Jeremy Rifkin est un prospectiviste américain bien connu en Europe. Il est parfois considéré comme un « techno-optimiste » un peu rapide dans ses conclusions (il est connu pour avoir annoncé un peu tôt la fin du travail ou le passage à une économie hydrogène). Pour autant son dernier livre vaut le détour, même s’il est critiquable sur plusieurs aspects ce sur quoi je reviendrai à la fin de cette rapide recension. Par ailleurs, J. Rifkin a une certaine influence et une capacité à parler à des dirigeants qui n’est pas anecdotique.
Voici d’abord les points forts de cet essai.
1. Il prend très au sérieux le risque climatique au plan physique et comprend en quoi il représente bien un risque pour nos civilisations
2. Il insiste fortement sur le risque symétrique, dit de transition, celui de voir les activités économiques liées aux énergies fossiles s’effondrer (c’est le risque d’effondrement ou celui d’éclatement de la bulle carbone) pour éviter le risque physique précédent ; le délai qu’il met en avant (d’ici 2028) est court mais pas absurde, tant les tensions ne peuvent que croître dans ces activités. Il a par ailleurs le mérite de décrédibiliser le captage-stockage de CO2[1] et d’insister sur le fait que le gaz n’est pas une solution pérenne, et que c’est l’un des secteurs où les risques « d ‘actifs échoués » est le plus élevé.
3. Il présente une vision globale et une feuille de route ambitieuse ; en un mot, il a compris que nous devions faire l’équivalent d’un effort de guerre. Il comprend le rôle clef du développement des infrastructures et en l’occurrence des infrastructures bas-carbone dans le développement économique. Il chiffre les besoins d’investissements pour le cas des Etats-Unis à 9,2 trillions de dollars sur 20 ans, soit 4,6% du PIB par an ce qui est dans les bons ordres de grandeur (sachant que les infrastructures « classiques » sont dans ce pays dans un état déplorable).
4. Il fait des propositions en termes de gouvernance des entreprises et des projets, de financement, de budget et de fiscalité (il pousse la taxe carbone et la suppression des subventions aux fossiles). Soulignons trois idées intéressantes.
- Il suggère que les organisations syndicales exercent une pression majeure sur les fonds de pension (qui gèrent les retraites des travailleurs) pour qu’ils accélèrent le désinvestissement du fossile et réinvestissent dans le bas-carbone. Embarquer ainsi les organisations syndicales me semble une excellente idée. En France où il n’y a pas de fonds de pension (à part l’ERAFP) on peut mobiliser les syndicats sur plusieurs questions de placement, à commencer par les Plans d’épargne salariale.
- Il souhaite le développement des ESCOs, entreprises qui investissent à la place des utilisateurs d’énergie et se rémunèrent sur les économies d’énergies réalisées.
- Il propose l’idée de gouvernance de la transition par « assemblée de pairs », composées de responsables élus, de syndicats, d’universités, d’ONG, …Il cite trois exemples d’intervention de son cabinet : Les Hauts de France, La région métropolitaine de Rotterdam et La Haye, et le grand-duché de Luxembourg. Il serait intéressant d’en savoir plus
5. Il donne une autre image de ce qui se passe et pourrait se passer aux Etats-Unis, et notamment au niveau de certains Etats et de certaines villes, par opposition à l’image donnée par Donald Trump.
6. Il n’oublie pas les enjeux sociaux et les enjeux en termes d’emploi de cette transition et c’est au fond l’un des points qui m’a le plus étonné.
Pour autant ce livre comporte d’évidents parti-pris et angles morts :
1. Il mise bien trop sur les réseaux et l’internet des objets sans discuter des difficultés et des limites (notamment en termes de consommation de ressources) de ce type de technologies quand elles sont déployées si massivement.
2. Il oublie l’agriculture, la forêt et plus généralement les écosystèmes ; il en parle très rapidement (PP112-116) mais n’y revient pas dans sa conclusion.
3. Il sous estime les difficultés de gouvernance au sein de l’Union européenne ; il montre bien qu’il va falloir recourir au levier fiscal ; mais il n’évoque pas les problèmes spécifiques posés en Europe, dès lors il semble vraiment optimiste sur ce plan.
4. Il est très (trop ?) confiant dans la possibilité des fonds de pension _qui financent aujourd’hui largement l’économie fossile_ de changer de fusil d’épaule et de désinvestir. Certes, les fonds de pension sont alimentés par les retraites des travailleurs, et à ce titre devraient intégrer les enjeux sociaux et écologiques déterminants sur l’horizon de « sortie » des placements effectués. Ils devraient également être « gouvernés » plus démocratiquement en tenant compte des intérêts éventuellement non financiers des épargnants. Pour autant à ce stade, ce sont les enjeux financiers de court terme qui dominent et, au-delà de grandes déclarations, on ne voit pas encore vraiment de mouvements de fond. Jeremy Rifkin connaît un peu le sujet suite à l’écriture d’un livre[2] et évoque en particulier avec assez de précision la règle du « prudent man rule » qui conduit à ne pas intégrer les impacts des investissements sur l’environnement au sens large. Cette règle est reliée à la loi d’obligation fiduciaire. Sauf erreur, Rifkin ne dit pas comment la faire évoluer ou la contourner.
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Le livre
Le New Deal Vert Mondial
Pourquoi la civilisation fossile va s’effondrer d’ici 2028 – Le plan économique pour sauver la vie sur Terre
Jeremy Rifkin – Les liens qui Libèrent : 16/10/2019 – 304 pages, 21,80€. Commandez le livre
Alain Grandjean
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