L’annonce de la taxe carbone au lendemain des régionales ne laisse pas de doute à l’interprétation : il s ‘agit bien d’une décision politique1 qui vise à tenter de rassembler la majorité en supprimant un foyer de discorde.
Une erreur politique
Pour autant, c’est une erreur au plan politique: notre pays n’a jamais eu autant besoin de direction et de sens. Une volte-face de plus est l’aveu d’un manque de vision. D’autant quand elle est annoncée par le premier ministre puis par le président de la République dans des discours ne faisant pas la moindre allusion à la nécessité de tenir compte des enjeux écologiques et énergétiques ni du développement durable, alors que le numéro 2 du gouvernement, ministre d’Etat, est toujours le ministre de l’Ecologie. Il est évident que le repli annoncé sur des valeurs traditionalistes ne constitue pas un cadre politique suffisant dans un monde aux incertitudes croissantes et confronté à des risques nouveaux qu’ils soient géopolitiques, sanitaires, énergétiques ou écologiques. Or il est difficile de croire que ces enjeux ne seront pas présents aux élections présidentielles de 2012. Il est encore plus difficile de croire à l’efficacité d’une politique qui ne serait pas fondée sur des processus d’écoute et de concertation permettant de tenir compte sérieusement de l’ensemble des informations disponibles.
Le gouvernement était divisé sur la manière de piloter le passage à une économie durable, avec des missions contradictoires (la relance de la croissance confiée à la commission Attali, la remise en cause du concept et de sa mesure confiée à la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi), avec des difficultés de communication et de coopération bien connues entre le MEEDM et Bercy. Il était sans doute préférable de procéder un remaniement ministériel d’envergure, par exemple en réunissant l’économie et le développement durable, pour impulser un nouveau souffle et un nouveau mode de travail, seul à même de redonner cette direction et ce sens.
Une erreur économique et sociale
Au plan économique, le refus manifeste d’envoyer un « signal carbone », même limité et cantonné (du fait des exemptions du projet de loi), est une grave erreur. Sans ce signal, comment orienter les acteurs économiques vers une économie moins dépendante d’énergies fossiles dont le prix va augmenter inévitablement dans les très prochaines années ? Comment inciter les entreprises à investir dans des produits et des services « bas carbone », dont les ménages et les entreprises auront le plus grand besoin ? Comment préparer les esprits à la grave menace, celle d’une hausse du prix des énergies, qui pèse sur tous ? Rappelons qu’un « signal prix » est entendu par tous les agents économiques contrairement à des discours, et surtout dans une période de perte de confiance dans les autorités, notamment politiques. Ne rien faire sur ce plan c’est laisser les forces de marché décider de ce prix et de ces aléas. C’est laisser les plus précaires dans des difficultés croissantes. C’est ne pas se préparer à un prochain choc pétrolier (annoncé à horizon de 2 ou 3 ans par les entreprises du secteur et par les économistes), dont les effets économiques et sociaux seront insupportables à beaucoup d’entreprises et de ménages.
Une erreur écologique
Inutile de dire qu’au plan écologique, c’est aussi une erreur. A supposer que l’Europe retrouve le chemin de la croissance du PIB, sans taxation progressivement plus forte du carbone dans les secteurs diffus, ce qui était l’objet de la taxe, cette croissance s’accompagnera d’une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Qu’on ne vienne pas invoquer l’argument du poids de la France ou de l’Europe dans les émissions mondiales. D’une part, malgré notre électricité à 90% d’origine hydro-nucléaire nous émettons sur le territoire français environ 8 tonnes de GES par habitant , soit près de deux fois plus qu’un Chinois et 8 fois plus qu’un Indien. Il est vain d’espérer la moindre accord international sur le sujet qui ne comprenne pas un engagement fort de réduction des émissions européennes et occidentales en général (les américains émettant plus de 20 tonnes de GES par habitant, celles des australiens et les canadiens étant du même ordre du grandeur). D’autre part invoquer le plus pollueur que soi pour ne pas polluer c’est dire qu’on n’est pas criminel parce qu’un autre l’est encore plus. Au plan éthique l’argument est un peu léger ; au plan écologique, comment imaginer que des émissions diffuses se réduisent si personne ne s’y met ?
