Décarboner l’électricité européenne : une opportunité historique pour le gouvernement !

Un prix minimum du carbone pour l’électricité permettrait à l’Europe de respecter l’accord de ParisSi l’on peut se féliciter de la décision gouvernementale d’accélérer la hausse de la taxe sur les combustibles et les carburants (1), le gouvernement doit maintenant reprendre un autre dossier, celui de la taxation du contenu en carbone de l’électricité. Les travaux de la Commission Canfin-Grandjean-Mestrallet ont mis en évidence la difficulté d’une démarche unilatérale sur ce sujet. Il est, en particulier, essentiel de rallier l’Allemagne à cette ambition du fait de son poids politique et économique dans l’Union mais aussi car le mix électrique allemand est bien plus dépendant du charbon que le nôtre.

La fenêtre de tir est étroite mais réelle : au lendemain des élections allemandes et avant la COP23, il sera possible de mettre en place un dispositif très simple étudié de façon exhaustive. La France y a intérêt et continuerait ainsi à montrer son engagement concret. Pour l’Allemagne, c’est le moment de sortir de l’ambiguïté qui consiste à signer des engagements sans aller au bout des actions nécessaires pour les mettre en oeuvre. Le mécanisme proposé permettra de réduire rapidement la part du charbon dans la production d’électricité en Europe de l’Ouest et contribuera ainsi de manière significative à la tenue des engagements climatiques de l’Union européenne.

Avec quelques collègues et amis (2), nous avons réfléchi en profondeur à ce mécanisme et avons publié [allons publier] une note détaillée dont vous pouvez lire le résumé ci-après. Vous pouvez par ailleurs  :

 

L’Union européenne ne peut respecter sa contribution à l’accord de Paris qu’en limitant au plus tôt les émissions des industries utilisatrices d’énergie fossile, à commencer par la production d’électricité à partir de charbon.

Source : DGEC
Emissions couvertes par l’ ETS en 2015. Source : DGEC

 

Tout d’abord, le secteur électrique européen présente le potentiel de réduction le plus important et des coûts de décarbonation parmi les plus faibles.

Ensuite, il n’est pas soumis à la concurrence internationale, et peut donc s’adapter plus facilement aux dispositifs augmentant ses prix de revient sans risque d’impacts sur sa compétitivité ou de fuites de carbone.

Enfin, il est en situation de surcapacité et il est vital, tant pour les acteurs du système électrique que pour la planète, de les réduire en commençant par les plus polluantes.

Ces trois raisons poussent à considérer le secteur électrique comme prioritaire dans une stratégie de décarbonation européenne. Néanmoins le principal instrument, le marché de quotas de CO2,  le système EU ETS, même réformé avec le projet en cours de discussion, ne permettra pas de sélectionner les moyens de production les moins carbonés. Il risque de conduire à l’exploitation et au maintien des centrales à charbon à 2030 alors que des centrales à gaz ne seront pas ou peu utilisées, puis seront arrêtées du fait de la surcapacité du système électrique européen.

Crédit photo :  Greenpeace Polska
Crédit photo : Greenpeace Polska

Pour réduire l’utilisation du charbon dans la production d’électricité, les Etats membres envisagent une voie administrative, consistant à imposer des normes sur les émissions de polluants et/ou à fermer les centrales les plus polluantes. Cette solution, partiellement mise en œuvre en Allemagne, est néanmoins coûteuse pour les finances publiques, du fait des compensations octroyées aux électriciens, et moins efficace sur le plan économique.

Il est préférable d’instaurer d’ici à 2020 pour l’électricité en Europe de l’Ouest un prix plancher de 20 à 30€ par tonne de CO2. Ce mécanisme a une valeur d’assurance sur le prix du CO2 pour le secteur électrique, et serait sans effet dès qu’une réforme suffisamment ambitieuse de l’EU ETS aura été mise en œuvre. Il a l’énorme avantage d’avoir des effets immédiats : dès sa mise en place certaines centrales au charbon seront moins appelées que des centrales au gaz qui deviendront plus performantes économiquement. Ce serait un moyen de répondre à l’objectif français de fermeture des centrales à charbon d’ici 2022, tout en initiant une démarche similaire et coordonnée avec les pays voisins.
Ce système conduirait à une substitution progressive de l’électricité produite par les centrales au charbon et au lignite par certaines centrales au gaz. Ces dernières, verraient une hausse de leur coûts variables mais connaîtraient au global une situation économique identique ou améliorée par rapport à aujourd’hui, au même titre que les cogénérations. Cela permettrait également de limiter le poids du développement des énergies renouvelables sur les finances publiques.

