Le climatologue Jean Jouzel et l’économiste Pierre Larrouturou ont lancé un appel en décembre 2017 pour que la finance soit mobilisée au service de la cause climatique, l’une des seules qui soient en outre de nature à sortir l’Europe du marasme actuel. Le but de cet article est de discuter des options de financement envisageables[1]. Rappelons que les estimations des besoins en investissements annuels nécessaires pour la transition énergétique sont de l’ordre de 2 % à 5% du PIB européen[2]. Pour la France le montant est estimé par I4CE dans une fourchette de 45-75 milliards annuels (soit 2 à 3% du PIB) dont la moitié relève du secteur public.

La solution de financement proposée dans l’appel se décompose en deux volets.

  • Faire de la Banque Européenne d’Investissement, une Banque du Développement Durable.

Elle serait chargée de fournir aux États membres des financements qui seront intégralement utilisés pour la transition énergétique. Un Traité européen donnerait à chaque pays un droit de tirage correspondant à 2 % de son PIB (à taux zéro) : la France aurait chaque année 45 milliards, l’Allemagne près de 65 milliards etc. Depuis la proposition a été affinée ; il est envisagé de créer une filiale de la BEI, au statut bancaire, qui serait une banque du développement durable[3]

  • Créer un budget européen dédié au climat de 100 milliards par an.

La répartition serait la suivante :  40 milliards pour Afrique & Méditerranée[4], 10 milliards pour Recherche & Innovation, et 50 milliards pour cofinancer le chantier climat européen. Ce budget serait financé par un impôt sur les sociétés de 5%, sachant qu’il est tombé en moyenne au sein de l’UE 27 à 23%.

Cette architecture en deux volets est pertinente.

  • Il faut des financements et les banques publiques doivent être mobilisées pour cela, compte-tenu du caractère d’intérêt général des opérations visées.

Les prêts qu’elles feront créeront de la monnaie et la Banque Centrale pourra les refinancer. Alors  qu’on sait que le quantitative easing a largement échoué à irriguer l’économie réelle  (la monnaie centrale créée circulant dans la monde de la finance et des actifs financiers ou immobiliers, sans effet d’entraînement) la solution proposée a le double mérite de faciliter le financement des projets verts et d’injecter des liquidités dans l’économie.

A un niveau opérationnel, il y a plusieurs options tant au niveau européen qu’au niveau des correspondants au sein de chaque pays. Il serait souhaitable de tirer les leçons du plan Juncker pour optimiser les mécanismes de financement et l’effet de levier à envisager. L’une des plus grosses difficultés consiste à faire parvenir des financements à bas taux à une myriade de petits[5] projets de terrain, que touchent difficilement les structures européennes. L’architecture à mettre en place doit veiller à cette tension.

Mais globalement le choix proposé d’une structure européenne dédiée me semble pertinent dans le cadre institutionnel actuel.

  • Les projets de la transition énergétique sont aujourd’hui souvent insuffisamment rentables, au point que les observateurs en déduisent que ce sont les projets qui manquent.

La rentabilisation de ces projets passe certes par une hausse du prix du carbone, mais on sait qu’elle est politiquement très difficile à faire au bon niveau. Elle passe donc aussi nécessairement par des dépenses publiques supplémentaires. D’abord en investissement direct – faut-il rappeler que l’investissement public a décru dans les dernières décennies[6] et qu’il s’agit de rattraper ce retard tout en décarbonant les infrastructures, les réseaux et les immeubles ? Puis, en aide à l’investissement privé sous différentes formes possibles (subventions directes, tarifs de rachat ou « contrat pour différence », etc.). Là aussi une optimisation est toujours possible et souhaitable en usant de la garantie publique[7] plutôt que du financement direct.

Sur ce deuxième plan, celui du financement de dépenses publiques supplémentaires, la solution de la hausse de l’IS a l’avantage de permettre un budget propre et de ne pas peser sur la fiscalité des ménages. Elle est en revanche problématique au moins à trois titres : les opinions publiques seront réticentes à  accepter aujourd’hui une fiscalité et un budget européens ; les TPE et PME y seront sans doute opposées car elles vivent l’impôt sur les sociétés comme  injuste aujourd’hui (les multinationales ayant la capacité de le réduire fortement via leurs pratiques dites « d’optimisation fiscale ») ; enfin une réforme fiscale suppose l’unanimité des 27.

Il me semble nécessaire  de proposer une alternative : par exemple celle d’une règle d’or européenne[8] consistant à exclure les investissements publics de la transition énergétique des critères de déficits européens. Pour les définir, la taxonomie que va mettre au point la Commission européenne dans le cadre de son plan finance climat, suite aux travaux du HLEG[9] sur la finance durable, pourra être utilisée ; il pourrait aussi être confié un mandat à BEI en la matière.

Concernant l’aide à l’Afrique, il semble préférable d’amplifier et de coordonner les actions des différentes banques de développement européennes pour éviter de recréer des structures et des équipes.

Le débat sur le déficit public pourrait sembler vain en raison de l’opposition idéologique de plusieurs pays de l’UE dont l’Allemagne. Par contre, gagner l’opinion publique me semble plus accessible. Ce serait perçu clairement comme un stimulus macroéconomique conciliant économie et sauvegarde du climat, l’austérité budgétaire ayant clairement fait les preuves de son échec économique et de son danger politique. Ce serait beaucoup plus facile à faire accepter qu’un impôt nouveau, quelles que soient les cibles de cet impôt. La modification des traités serait de faible ampleur. L’idée a déjà été soutenue par un économiste reconnu internationalement comme Olivier Blanchard[10].