L’abandon de la taxe carbone comporte à l’évidence un autre risque, celui du détricotage, soit dans le processus législatif en cours, soit au moment de la promulgation des décrets, du projet de loi Grenelle 2. Le ministre de l’écologie, Jean-Louis Borloo, et sa secrétaire d’Etat, malgré son courage extraordinaire, ressortent affaiblis par cette décision. Les lobbies ressortent renforcés. Dans une période de tensions économiques fortes, où le chantage à l’emploi va être un atout fort pour éliminer les contraintes environnementales, ce n’était clairement pas le moment.
La fausse fenêtre européenne
Quant au renvoi à l’Europe, il est confus et peu crédible. Confus, car le président de la République conditionne la taxe carbone en France à une taxe aux frontières de l’Europe pendant que d’autres discours la conditionnent à sa généralisation au niveau Européen, techniquement en général via le durcissement imaginé des seuils de la directive Energie sur les accises (directive 2003/96). Ces deux sujets sont complètement distincts sur le fond.
La taxe aux frontières est imaginée pour rééquilibrer la concurrence entre des producteurs européens soumis aux quotas de CO2 et leurs concurrents non européens. Elle n’a que peu d’intérêt, en fait , pour les émissions diffuses visées par la taxe carbone nationale liées au transport et au logement. Jusqu’à preuve du contraire, en Europe, les routiers et les entreprises de BTP chinois sont plutôt rares. La concurrence redoutée par le Medef quand il pense à la taxe carbone nationale c’est d’abord celle des pays européens.
La généralisation de la taxe carbone en Europe est envisagée, notamment par le Medef, via le durcissement des seuils de la directive Energie sur les accises (les prélèvements sur le gaz, le charbon et le pétrole, précisément les produits concernés par le projet de taxe carbone). Cette piste est évidemment à creuser. Mais malheureusement, tout comme pour la taxe aux frontières, parier aujourd’hui sur un accord européen rapide en ces matières c’est croire au père Noël : les tensions au sein de l’Europe n’ont jamais été aussi fortes qu’en ce moment, après la crise grecque, et ne sont pas sur le plan de s’aplanir.
Par ailleurs, pour ce qui concerne la généralisation en tant que telle de la taxe carbone nationale (déjà en œuvre dans plusieurs pays) elle est contraire à l’esprit du Paquet Climat Energie , qui répartit clairement les responsabilités entre la Commission et l’Union pour les émissions des secteurs fortement émetteurs (Electricité, acier, ciment, verre, papier…) et les émissions du secteur diffus, qui ressortissent aux Etats-membres. Enfin comment penser qu’un pays qui vient d’échouer à la mise en place du durcissement d’une fiscalité dans son pays puisse la promouvoir chez les autres ? D’autant que la France a été l’objet d’une procédure d’infraction en 2007 par la commission européenne pour non application de la dite directive…
Concernant la taxe aux frontières, c’est un sujet qui ne peut se traiter sans lien avec la négociation post-Kyoto. Si le bon sens plaide en faveur d’un dispositif qui rétablit les conditions d’une juste concurrence entre entreprises européennes soumises à contraintes et leurs concurrentes qui ne le seraient pas, il s’agit de bien peser la manière d’amener ce dispositif dans la négociation. Il ne semble pas qu’il y ait de consensus, loin de là, entre les Européens sur le sujet.
Adieu la taxe carbone, bonjour la contribution climat énergie !
Faut-il pour autant baisser les bras après cette défaite ? Comment rebondir ? A court terme, il faut terminer le travail commencé et définir le bon dispositif fiscal qui sera plus proche de la contribution climat énergie que du projet de taxe carbone qui est de toute façon carbonisée. Ensuite il importe de sauver autant que faire se peut ce qui reste du Grenelle2, en étant plus que jamais vigilant, du fait de la baisse évidente de la confiance entre les acteurs. Enfin, les problèmes posés ne pouvant pas disparaître par la simple rhétorique, ils vont redevenir pressants et, inévitablement, conduire à la mise en œuvre de la contribution climat énergie. Les conditions de sa mise en œuvre réapparaîtront donc, soit à l’occasion d’un remaniement ministériel, soit à celle des prochaines élections présidentielles.
Alain Grandjean
Une réponse à “L’abandon de la taxe carbone, une triple erreur”
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