Suite aux attaques contre la dette irlandaise, l’Union européenne a annoncé la mise en place d’un dispositif permanent de soutien, se substituant au fonds de stabilisation financière créé pour la crise grecque. La nécessaire révision du traité de l’Union est envisagée1 et les gouvernements allemand et français ont annoncé qu’ils feraient des avancées dans l’ harmonisation des politiques sociales et économiques au sein de l’Europe. La BCE, de son côté, continue son programme non conventionnel d’achats de titres publics et a augmenté son capital.

Ces opérations sont accompagnées de plans de rigueur d’une rare sévérité, visant à rassurer les marchés sur la « qualité » de la gestion publique et la priorité donnée à la maîtrise de la dette.

De nombreux économistes et financiers prévoient une explosion de la zone Euro. Si la spéculation attaque la dette portugaise puis espagnole, ils pensent que les montants en jeu seront supérieurs aux possibilités des gouvernements et de la BCE. Ils pensent en général aussi que les plans de rigueur rendront encore plus difficile le remboursement des dettes publiques par leurs effets récessionnistes réduisant les ressources fiscales. L’explosion de l’Euro leur semble incontournable, à horizon plus ou moins rapproché.

Marine Le Pen surfe sur cette vague et sur la peur latente des français, qui craignent une poursuite du laminage de leur pouvoir d’achat et des risques de perte d’emploi, les moins défavorisés se demandant même si leur épargne ne va pas y passer. Elle communique sur la nécessité et la manière de sortir de l’Euro et de revenir à la monnaie nationale pour pouvoir profiter ultérieurement des effets positifs d’une dévaluation compétitive.

Si l’on ne peut rationnellement exclure à terme une explosion de l’Euro, la vraie question qui est posée, c’est celle de la possibilité non d’une sortie à froid de l’Euro mais celle d’une sortie par le haut de la crise actuelle.

Il s’agit de trouver une solution commune aux problèmes majeurs de la zone :

  • une faiblesse structurelle face à la puissance chinoise et demain des BRIC (Brésil, Inde et Chine) qui la conduit à se désindustrialiser (la désintégration de l’agriculture européenne n’est évitée partiellement que grâce à la PAC, dont la durée de vie est probablement limitée du fait de la permanence de la crise)
  • une divergence croissante entre les modèles économiques et leur performance, entre les pays européens
  • des balances commerciales internes qui divergent également, l’Allemagne l’Autriche et les Pays Bas étant fortement excédentaires les pays du sud étant déficitaires2.
  • des dettes publiques importantes suite à la crise économique déclenchée par la crise financière et aux plans de soutien publics lancés pour limiter la casse
  • des actifs immobiliers dont le prix va sans doute croître, aggravant la crise sociale en les rendant hors de portée des plus modestes et des étudiants tant à l’achat qu’à la location
  • une dépendance énergétique croissante et un risque élevé de choc pétrolier à très court terme
  • des sinistres écologiques croissants (dégâts des eaux, risques de canicules et de tempêtes)

Face à ce carrefour des crises, il n’est plus question de tergiverser en invoquant les doctrines et les dogmes économiques qui ont contribué à la crise. Il faut sortir des sentiers battus et accélérer la mise en œuvre d’un plan d’urgence et de grande ampleur financé directement par la BCE, et centré sur les chantiers prioritaires pour :

– créer de l’emploi et résoudre la crise européenne du logement

– réduire la balance commerciale de l’Europe les déséquilibres internes à l’Europe

– réduire la dépendance énergétique et l’empreinte carbone de l’Europe

La mise en œuvre d’une politique européenne commune, d’un programme de grands travaux centrés sur le logement, l’énergie et l’économie bas carbone s’impose. Elle permettra de redonner un sens concret à la construction européenne avant qu’il ne soit trop tard. Elle peut s’appuyer sur des champions mondiaux dans les secteurs clefs et sur la véritable force européenne dans le domaine de l’innovation.

C’est le sens de nos propositions :

http://alaingrandjean.fr/2010/11/26/la-rigueur-politique-de-gribouille/ et

http://alaingrandjean.fr/2010/05/20/reconstruire-l%E2%80%99europe-sur-3-piliers/

On peut se demander pourquoi la Chine s’est déclarée prête à acheter 4 à 5 milliards d’euros de dette portugaise et 6 milliards de dette espagnole dans les prochains mois3. N’aurait-elle pas en effet intérêt à attendre la décomposition de l’Europe pour acheter4 à vil prix les actifs extraordinaires de cette zone tant au plan forestier et agricole qu’au plan technologique ? Peut-être est-elle plus sage… et se dit que nos actifs ne valent que par la qualité du modèle social et de nos infrastructures ? Nous empêcher l’effondrement le plus complet, en nous sortant juste assez la tête de l’eau pour obtenir des contreparties de plus en plus substantielles, n’est-ce pas un excellent calcul ?

Sortir de la crise par le haut, n’est-ce pas la seule manière de devenir un interlocuteur crédible face à la Chine et aux autres émergents ?
Cette question mérite d’être posée maintenant, avant que le traité de Lisbonne ne soit modifié dans le sens des politiques de rigueur.

Alain Grandjean

1 Prévue pour être mené tambour battant dès les prochains mois

2 Rappelons que les pays exportateurs de la zone euro exportent vers un autre pays de la zone euro pour 40 à 50% de leurs exportations. Les excédents de l’Allemagne (ainsi que ceux de l’Autriche et des Pays-Bas) reposent dans la même proportion sur les déficits de l’Espagne (ainsi que sur ceux de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal). C’est ainsi qu’à un total des excédents privés dans la zone euro de 290 milliards d’euros répond un total des déficits privés de 138 milliards d’euros, soit 48%. Autrement dit, les pays excédentaires fabriquent intégralement leurs excédents provenant de la zone euro par les déficits donc l’endettement des agents des autres pays Voir http://www.chomage-et-monnaie.org/2010/03/editorial-l%E2%80%99allemagne-pourrait-elle-etre-un-peu-moins-allemande/

.

3 http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20110105trib000589120/la-chine-va-continuer-a-acheter-de-la-dette-espagnole.html

4 La chine semble vouloir dynamiser son marché intérieur et acheter de plus en plus d’actifs à l’extérieur que ce soit des mines des forêts ou des entreprises…

Une réponse à “Sortir de la crise de l’Euro par le haut, sans sortir de l’Euro”

  1. Avatar de ImagineZ

    Super cet article merci.
    Intéressant, je pensais pas qu’il y avait encore moyen de sauver la situation…