Hulot et Macron ont une vraie fenêtre de tir pour faire bouger l'Europe
Hulot et Macron ont une vraie fenêtre de tir pour faire bouger l’Europe

Pour être efficace, une telle mesure devrait être déployée de concert avec les pays voisins, l’Allemagne puis l’Italie et l’Espagne, ainsi que les pays du Benelux (et également le Royaume-Uni, où la mesure est déjà en place). Pour autant, ce mécanisme peut être initié graduellement par quelques pays puis élargi à un ensemble plus important. Un tel processus décisionnel serait beaucoup moins lourd que celui associé au marché ETS.

Les conditions de mise en œuvre seront cependant cruciales.

  • Un mécanisme de prix plancher donnerait en effet lieu à des transferts financiers importants entre les producteurs d’électricité, les fournisseurs, les Etats et les consommateurs, notamment en raison de l’augmentation des prix de l’électricité sur les marchés de gros. Les études montrent que cette mesure déployée sur la plaque ouest européenne se traduirait par un surcoût de l’électricité aux alentours de 6-7 €/MWh en France et aux alentours de 10-11 €/MWh en Allemagne. Ces augmentations de prix seraient faibles pour les consommateurs résidentiels et tertiaires mais plus significatives pour les industriels. Pour limiter les impacts négatifs sur les industries électro-intensifs, les mécanismes de compensation existants pourraient être maintenus voire étendus.
  • Les revenus pour les finances publiques engendrés par le prix plancher devront financer la reconversion des emplois de l’industrie du charbon dans les pays volontaires, le pays le plus touché étant l’Allemagne. En France, les contrats de transition et les grands chantiers énergétiques pourraient constituer localement des solutions. Les transitions qui ont eu lieu dans d’autres pays pourront également servir d’exemple.

Un prix minimum du CO2 pour l’électricité en Europe de l’Ouest apparaît dès lors nécessaire pour atteindre les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et la cohérence avec le développement des énergies renouvelables.

Il constitue la solution la plus efficace et la plus rapide à court terme tant du point de vue du processus de décision que du point de vue fonctionnel pour cibler le gisement de réduction de gaz à effet de serre le plus important, et parmi les moins coûteux, en Europe.

La note finale paraîtra prochainement sur le site de Terra Nova. Si vous souhaitez l’obtenir avant cela vous pouvez me la demander à l’adresse suivante grandjean.a(a)gmail.com

Alain Grandjean

NOTES

1. Le niveau de la taxe sur les combustibles et carburants devrait se situer aux environs de 50 euros la tonne de CO2  sur la période 2018-2019 ce qui est de nature à rentabiliser des solutions bas-carbone, tant dans les réseaux de chaleur, que dans l’efficacité énergétique ;  le bas prix du pétrole et du gaz est en effet un obstacle au développement de ces solutions.
2. Les auteurs de la note sont Sébastien TIMSIT, Jeannou DURTOL, Antoine GUILLOU, Emilie ALBEROLA et Charlotte VAILLES

14 réponses à “Décarboner l’électricité européenne : une opportunité historique pour le gouvernement !”

  1. Avatar de carlier
    carlier

    bonne rentrée alain

    un élement de contexte : ce qui agite le cocotier politique de l’nrj en ce moment est la décision (scelerate) du conseil d’état de juillet qui devrait faire sauter le tarif réglementé du gaz (ca encore ….) mais qui met en danger le tarif réglementé de l’élec…. potentiel gross crise entre autres c’est le sujet ou le camp eco climat et le camp social pouvoir d’achat risquent de voir leur route se séparer

    f

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      merci François
      tu as raison d’attirer mon attention sur ce point, cela étant pour les TRV de l’elec, sauf erreur, on a 42 euros d’arenh et 8 euros liés au marché qui seraient frappés par une hausse de 1 à 2 euros; par ailleurs il y a des propositions notamment du patron de la CRE qui sont de nature à calmer le jeu me semble-t-il
      c’est pas la mort du petit cheval! à suivre quand même
      amitiés
      ag

  2. Avatar de Richard Lavergne

    Bonjour Alain, espérons que les Allemands, Polonais et quelques autres pays jusque là opposants ou réticents, se laisseront convaincre… Juste un détail : dans ton graphique « source DGEC », le titre ne me semble pas bon car, tel quel, il manque les transports! Amicalement

