Pour analyser les effets de la monétisation de la dette publique, il est intéressant de se pencher sur une période de l’histoire française où cette pratique était monnaie courante, (qu’on me pardonne ce jeu de mot trop facile).
Rappelons tout d’abord que l’économie française s’est plutôtbien portée pendant cette période. La croissance du PIB en volume par habitant est en moyenne de 4,1 % sur la période 1950-1973 ; le taux de chômage sur la même période est de 1,8 %.
Les inégalités sociales se sont réduites, des dispositifs sociaux efficaces ont été mis en place. Les crises[1] monétaires etfinancières étaient absentes du paysage. Il n’est pas question icide tenter de faire de cette période un modèle à copier, juste de remettre en cause une idée reçue den matière monétaire, avec quelques données simples.
Regardons du côté de laplanche à billets. Le compte du Trésor Public à la Banque de France pouvait jusqu’en 1973 être débiteur : la Banque France pouvait donc faire des avances à l’Etat. Par ailleurs,dans cette période, le poids des billets (crées par la Banque de France) dans la massemonétaire[2] était beaucoup plus important qu’aujourd’hui : 46% en 1950 contre un peu plus de 15% aujourd’hui. Quant aux dépôts à vue, une partie était issue en direct de la Banque de France par les comptes du Trésor : un fonctionnaire était payé par un chèque tiré sur le compte du Trésor à la Banque Centrale. D’autres acteurs privés avaient leur compte à la Banque de France, ce qui à ma connaissance ne se pratique plus. Bref la monnaie était créée de fait de manière significative[3] par l’Etat et pour son compte. La monnaie centrale s’introduisait directement dans l’économie , ce qui n’est plus le cas aujourd’hui que pour la croissance de la masse des billets en circulation.
Cette « facilité » a-t-elle conduit à une dérive de l’inflation et à celle de la dette publique ? La réponse tient en deux séries statistiques et un petit rappel historique.
Décennie | 1950 | 1960 | 1970 |
---|---|---|---|
Inflation | 6,5% | 3,9% | 8,9% |
Une inflation de 4 %ce qui est la moyenne de la période 1953 à 1973 (ila quand même fallu quelques années pour purger les dépenses de guerre) est-ce vraiment intolérable ?
Les prix ont en revanche connu une vraie poussée au moment du choc pétrolier :
1972 : 6,2%
1973 : 7,3%
1974 : 13,7%
Pour ceux qui ne se le rappellent pas, le prix du pétrole a connu une poussée vertigineuse dans la décennie 70 (il a été multiplié par 8 en dollars constants de 1973 à 1980). On peut comprendre que les prix à la consommation aient un peu suivis… On comprend mal en revanche l’obsession dogmatique qui veut faire croire que c’est la planche à billets qui est à l’origine de cette hausse des prix.
Quant à la dette publique voilà son évolution de 1950 à 2000en pourcentage du PIB
Dette publique française de 1950 à 2000
Année | 1950 | 1955 | 1960 | 1965 | 1970 | 1975 | 1980 | 1985 | 1990 | 1995 | 2000 |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Dette/PIB | 41% | 34% | 28% | 18% | 20% | 16% | 15% | 20% | 25% | 42% | 58% |
A l’évidence jusqu’au choc pétrolier l’Etat français s’est donc désendetté tout en ayant la main sur la planche à billets. Et l’inflation a été maîtrisé à un niveau acceptable ( le chef économiste du FMI Olivier Blanchard a proposé récemment que le taux de 4% soit la nouvelle cible visé par la Banque Centrale, en lieu et place du 2% fétiche, cela me semble assez raisonnable).
Pour nous résumer, les 30 glorieuses démontrent qu’il n’est pas nécessaire de mettre l’Etat sous tutelle des marchés pour qu’il maîtrise sa dette publique, tout en limitant l’inflation àun niveau raisonnable.
Bref si les 30 glorieuses ont pêché ce n’est pas par la monnaie… Les points aveugles de cette période sont maintenant bien connus : une croissance qui se fait sur le dos des producteurs d’énergie et de matières premières (d’où la sidération quand l’OPEP a compris son pouvoir de marché) , une indifférence aux impacts écologiques du modèle de développement, un projet de reconstruction qui n’a pas vraiment embrayé sur un nouvel horizon.
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Mais, surtout la sortie de la crise pétrolière s’est accompagnée de la domination d’une nouveau modèle économique et financier, ultralibéral[4]. Espérons que la crise actuelle va nous permettre de tourner une page plutôt sombre de notre histoire. On a opposé aux 30 glorieuses les 30 piteuses. Elles sont maintenant quadragénaires et c’est vraiment trop.
[1] On s’habitue presque maintenant à la fatalité des crises monétaires et financières qui sont en fait apparues après la fin des accords de Bretton-Woods et le début des changes flottants et de la dérégulation financière.
[2] Masse monétaire M1 qui est le total des moyens de paiement (pièces de monnaie, billets, et comptes courants). Nous avons expliqué ave Gabriel Galand dansla Monnaie dévoilée pourquoi M1 était un meilleur indicateur de la masse monétaire que M3.
[3] Il faudrait prendre un peu de temps pour calculer cette part. Ce n’est pas indispensable à ma démonstration, car ce qui compte essentiellementc’est que l’Etat ait eu le droit de faire « tourner la planche à billets »
[4] Gaël Giraud (voir 20 propositions pour réformer le capitalisme) dirait, sans doute plus justement, libertarien. En un mot ce sont les idées défendues par F.Hayek et poussées par de nombreux think tanks issus de l’association du Mont-Pèlerin, et qui vont réussir à mettre au pouvoir Thatcher et Reagan.
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