Concernant les dirigeants de l’UE la situation est devenue si périlleuse, le gouffre si proche, qu’il semble envisageable de les faire bouger. Quoi qu’il en soit c’est l’esprit du pacte finance-climat de proposer une nouvelle ambition pour l’Europe. Seule, faut-il le rappeler l’écologie peut sauver l’Europe de ses démons.

Alain Grandjean

Notes

[1] Le pacte finance-climat propose que soient mobilisés aussi la hausse du prix du carbone et l’orientation des financements privés vers la transition (ce qui fait l’objet en particulier du plan de la d’action de la Commission européenne pour la finance durable et des actions en France de Finance for tomorrow). Nous ne discuterons pas ici de ces actions essentielles, que nous partageons entièrement.
[2] Les estimations sont difficiles à faire et à comparer. La cour des comptes européennes estime les investissements annuels nécessaires à 1115 milliards d’euros de 2021 à 2030. Le HLEG évalue les investissements cumulés pour atteindre les objectifs énergétiques d’ici 2030 sont à environ 11 200 mds€ et le déficit d’investissement à près de 2 000mds (voir Financing a sustainable Economy – Interim report by the High-Level Expert Group on Sustainable Finance, July 2017.)
[3] Télécharger le document détaillant les propositions
[4] Je ne discuterai pas ici de l’importance d’un plan Marshall pour l’Afrique, essentiel pour aider ce continent à adopter un mode de développement bas carbone, à maitriser à terme la démographie et pour limiter à court terme le besoin de migration.
[5] Le seuil d’éligibilité du plan Juncker a été baissé, mais il reste beaucoup à faire dans le domaine de l’agrégation des petits projets. La difficulté principale réside dans le coût de gestion du montage des petits projets.
[6] Voir le rapport Investissement public, capital public et croissance – Xavier Ragot et Francesco Saraceno (dir.) – OFCE 2016.
[7] Le recours à la garantie publique (si elle est bien maîtrisée) peut être plus efficace que celui de la dépense publique et adaptée par exemple dans les contrats de partenariat public privé.
[8] Voir le rapport de l’OFCE déjà citée.
[9] Voir les rapports du High-Level Expert Group on Sustainable Finance sur le site de la Commission européenne
[10] Voir la contribution d’Olivier Blanchard et Francesco Giavazzi au Rapport du Conseil d’Analyse Economique – Réformer le Pacte de stabilité et de croissance – 2004.

3 réponses à “Le pacte finance-climat : quelles options ?”

  1. Avatar de Laurent ZIBAUT

    Bonjour,

    J’ai lu cet été l’ouvrage de Jean JOUZEL et Pierre LARROUTUROU.
    J’ai tenté de rentrer en contact avec le pacte finace -climat ( y compris sur l’antenne de Charente – Maritime ,j’habite à La Rochelle ) mais sans succès.
    Pouvez-vous me dire si l’idée du référendum avance ?Et vaut-il mieux militer auprès du shift project ( en terme d’efficacité de l’action évidement ) ,les deux entités semblant collaborer ?
    Merci de votre retour .

    Laurent
    06 79 67 81 51

    1. Avatar de Blandine
      Blandine

      Bonsoir Laurent
      Je fais partie du comité local charente maritime
      Je t ‘invite à prendre contact à l’adresse suivante collectif17@climat.2020.eu
      Cdlt
      Blandine

  2. Avatar de Laurent K
    Laurent K

    Bonjour,

    Les semaines qui viennent vont être décisives pour peut-être enfin adopter un plan de financement à la hauteur des enjeux environnementaux. Que de temps depuis 2011 et le dossier « financer l’avenir sans creuser la dette » qui mettait déjà l’accent sur le financement de la transition écologique par la création monétaire. Quels blocages ont différé trop longtemps un tel plan et lesquels restent ils à faire tomber pour enfin le voir mis en place ?
    J’ose espérer que l’on en est plus à opposer le risque d’inflation que nous ferait courir la création monétaire. D’abord parce que la politique de quantitative easing a montré qu’il n’y avait pas un lien direct entre les deux. Ensuite parce que lorsque le réchauffement climatique aura réduit nos ressources alimentaires au point de générer des famines, plus aucune politique monétaire ne pourra enrayer une inflation galopante qui sera liée à la pénurie. Et si nous en arrivons là, tous les tenants d’une politique monétaire très orthodoxe mais manquant d’imagination nous aurons emmenés dans le mur.
    Ce plan vise à financer par des prêts à long terme et à 0 % la transformation de notre civilisation pour limiter notre impact environnemental. Mais, il ne traite pas la restauration de l’environnement à son état pré industriel. Or le rapport du giec est catégorique : nous devrons le faire et le faire vite en parallèle de la réduction de notre impact environnemental. Cette restauration de la concentration de co2, du ph des océans … à leurs niveaux de l’ère pré industrielle va nécessiter des financements spécifiques différents : si l’isolation des bâtiments supporte un financement par des prêts car l’économie d’énergie permet de rembourser l’investissement, comment pourra-t-on financer l’alcalinisation des océans, la captation du co2 dans l’atmosphère ? Il faudra le faire directement par la création monétaire sans parler de prêt. Est-ce que quelqu’un travaille sur ce sujet économique ? Pour l’instant je ne l’ai pas vu.

    Au travers de ce plan, mettons en oeuvre un premier volet, mais n’oublions pas qu’il y en a un second à traiter.

    Cordialement