La décision d’une sortie éventuelle du nucléaire et de son calendrier sera l’un des enjeux de la présidentielle. Supposons que le ou la  président(e) élu(e) se lance dans cette direction. Que devra-t-il (elle) faire pour que cette décision et toutes ses conditions de succès puissent se mettre en oeuvre, sans augmenter la dérive climatique?

Comme on l’a vu (voir les précédents posts : l’équation Climat-Energie après Fukushima sortir du nucléaire : à quel prix ? / …: à quel rythme ?commentaires de Benjamin Dessus / couverture du risque nucléaire)  il va falloir notamment que :

  • nos concitoyens réduisent fortement leur consommation d’énergie, et d’autant plus fortement que le calendrier sera court
  • les filières de rénovation et d’efficacité énergétique se professionnalisent rapidement
  • les tarifs de l’électricité augmentent
  • les investissements dans les ENR, dans les réseaux et le stockage de l’électricité s’accroissent
  • les investissements dans les énergies fossiles soient limités
  • le transfert d’usage vers l’électricité soit correctement calibré
  • la sécurité des centrales nucléaires  et de tout le cycle soit parfaitement assurée sur une période de l’ordre de 40 ans (moins pour ceux qui pensent qu’il est possible d’aller plus vite) et bien au-delà pour les déchetset les centrales en fin de vie.

Il est exclu que l’organisation actuelle de la production et de la vente de l’électricité produise cet ensemble de décisions. En effet, les consommateurs n’ont pas intérêt au plan économique à investir pour réduire leur consommation d’électricité (toutes les études montrent qu’ils sont insuffisamment rentables) . Ils n’ont évidemment pas intérêt  à ce que le prix de l’énergie augmente…Les producteurs et fournisseurs d’électricité ont intérêt à en vendre toujours plus, leur seule contrainte étant les certificats d’économie d’énergie dont l’efficacité reste à démontrer. Ils ont intérêt à investir dans les sources d’énergie électriques qu’ils jugent les plus rentables. A supposer que les consommateurs investissent suffisamment pour réduire leurs consommations, il faudra par ailleurs gérer un  risque d’insuffisance de production entre le moment  où les centrales nucléaires seront sorties du jeu et le moment où se matérialiseront ses économies (et la réduction de la demande). Dans ce contexte, ce sera le gaz qui l’emportera. L’électricité française sera alors forcément plus carbonée et plus dépendante d’énergies fossiles importées.

Il faut donc faire évoluer fortement la gouvernance du secteur électrique, ce qui est loin d’être simple, dans le jeu de contraintes actuel, dont la plupart sont décidées au niveau européen. Il n’est pas question ici de traiter par le menu ce sujet complexe, mais juste d’évoquer quelques pistes, et surtout de faire sentir que c’est sans doute la question centrale, celle qui conduira notre politique énergétique dans le mur ou l’orientera vers les solutions d’avenir.

Côte maîtrise de la demande, la question centrale est celle du financement des dispositifs d’économie d’énergie. Leur rentabilité n’étant pas suffisante pour le privé et le public étant exsangue, il faudra recourir à  des solutions vraiment innovantes (voir le blog de notre proposition « Financer l’avenir sans creuser la dette » et les posts sur le sujet, ici, et ). Ensuite il faudra favoriser le développement des filières permettant de réaliser ces investissements. Enfin il faudra jouer sur le levier réglementaire, en s’appuyant sur la dynamique européenne en la matière (c’est l’Europe qui a conduit à la sortie des ampoules à incandescence, elle peut  sortir les chauffages électriques « grille-pains » et imposer  des pompes à chaleur performantes et beaucoup moins chères que les PAC actuelles – pour ceux qui adoptent le chauffage électrique.

Côté réseau électrique, la solution la plus simple consiste à nationaliser RTE et ERDF pour qu’ils puissent investir rapidement  et dans le sens voulu dans le cadre de cette nouvelle politique énergétique. Ils pourront de plus jouer un rôle dans un cadre européen qui est difficile tant que leur actionnaire (EDF aujourd’hui) est à capitaux en partie (15% à ce jour) privés.

Côté pilotage de l’offre, il est indispensable de mettre en place une taxe carbone à un niveau supérieur à celui généré par le marché européen de quotas ((par exemple 40 euros la tonne de CO2, pour rattraper le retard pris par rapport aux recommandations de la commission Quinet,  croissant à 100 à horizon 2020)).  Il faut ensuite et surtout sortir de la situation rocambolesque actuelle. La loi NOME qui vise à organiser une transition vers une organisation concurrentielle de l’électricité  complexifie une situation déjà incompréhensible au commun des mortels. Cette complexité provient de la volonté farouche de l’Union Européenne exprimée dans ses traités,  de libéraliser le secteur (tant du côté amont de la production que du côté aval de la commercialisation) sans que les avantages pour les français soient évidents. Le tarif de l’électricité est plus bas que la moyenne européenne. La libéralisation ne peut que produire une hausse du prix de l’électricité française. Les investissements à réaliser sont très lourds et accessibles qu’à une petite poignée d’acteurs.  Enfin EDF bénéficie et bénéficiera encore plus après l’adoption de la loi NOME d’une « rente nucléaire » (l’écart entre les coûts de l’énergie nucléaire résultants d’un parc en cours d’amortissement et les prix moyens européens très supérieurs). L’affectation de cette rente est évidemment déterminante pour l’avenir énergétique français. Ce peut être une opportunité dans une gestion de moyen terme de la sortie du nucléaire.

La solution consiste sans doute à ce qu’une agence publique prenne la main sur la fixation des tarifs, tournant  le dos à la libéralisation complète du secteur et  à la fixation du prix par le marché. Cette agence (tout ou partie de RTE?   autre?) devra acheter l’électricité  (en production et en capacité) sur la base de quelques principes à définir. Il sera alors possible d’affecter une partie des revenus liés  à la rente nucléaire (( dont le niveau dépendra de manière centrale de la vitesse de sortie du nucléaire, elle sera d’autant plus importante que cette sortie sera lente et opérée via le prolongement des centrales existantes)) à une redistribution vers les ménages en situation de précarité énergétique et au financement d’un fonds d’économie d’énergie.

Côté sécurité nucléaire, le plus simple est que cette agence achète l’électricité d’origine nucléaire à EDF sur la base d’un contrat définissant précisément les objectifs de coûts et les travaux de maintenance et de sécurité à réaliser. Pour la question centrale (l’indépendance de l’autorité de sûreté) il est essentiel que le choix actuel (personnalité forte à l’ASN) soit confirmé et que toutes les garanties soient données pour que l’ASN puisse réaliser sa mission en toute sérénité.

Conclusion : la sortie du nucléaire ne peut s’envisager sans une refonte sérieuse de l’organisation et de la gouvernance de l’énergie. Mais cette refonte n’est-elle pas inévitable dans tous les cas pour faire face au nouveau monde énergétique qui est devant nous?

Alain Grandjean

Une réponse à “Sortir du nucléaire en France : quelle gouvernance, quel financement ?”

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