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      Bonsoir Richard
      merci de ta vigilance pour le graphique je vais regarder de plus près d’où vient l’erreur que tu signales; sur le fond l’intérêt de la mesure est qu’elle n’a pas besoin de l’accord de la Pologne, on vise quelques pays de l’ouest; amict
      alain

    2. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      @richard, je viens de vérifier le graphique est extrait du rapport Canfin_Grandjean-Mestrallet qui avait été revu en détail par les rapporteurs, mais il s’agit des émissions sous ETS ce que ne précise pas la légende; je vais le préciser; merci encore bien à toi ; Alain

  3. Avatar de Pierre Arthuis
    Pierre Arthuis

    Bonjour Alain Grandjean; j’ai deux questions:
    1) « Les études montrent que cette mesure déployée sur la plaque ouest européenne se traduirait par un surcoût de l’électricité aux alentours de 6-7 €/tCO2 en France et aux alentours de 10-11 €/tCO2 en Allemagne » Je ne comprends pas pourquoi la tonne de Co2 émise serait taxée plus cher en Allemagne qu’en France ? La phrase semblerait plutôt parler d’un renchérissement de l’électricité; ne serait-ce pas des €/MWH ?
    2) N’y aurait il pas une possibilité de taxe carbone à la source et une fois pour toute : dès l’entrée du charbon, pétrole gaz sur le sol Européen ?
    Si le premier opérateur (l’extracteur de pétrole, de gaz, de charbon s’il est en Europe) ou bien le premier importateur européen de pétrole, gaz, charbon doit s’acquitter d’une taxe carbone à la source (acquittée par le premier acheteur européen au prorata de pouvoir émetteur de cette source), alors cette taxe carbone, reversée aux Etats Européens, sera belle et bien acquittée une fois pour toute et devrait normalement avoir un impact sur tous les utilisateurs ultérieurs de ces sources (transformateurs,…jusqu’aux utilisateurs finaux). Et nécessairement aussi, cette taxe devrait avoir un effet sur les choix d’investissements en matière d’électricité. Après, pour aller au-delà et taxer le carbone intégré dans les importations grises (tous produits importés autre que les matières premières énergétiques), ce serait sans doute beaucoup plus et trop compliqué mais déjà pour le cas de figure pointé ici (entrée dans l’Economie sous forme de pétrole, gaz, charbon) quel serait la difficulté d’application de cette idée simple ?

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      @pierre arthuis, merci pour votre premier point, c’est en effet une erreur que je viens de corriger, pour le second point sans entrer dans le débat sur les avantages ou inconvénients de ce que vous proposez, tout le problème est que fiscalité en Europe est souveraine, l’UE n’a pas de compétence en matière fiscale sauf quelques exceptions comme l’encadrement des taux de TVA; du coup on ne peut penser qu’un dispositif qui repose sur un mécanisme tel que celui que vous proposez puisse voir le jour rapidement. Ce que nous proposons peut être mis en oeuvre en 2018 en France et peut-être en Italie et en 2019 en Allemagne sans la moindre réforme; bien à vous. AG

  4. Avatar de Christophe Stevens

    Bonjour Alain Grandjean,

    Merci pour cet article qui illustre la complexité d’un problème qui est entre autre structurel (UE).

    Sur le plan technique, pour décarboner l’électricité en Europe à un coût raisonnable, des solutions simples existent mais il faut des Etats forts avec une vision, de grands projet à économie d’ECHELLE…

    Des panneaux photovoltaïques en Afrique du Nord avec une inclinaison forte pour maximiser le facteur de charge hivernal, accepter de perdre un peu d’électricité en été (le capex PV ne coût plus grand chose), des lignes HVDC trans méditerranéennes et enterrées sur le continent (techno éprouvée, coûts connus). Voilà pour la saisonnalité.

    Pour le stockage intra journalier, des STEP géantes à économie d’échelle (LCOES 2 c€/kWh) pour résoudre le problème du coût et la contrainte topographique des STEP conventionnelles. 50 GWh/4 GW par unités, 20 sites de cette taille suffiraient en France (du moins pour la consommation actuelle de 500 TWh/an), 4 km2 par site, bref une goute d’eau, il serait alors même envisageable de se passer de la flexilibité offerte par le grand hydro existant et déconstruire les grands barrages actuels.

