Il est vraiment difficile de se faire une image de ce qui se passe et peut se passer dans les prochaines semaines en Europe.Les perspectives économiques sont clairement très dégradées : la spirale déflationniste s’installe. Les acteurs privés ou publics « serrent » tous les boulons. Les dépenses des uns étant les recettes des autres, les revenus de tous baissent.
Les banques confrontées à de très fortes exigences de régulation réduisent leurs en-cours, car elles ne peuvent pas se recapitaliser : qui serait prêt aujourd’hui à entrer à leur capital ? Du coup le volume des prêts baissent et freinent les projets d’investissement. Les agences de notation dégradent les acteurs privés et publics (à la fois parce que la conjoncture est mauvaise et parce que la note des Etats européens baisse).
Les déclarations et décisions de la Banque Centrale ne laissent pas de doute sur le fait que les grandes banques européennes sont dans une situation très difficile et qu’un dépôt de bilan de l’une d’entre elles n’est pas à exclure, dont les conséquences systémiques seraient imprévisibles mais clairement aggravantes. Une explosion de l’Euro n’est évidemment plus exclue sans que personne n’en sache évaluer les conséquences : que se passerait-il dans la période de transition confuse où les banques sont en faillite puis nationalisées par des Etats impécunieux ?
Par ailleurs sur le fond, rien ou presque n’est résolu : la finance à l’origine de cette gigantesque crise n’est toujours pas mise au pas. Les paradis fiscaux ne sont pas interdits. Pas plus que les opérations financières extravagantes et opaques qui ont fait les délices de la dite finance. Ni la directive MIF qui a permis la multiplication des opérations de gré à gré et l’opacité des transactions, au moment où il fallait faire l’inverse… Bref le capitalisme financier est maintenu dans son principe et ses modalités.
Au plan énergétique et climatique, rien n’avance ou presque : les importantes impulsions de l’année 2007 (rapports du GIEC et en France lancement du Grenelle de l’environnement) se sont échouées sur la crise financière et économique. Les français et les européens sont de plus en plus sensibles aux hausses futures du prix des énergies fossiles. La nécessaire régulation publique que nécessite la prise en compte de l’environnement et de la rareté des ressources est à nouveau perçue comme anti-économique et de moins en moins crédible à mesure de la perte d’autorité de la parole publique. Durban accouche difficilement d’un accord a minima.
La compétition intra-européenne est de plus en plus vive. La perte de compétitivité de nos pays et les pertes d’emplois face aux émergents toujours aussi préoccupantes, sans qu’aucune fracture significative[1] du Dogme libre-échangiste soit perceptible chez nos élites dirigeantes.
Dans ce contexte on ne peut qu’être à nouveau atterré par l’agenda des discussions des sommets européens et leur conclusion du 9 décembre : la logique qui les anime est tellement empreinte du Dogme qu’il est difficile d’en croire ses yeux. L’aveuglement de nos dirigeants semble surnaturel. Comment croire un instant que le cocktail de restrictions budgétaires et de sanctions automatiques des Etats en déficit aura un effet positif quelconque sur la crise ? Comment ne pas voir qu’au contraire il l’aggrave ? Qu’il va donc avoir des conséquences sociales dévastatrices, déjà observables en Grèce, un pays européen en voie de sous-développement. En France, la dégradation économique rapide et la montée du chômage ne peut être électoralement que favorable à l’extrême droite. L’Europe est de plus en plus mal perçue par les classes moyennes qui se sentent trahies par la droite et par la gauche qui n’offre aucune alternative crédible à l’austérité.
Une tragédie est-elle une fois de plus en train de se jouer en Europe ?
Il me semble entrevoir encore quelques lueurs d’espoir :
- la richesse de nos sociétés est encore considérable[2] et un « ajustement », même sévère est évidemment possible, s’il est réalisé de manière équitable
- les discussions de comptables étant terminées il devrait être possible de parler des choses sérieuses
- le retrait partiel de la Grande-Bretagne de la construction européenne devrait permettre d’avancer au pas de charge sur la régulation financière
- l’évidence partagée de la venue de la récession devrait faciliter la mobilisation des acteurs économiques en faveur d’un vaste plan européen d’investissements dans la transition énergétique et écologique
- la mobilisation citoyenne autour des questions économiques s’amplifie
- la perte de repères observable dans une large frange de la population au comportement « non révolutionnaire » pourrait faciliter le renversement du Dogme, sans passer par la case « révolution sanglante » à laquelle que je ne nous souhaite vraiment pas assister
Il nous faut, pour éviter le pire, des éléments de diagnostic partagé et des propositions de réforme majeures. Une mobilisation très forte non pas « contre le système » et ses thuriféraires mais pour une série de mesures de grande ampleur.
C’est à cet exercice que nous sommes tous invités. Relevons les manches, vite.
Alain Grandjean
[1] Signalons quand même l’évolution de Pierre-Cyrille Hautcoeur, (directeur d’études à l’EHESS et chercheur à Paris School of Economics-Ecole d’économie de Paris ) qui fait un pas en avant…http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/05/vous-avez-dit-protectionnisme_1613332_3232.html
[2] Le patrimoine des ménages français est évalué par l’INSEE à environ 10 000 milliards d’euros soit en ordre de grandeur 5 année de PIB et 8 années de revenu. Certes une partie de ce patrimoine peut fondre comme neige au soleil (il suffit que l’immobilier perde une partie de sa valeur). Quoi qu’il en soit la France n’est pas dans l’état économique des Etats-Unis en 1931…
3 réponses à “Comment éviter que le Dogme engendre une tragédie européenne ?”
Je pense qu’il peut y avoir un terrain d’entente avec les Allemands. Voir la tribune de Wolfgang Schaüble :
http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201796041367-le-cri-de-wolfgang-schauble-contre-la-societe-de-consommation-263465.php
Bonjour
j’ai un peu de mal à faire une synthèse de tout ça. Quand le PIB monte, c’est pas bien parce que ça augmente la consommation et les émissions de CO2, et quand ça baisse, c’est pas bien parce que c’est une crise ?
finalement, on veut quoi ? que tout le monde devienne plus riche mais sans augmenter les consommations? ça me parait un peu contradictoire …. On parle de transitions mais je n’arrive toujours pas à comprendre si dans le nouvel état « énergétique et économique », on serait finalement plus riche ou plus pauvre que maintenant, et tout simplement ce qui aurait changé !
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