La Taxe sur les Transactions Financières (TTF) est une bonne idée. Elle valut la notoriété à son inventeur le prix Nobel d’économie James Tobin, qui proposa de réduire la spéculation à court terme sur les marchés financiers, qu’il jugeait contre-productive, en instaurant une taxe sur les transactions de change. L’effondrement des systèmes financiers en 2008 a mis les Etats devant la facture de l’instabilité financière. A Cannes en 2011, sous présidence française, les 20 plus grands pays du monde réunis au G20 se sont prononcés en sa faveur, nous citons l’article 82 de la déclaration : « Nous reconnaissons qu’au fil du temps, de nouvelles sources de financement doivent être trouvées pour répondre aux besoins du développement. …Nous reconnaissons les initiatives prises dans certains de nos pays pour taxer le secteur financier à des fins diverses, dont une taxe sur les transactions financières entre autres pour soutenir le développement. »
La TTF est au point mort
La TTF pourrait rapporter, selon les estimations, entre 50 et 300 milliards de dollars par an . 50 milliards correspond à la taxation des transactions sur actions et obligations uniquement, à 0,1% et 0,02% respectivement, pour les pays du G20 (rapport de Bill Gates au G20 en 2011) ; 300 milliards, à une taxe mondiale comprenant également les produits dérivés et les devises (Ashford et Spratt, Climate Finance, a toolkit for assessing funding mechanisms, 2011).
Rappelons que la France a mis en place en 2012 une taxe sur les acquisitions d’action (les négociations dans la journée et les achats et ventes à découvert n’étant pas taxées), qui a rapporté en 2014 environ 700 millions d’euros de recettes. La Commission Européenne a proposé en 2011 un projet de directive, sur lequel le Conseil européen n’a pas trouvé d’accord. En 2013, onze pays européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Autriche, Belgique, Slovaquie, Grèce, Estonie, Slovénie), ont lancé, à propos de la TTF, la première « coopération renforcée » dans l’histoire de la construction européenne en matière de fiscalité. Cette procédure permet à certains États membres de lancer une action coordonnée entre eux, lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir la participation de tous les États membres. L’Autriche s’est vue confier la présidence des travaux et le Portugal leur coordination, et l’Estonie s’est depuis retirée de la coalition. L’engagement politique était de trouver un accord fin 2015, avant la COP21.
Les discussions n’ont malheureusement pas abouti. Le Conseil Ecofin du 8 Décembre 2015 a reporté le traitement des questions essentielles qui demeurent en suspens sur la TTF à Juin 2016. Ces questions portent sur l’assiette de la taxe : taxation ou non du négoce d’actions, traitement des activités de teneur de marché, possibles exceptions concernant les contrats de produits dérivés. Enfin, le communiqué mentionne que « les modalités de la future TTF ne devraient pas provoquer une fragmentation du marché unique » et que « le futur accord ne devrait pas aller à l’encontre des intérêts des Etats membres non participants », concernant la définition des lieux de résidence et d’émission pour l’application de la taxe. Le 17 Février, Karine Berger, députée des Hautes Alpes et membre de la Commission des Finances de l’Assemblée, a interpellé Michel Sapin et son homologue allemand Wolfgang Schauble par courrier pour leur demander de relancer le processus de négociation sur la TTF. Dans ce courrier, elle demande la base la plus large possible pour la taxe, « qui doit permettre au secteur financier d’apporter une contribution raisonnable aux coûts de la crise financière, mais doit aussi limiter les transactions nuisibles à l’efficience et à la stabilité des marchés financiers ».
Les blocages de nos processus démocratiques
Nous sommes ici au cœur du blocage de nos processus démocratiques.
- Incapacité des institutions : La TTF est-elle, oui ou non, un objectif des gouvernements du G20 depuis 5 ans ? Les pays membres de la coopération renforcée sont-ils oui ou non désireux de faire avancer la TTF ? S’ils le sont, comment peut-on expliquer qu’après 5 ans de discussions au plus haut niveau, rien n’ait été fait ? Et s’ils ne le sont pas, par peur des réactions des marchés financiers, auprès desquels nos gouvernements empruntent en permanence, pensent-ils gagner l’opinion en reportant les échéances ? Une opinion qui fait souvent l’erreur de dénigrer la démocratie en confondant son existence institutionnelle et les blocages actuels de son fonctionnement.
- Primat du secteur financier : Dans le rapport que nous avons remis au Président de la République en Juin 2015, intitulé « Mobiliser les financements pour le climat » , nous avons indiqué que la TTF « à 11 » était un élément clé pour la mobilisation de financements pour la lutte contre le réchauffement climatique. Nous avons démontré qu’elle pourrait générer en 2020 jusqu’à 10 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires, dont les pays de la coopération renforcée ont un besoin crucial pour faire face aux engagements qu’ils ont pris en 2009 vis-à-vis des pays émergents, et vis-à-vis du Fonds Vert pour le Climat, notamment. Nous déplorons que Mme Berger, dans son courrier à Michel Sapin, ne mentionne pas cet objectif pour la TTF, et se limite à l’enjeu de stabilisation du système financier.
Le climat, lui, n’attendra pas
Le climat, lui, n’attendra pas. La facture du dérèglement climatique est déjà bien présente dans certains pays, et va se présenter très vite dans les nôtres, sous des formes plus directes encore que l’afflux des migrants. Pour ne prendre qu’un exemple, le GIEC indique que le delta du Nil, où vivent 10 millions de personnes, peut être inondé à moyenne échéance. Les travaux d’adaptation et de mitigation prendront du temps. Il faut mobiliser des ressources dès maintenant. L’instabilité financière et l’instabilité climatique sont étroitement liées. La croissance de la finance, c’est aujourd’hui de fait la croissance du financement des énergies fossiles. La financiarisation et la libéralisation de l’économie vont de pair avec l’informatisation très consommatrice d’énergie et de matières premières, avec l’explosion des transports maritimes et aériens très voraces en hydrocarbures. On ne régulera pas le climat sans réguler la finance, et inversement. Nos démocraties en ont encore les moyens. Au moins en théorie. Ne laissons pas le règne de la finance toute puissante nous conduire à la catastrophe.
Mireille Martini
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