La Fed ne montera pas ses taux en 2011 (billet invité de Michel Lepetit)

L’inflation est omniprésente dans le monde. Sa résurgence dans des pays développés encore convalescents a surpris tous les économistes. Dans les grands pays émergents, elle accompagne une forte croissance énergivore. (voir mon article : « inflation = énergie + climat » ).

Devant ce retour de l’inflation qui déstabilise aujourd’hui des acteurs économiques et des décideurs politiques mal préparés, la réaction des grandes banques centrales de l’OCDE va être déterminante dans les mois à venir.

La BCE a remonté son taux directeur en avril 2011, donnant ainsi le signal qu’elle mettait fin à la politique économique très accommodante mise en œuvre depuis la Grande dépression de 2008.

Qu’en sera-t-il de la Fed ?

La question n’est pas ici la probable inefficacité de l’arme du resserrement monétaire face à l’inflation actuelle et ses causes : j’évoquerai dans une autre note les effets retards sur l’inflation dus notamment aux subventions locales des prix énergétiques ; retards dus aussi à la gestion des entreprises dans la transmission du signal prix à travers la chaîne clients/fournisseurs (le fameux « pricing power »). Ces mécanismes et la volatilité actuelle des prix des matières premières sont de nature à retarder –mais pas à contenir- la vague d’augmentation des prix en cours et sa diffusion dans toute l’économie.

Constatons d’ailleurs le récent fatalisme lucide de Ben Bernanke en février 2011 :

« US monetary policy can’t do anything about, for example, bad weather in Russia or increases in demand for oil in Brazil or China.”

A travers deux axes d’analyse on tentera ici d’éclairer la politique qui devrait être suivie par la Fed dans les mois à venir.

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Tout d’abord en interprétant une intervention publique de Janet L Yellen du 11 avril 2011 : « Commodity prices, the economic outlook, and monetary policy » (http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/yellen20110411a.htm ). J. Yellen est la vice chairman de la Fed, de tendance démocrate ; elle avait été pressentie pour succéder à B. Bernanke.

Outre qu’il formalise probablement le diagnostic actuel des démocrates sur la crise, ce discours fournit dans sa conclusion des indications claires sur les scénarios à venir imaginables, en rappelant la mission duale de la Fed : la lutte contre l’inflation ET la croissance économique américaine (et donc l’emploi).

“Of course, there are risks to the outlook that may affect the timing and pace of monetary policy firming. In my view, however, even additional large and persistent shocks to commodity prices might not call for any substantial change in the course of monetary policy as long as inflation expectations remain well anchored and measures of underlying inflation continue to be subdued. As I noted earlier, a surge in commodity prices unavoidably impairs performance with respect to both aspects of the Federal Reserve’s dual mandate: Such shocks push up unemployment and raise inflation. A policy easing might alleviate the effects on employment but would tend to exacerbate the inflationary effects; conversely, policy firming might mitigate the rise in inflation but would contribute to an even weaker economic recovery. Under such circumstances, an appropriate balance in fulfilling our dual mandate might well call for the FOMC to leave the stance of monetary policy broadly unchanged.

That said, in light of the experience of the 1970s, it is clear that we cannot be complacent about the stability of inflation expectations, and we must be prepared to take decisive action to keep these expectations stable. For example, if a continued run-up in commodity prices appeared to be sparking a wage-price spiral, then underlying inflation could begin trending upward at an unacceptable pace. Such circumstances would clearly call for policy firming to ensure that longer-term inflation expectations remain firmly anchored.”

Très explicitement, ce n’est donc qu’en cas d’enclenchement de la spirale prix/salaire, que la Fed sous J. Yellen ferait évoluer sa politique monétaire ; et donc pas uniquement si les prix des matières premières continuaient d’augmenter.

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Pour mieux connaître les vues de Ben Bernanke, monétariste affiché nommé par G.Bush, il peut être utile de se plonger dans ses recherches académiques passées.

Dans un article fameux de juin 1997, cosigné avec M Gertler et M. Watson : « Systematic monetary policy and the effects of oil price shocks » (http://econ.as.nyu.edu/docs/IO/9382/RR97-25.PDF) , il analysait les raisons des récessions ayant succédé à un choc pétrolier, en tentant de distinguer (1) les effets restrictifs sur la demande dus aux augmentations de prix, (2) des effets récessifs dus aux augmentations de taux par la Fed (bien que ceux-ci aient été la plupart du temps concomitants).

