit).
L’épargne monétaire n’est ni mesurée, ni maitrisée.
J – Solutions
Si l’on veut sortir de cette impasse, il est vital d’émettre de la monnaie dite permanente, c’est-à-dire sans intérêt, ni échéance de remboursement, afin de neutraliser les effets nocifs des destructions monétaires dues aux remboursements des crédits bancaires.
Si l’on veut diriger l’allure de marche de l’activité nationale vers la croissance et l’amélioration du pouvoir d’achat de nos populations laborieuses :
La régulation monétaire est l’unique moyen d’y parvenir et seul l’Etat est apte à en assumer la fonction.
La gouvernance d’un pays ne doit plus être affaire de fiscalité, mais de finance et de monnaie.
Des solutions pour une réforme du système monétaire et de sortie de crise ont été données par ailleurs.
Jean Bayard
9 réponses à “Panorama monétaire en 2013”
Ouch, il faut s’accrocher !
Quand je pense que je me suis embêter à faire une video candide sur le sujet hier : http://www.youtube.com/watch?v=Rfs6kb7HPrE
Quelques questions :
– Depuis quand et pourquoi les banques (non centrales) ont-elle le droit de créer de la monnaie ? Il me semble qu’elles doivent la détruire ensuite avec le remboursement non ?
– J’ai longtemps cru que les banque centrales étaient des instrument publics créés par des états, mais j’ai lu récemment qu’elle ont en réalités été créées par des corporations bancaires privées ? Ai-je bien compris ou est ce que je me fourvoie ?
Merci
Un énorme pavé mais que de bon sens.
J’ai tous lu, et je suis content de l’avoir lu.
Merci et continuez comme çà.
Bonjour Quentin,
Je ne sais pas depuis quand les banques de dépôt créent de la monnaie (scripturale) ; depuis qu’elle existe, je présume. Elles la détruisent ensuite lors du remboursement.
En ce qui concerne la création de la Banque de France, par exemple, je vous renvoie à :
http://www.banque-france.fr/la-banque-de-france/histoire.html
Cordialement
jean bayard
Bonjour Quentin
La Banque de France appartient à 100% à l’Etat français (nous) .. il n’en est pas de même de toutes les Banques Centrales (Banque d’Italie par exemple dont les actionnaires sont divers y compris des banques commerciales)
C’est vers 1665 que les orfèvre se transforment en « banquier » et commencent à créer la monnaie scripturale . Voir http://monnaie.wikispaces.com/Cr%C3%A9ation+mon%C3%A9taire
AJ Holbecq
« orfèvres » et « banquiers » avec un « s » dans la dernière phrase 🙁
Merci pour ce lien intéressant. Jusqu’à présent ma culture s’arrêtait à un petit dessin animé appelé « l’Argent-dette » mais qui semble avoir finalement de bons fondements.
Voilà qui semble confirmer vos explications Jean Bayard !
http://blogs.telegraph.co.uk/finance/ambroseevans-pritchard/100025507/italy-floated-plans-to-leave-euro-in-2011-says-ecb-insider/
Comment orienter l’économie vers la transition énergétique? A priori et si j’ai bien compris, le système monétaire actuel qui privilégie le créancier au lieu du débiteur ne peut le faire puisqu’il ne trouve de solution qu’en forçant le débiteur d’emprunter pour rembourser son créancier et non pour se libérer de lui. Bref le débiteur est contraint de produire + avec du pétrole pour que mon fournisseur de pétrole puisse être remboursé des emprunts qu’il m’a accordés….
Me tromperais-je?
Bonjour Olivier (64 ?) peut-être celui auquel je pense ?
Il n’y a pas d’erreur. Seulement à quelques nuances près de mon point de vue.
Celui qui prête a bien l’intention d’être remboursé. C’est une évidence. Je pense que de tout temps le système a permis aux plus fortunés d’imposer l’autorité que leur apporte leur position pour tenir à leur merci les emprunteurs.
Ici, sous l’angle macroéconomique, le système bancaire favorise toujours cette situation, à ceci près que la crise l’a développé de manière dramatique aux Etats de la zone euro qui jusque-là en étaient relativement épargnés.
Après les avoir mis dans l’obligation d’emprunter aux marchés puis de rembourser les marchés, la Troïka oblige les pays de la zone – sud en priorité – à vendre les biens publics au profit des capitalistes les plus fortunés, ceux qui ont prêtés. Les banques sont de plus en plus exclues cette manne, en raison de la crise systémique qui les touche de plein fouet et les a mises hors-jeu.
La France n’échappe pas à la règle générale ci-dessus exposée, car pour observer les critères de Maastricht elle privative un maximum, par nécessité imposée. Elle vend progressivement ses bijoux de famille. Il est même question de privatiser les hôpitaux publics en réduisant leurs activités.
Pour répondre enfin à la dernière remarque formulée, je rappellerai simplement que les problèmes de contrepartie disparaissent dès lors que les échanges commerciaux sont équilibrés : export = import (solde voisin de zéro).
Cordialement