Nicolas Hulot a annoncé dans son plan climat que « Le Gouvernement prendra l’initiative de proposer au niveau européen une norme Euro 7 ambitieuse et de fixer l’objectif de mettre fin à la vente de voitures émettant des gaz à effet de serre en 2040. Il portera cette position aux niveaux européen et international et réunira une coalition de pays pour promouvoir cet objectif (Pays-Bas, Inde…). »
Cette annonce a été pourfendue par certains medias (L’Humanité met en avant les carences et incohérences du plan Hulot. Challenges évoque le « délire » du ministre) par ce qu’elle serait à trop long terme, parce qu’elle serait irréaliste industriellement, ou ne serait pas compatible avec une réduction du nucléaire dans le mix électrique. Prenons ces points l’un après l’autre.
1 Notons tout d’abord que la question de la voiture individuelle est bien l’un des sujets clefs en matière climatique. Le transport en 2015 c’est 29 % des émissions de GES de la France, soit 130 MtCO2e dont 70 MtCO2e pour les véhicules particuliers (VP) sur lesquels nous allons nous concentrer dans la suite. Le parc de VP est de 33 millions (on ne compte pas les véhicules utilitaires qui se comptent à plus de 5 millions ni les camions) qui consomment en moyenne 6,5 litres au cent[1]. Aujourd’hui 2 millions de véhicules sont vendus par an en France. Cela veut dire qu’il faut plus de 15 ans pour renouveler l’ensemble du parc. La réduction de nos émissions de GES dans ce domaine d’ici 2050, c’est à dire dans 33 ans, doit se faire donc en deux remplacements complets de parcs.
Il est donc très légitime pour un ministre en charge du plan climat de la France de se situer à ces horizons. Et il est légitime d’annoncer un niveau d’émission très bas ; respecter l’accord de Paris pour stopper le changement climatique suppose qu’on ne recourt quasiment plus aux énergies fossiles à cet horizon. On discutera néanmoins au point suivant de la cible exacte (zéro ou très basse émission ?).
2 Concernant le réalisme et la crédibilité de cette annonce, France–Stratégie, l’agence de prospective (ancien commissariat général au plan) rattachée au Premier ministre et dirigée il y a peu par Jean Pisani-Ferry[2]) difficilement soupçonnable de légèreté avait préparé le terrain par une étude publiée en décembre 2016. L’étude présentait deux scénarios aussi ambitieux l’un que l’autre :
- un véhicule 2 litres au cent en 2030 et un véhicule zéro émission au-delà de 2050
- une conversion intégrale du marché européen à la voiture électrique, avec une interdiction de vente de véhicules thermiques[3] en 2040
L’avantage de la deuxième voie, adoptée dans le plan climat du gouvernement est d’éviter les risques de « lock-in ». Miser sur le véhicule à 2 litres c’est risquer de ne pas réussir à se passer de la consommation embarquée par un parc ainsi constitué.
L’inconvénient est clair aussi : il s’agit d’un pari industriel et écologique dont il est difficile d’affirmer aujourd’hui qu’il sera gagné. Fabriquer une voiture électrique n’est pas ni facile ni anodin (en particulier son bilan carbone n’est pas nul, du fait de l’énergie nécessaire à sa fabrication). Et si cette solution se généralise au niveau mondial il n’est pas évident que l’industrie de la batterie arrive à suivre ni qu’elle le fasse de manière durable. Il y a encore beaucoup de problèmes non résolus à ce stade d’usages et de recyclages de matériaux.
Bref le débat est lancé et dans la bonne direction. Il reste du temps pour trancher entre des cibles proches (zéro émission ou très faible émission). Dans tous les cas donner une impulsion et un cap clair et ambitieux est tout le contraire d’une erreur stratégique mais au contraire une nécessité, reconnue par le comité français des constructeurs automobiles.
3 A l’horizon 2025, il n’y aura pas de problème d’approvisionnement électrique même en réduisant raisonnablement la part du nucléaire (cf post précédent : « 50% de nucléaire en 2025 : est-ce compatible avec le plan climat ?« ). Supposons, ce qui semble très optimiste, que roulent alors 2 millions de voitures électriques (il y en a moins de 100 000 en circulation aujourd’hui et il s’en est vendu 20 000 en 2016). Elles consommeraient alors 4 à 5 TWh, soit 1% de la production actuelle (et moins de 10% de l’exportation nette). Elles ne poseront pas non plus de gros problèmes de gestion de la puissance pour les recharges.
A horizon 2050 France-Stratégie estime le besoin de production électrique à 90 TWh[4]. Cela devient plus significatif, de l’ordre de grandeur de l’exportation de l’électricité française. Mais à cet horizon la capacité des Enr à produire l’énergie nécessaire ne fait aucun doute dans un scénario 50 % nucléaire. En revanche il est clair que la gestion de la recharge devient un vrai sujet, qui nécessite une analyse approfondie. Vu d’aujourd’hui il semble aux spécialistes possible de le traiter, par des investissements importants. Citons France-Stratégie :
« Enfin, cette option suppose des investissements considérables dans le réseau des bornes électriques. En France, le déploiement progressif sur vingt ans de 30 millions de points de recharge, correspondant à un parc entièrement électrique à 2050, représenterait un coût minimal de 15 milliards d’euros[5], auquel il faudrait ajouter le déploiement (à préciser) d’un million de bornes de recharges rapides, pour un coût compris entre 10 et 20 milliards[6]. Le coût total d’investissement pour la collectivité se monterait ainsi entre 25 et 35 milliards d’euros d’ici 2050. À ce chiffrage s’ajoutent les coûts de renforcement du réseau électrique pour répondre aux appels de puissance liés à la recharge des véhicules électriques. Ces coûts devront être conçus et optimisés dans un cadre plus large : ENEDIS (ex-ERdF) évalue à environ 30 milliards d’euros les sommes qu’il devra affecter avant 2030 à l’intégration des énergies renouvelables et au déploiement des smart grids. »
Conclusion
Le plan-climat a mis sur la table une vision de long terme de grande ambition et pose de ce fait les bonnes questions. Il reste maintenant à les approfondir et pour les prochaines années à donner un cadre plus précis pour que se construise une alliance de l’automobile et de l’écologie, tel que celui qu’a décrit, en octobre 2016, Dephine Batho dans un passionnant rapport parlementaire.
Alain Grandjean
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