Il écrivait :

« (…) we find that the endogenous monetary policy response can account for a very substantial portion (in some case, nearly all) of the depressing effect of oil price shocks on the real economy. »

(…) “Overall, these findings help resolve the long-standing puzzle of the apparently disproportionate effect of oil price increase on the economy.”

Ainsi, le Chairman de la Fed pense que ses prédécesseurs ont sur réagi face aux chocs pétroliers passés, amplifiant, voire causant, les récessions. On notera aussi qu’il a une vision « classique », donc biaisée, de l’importance du pétrole dans l’économie. Je recommande vivement sur ce sujet le chapitre 3 du World Economic Outlook 2001 du FMI, « Oil scarcity, growth … » http://www.imf.org/external/pubs/ft/weo/2011/01/pdf/c3.pdf rédigé par Thomas Helbling, probable prochain chief economist du FMI.

Que cette analyse académique de B. Bernanke ait été ensuite très intelligemment critiquée par James D. Hamilton, grand expert du lien entre pétrole, inflation et PIB, dans « Oil shocks and the aggregate macroeconomics behavior : the role of monetary policy » (http://dss.ucsd.edu/~jhamilto/bgwjun01.pdf ) en juin 2000, n’y fera rien. Il est probable que son opinion sur le sujet soit définitivement arrêtée.

Et qu’il va expérimenter pratiquement ses préconisations de l’époque, réalisant ainsi le rêve de tout économiste académique …

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De ce qui précède, on peut donc tirer les anticipations suivantes :

  • Le scénario central piloté par la Fed sous B. Bernanke et J. Yellen devrait être le maintien d’une politique largement accommodante – ce qui n’exclura pas des réactions ponctuelles- pendant toute l’année 2011.
  • Cette politique devrait avoir des conséquences sur le prix du pétrole en dollars (en relation avec les taux de change), ainsi que des effets secondaires recensés par J. Yellen (spéculation et carry trade ; stimulation monétaire des pays émergents …). Les Etats-Unis connaîtraient alors une situation jamais vue depuis l’après-guerre avec une tendance durable à l’augmentation des prix du pétrole en tendance, accompagnant un phénomène de volatilité croissante des marchés de l’énergie ; Avec des niveaux de salaire qui devraient faiblement progresser ; Et avec en outre des conséquences sociales que la seule institution des bons alimentaires dont bénéficient actuellement 43 millions d’américains ne suffira à amortir.
  • Cette politique devrait être poursuivie au-delà de 2011 si le redémarrage de l’activité –comme cela est prévisible- reste anémique aux Etats-Unis, donc sans perspective d’une baisse forte du chômage. Cette reprise de l’emploi est en effet une condition impérative aux USA pour qu’une spirale salaire/prix s’enclenche -à la différence de ce que l’on devrait constater en Europe.
  • La BCE n’a qu’un unique mandat aujourd’hui : maîtriser l’inflation. Il n’est pas certain que la seule gestion du taux de change euro/dollars en continuant de monter ses taux d’intérêt suffise à atténuer le choc actuel et à venir des prix pétroliers, même si le prix du baril de Brent qui a augmenté de 7,9% en dollars entre mars et avril 2011 n’a cru que de 4,6% en euro ; et de 45% en dollars sur un an, pour 35% seulement en euro. Moins douloureux … mais quand même très douloureux …

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J.D. Hamilton concluait dans sa réponse à Bernanke :

“ (…) even if the Federal Reserve did have the power to prevent the Federal

funds rate from rising after an oil shock, such a policy would do little to mitigate the contractionary effects of the shock, though it would nearly double the inflationary consequences for the price level.”

(…) “A key basis for believing that oil shocks have a bigger effect than implied by the Bernanke, Gertler, and Watson estimates is that the biggest effects of an oil shock do not appear until three or four quarters after the shock.”

Il ne nous reste qu’à attendre la fin de l’expérience …

Michel LEPETIT

Président de Global Warning

Une réponse à “La Fed ne montera pas ses taux en 2011 (billet invité de Michel Lepetit)”

  1. Avatar de Panama corporation

    Monetary policymakers similarly must be forward-looking despite the difficulties uncertainties and challenges that entails…So let me explain how I see the outlook for the economy and inflation as well as some of the uncertainties that are influencing our policy choices… ..The outlook for a strengthening economy is gaining focus yet the outlook for inflation is becoming more uncertain. For the second and third quarters of this year headline CPI inflation averaged about 2.5 percent at an annual rate a vast difference from the over 5 percent deflation of the previous two quarters.