    En outre, il faudrait que les unités de stockage soient positionnées en Europe afin de générer une interdépendance énergétique vertueuse avec l’Afrique du Nord. La position de client/fournisseur alternerait alors toute les 12h… et puis, 60 lignes de 1 GW rendraient un tel dispositif de transport sous marin ultra résilient (guerre conventionnelle, attaque terroriste, etc), bien plus que des lignes aériennes AC

    Sources: hypothèses économiques des STEP géantes: en vidéo:
    https://www.youtube.com/watch?v=jJKpLER2Iio

    coût HVDC sous marin, Norned 600 m€ converter AC/DC compris, 700MW, 450 kV, 580 km, pertes 3,7% (source ABB)
    Note concernant les STEP géantes: des technologies 100% éprouvées: mines à ciel ouvert géantes, tunnels, pompage/turbinage sur moins de 600 m de dénivelés, tout cela existe déjà, les coûts sont connus et faciles à extrapoler …

    Qu’en pensez vous?

    Christophe

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      @Christophe; merci de votre contribution, je n’ai pas d’avis technique sur les STEP géantes je vais aller à la pêche aux infos; merci. Concernant l’idée de faire du PV dans les pays d’Afrique du Nord cela me semble stratégique, mais pas facile au plan économique et géopolitique (plus généralement le développement des enr est à favoriser dans les pays où elles sont à très bas coût); concernant le transport par cable oui j’ai bien en tête que ca se developpe à des coûts qui ne sont plus rédhibitoires ( c’est d’ailleurs une des raisons qui fait que le coût de gestion de la variabilité en Europe baisse). Mais la proposition faite ici est à la fois plus « modeste » mais en fait surtout plus praticable. Elle est conçue en fonction des imperfections politiques actuelles de l’Europe et la faiblesse des Etats. Enfin elle se concentre sur le pb qui semble le plus important (et peut-être le plus difficile) la réduction du charbon (et non la hausse des energies décarbonées…). bien à vous.AG

  5. Avatar de Delaurens
    Delaurens

    Ce que vous proposez ne se fera pas pour les raisons suivantes: l’Allemagne ne l’acceptera pas, ce serait pour elle une charge supplémentaire alors que son électricité coûte déjà deux fois plus chère qu’en France. Contrairement à ce que vous dites, il y a un aspect concurrentiel dans le coût de l’électricité et la preuve, c’est que les entreprises allemandes ne payent pas le prix des consommateurs lambda. Donc pour l’Allemagne la aussi il y a un impact qu’elle ne voudra pas supporter. Enfin, remplacer dans votre scénario, le charbon par du gaz, va faire monter le prix du gaz (les gazoducs ont ils d’ailleurs la taille pour alimenter les centrales nouvelles au gaz qu’il faudrait construire?, çela fait il partie de votre étude) et donc renchérir encore le prix et faire diminuer son excédent extérieur et ses revenus. Et l’Allemagne a encore une dizaine de centrales nucléaires à fermer d’ici 2022, ce qui va aussi la mettre sous pression. Et je ne parle pas non plus de la Pologne…

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      @delaurens, merci de vos remarques ; je crois avoir écrit au contraire qu’il y a un aspect concurrentiel… et la note (intégrale je ne peux pas tout dire dans un résumé) aborde le point notamment des electro-intensifs et propose des compensations indirectes (dont le principe a été validé par la commission européenne suite à une demande des anglais) ; il n’y aura pas de nouvelles ccg à construire (on a encore bcp de progrès faisables dans les économies d’énergie) ; et je ne suis pas sûr que le prix du gaz va augementer pour cette raison; mais vous avez raison c’est un point à regarder. Je ne sais pas si l’Allemagne va accepter, je l’espère… je pense qu’il y a une fenêtre d’opportunité, qu’Emmanuel Macron a un très gros crédit en Allemagne et que la COP23 se tenant à Bonn. C’est le moment de commencer à parler sérieusement de ce sujet, sachant que la mesure proposée est à mon avis la meilleure possible (ou la moins mauvaise); la Pologne elle n’est pas concernée par la proposition . Bien à vous. AG

  6. Avatar de Harold HEUZÉ
    Harold HEUZÉ

    Bonjour BNEF vient de publier un article sur le mix energetique allemand.

    Je n’ai accès gratuitement qu’à l’intro, où il est dit qu’une action gouvernementale (pour réduire la production à base de charbon) est de plus en plus probable :

    https://about.bnef.com/blog/ending-nuclear-means-germany-likely-miss-emissions-goal/

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      @harold heuzé merci pour le lien; bien à vous . AG

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