L’ADEME, dans sa dernière publication, estime à 400 000 le nombre d’emplois créés en France, d’ici 2030, par la nouvelle économie de la transition énergétique. Ces chiffres sont considérables, mais, au-delà du seul aspect de l’emploi, quel sera l’impact réel de la transition énergétique à l’échelle des zones rurales qui occupent plus de la moitié du territoire national ?
Prenons un exemple. Sur le seul sujet de l’énergie solaire, EDF a affiché dans son « plan solaire », sa volonté d’installer 30 GW de photovoltaïque d’ici 2035. Les toitures de hangars, ombrières de parking et terrains délaissés[1] ne suffiront pas à fournir entre 50 et 100 000 hectares de surface nécessaires. Il sera probablement indispensable d’y consacrer des dizaines de milliers d’hectares actuellement à vocation agricole. Déjà, les premiers projets de fermes solaires de grande envergure (jusqu’à 2000 hectares) apparaissent. Outre la problématique foncière, la mobilisation des terres arables bouleversera l’économie agricole locale. Nous constatons en effet qu’une ferme solaire en lieu et place d’une activité d’agriculture traditionnelle peut générer dix fois plus de valeur ajoutée à l’hectare ! Les paysans de demain seront-ils des éleveurs de panneaux ou des rentiers du solaire ?
La transition énergétique dans les territoires, un enjeu global
La trajectoire des territoires ruraux dans la transition énergétique est en réalité un enjeu global car ils sont soumis en parallèle à d’autres phénomènes de transition : changement climatique (sécheresses, inondations), agriculture (bouleversement des marchés, demande sociétale et environnementale), institutions (recomposition des collectivités), démographie (vieillissement et transformation de la société), numérique (objets connectés, intelligence artificielle). Il faut donc impérativement aborder la transition énergétique sur le temps long, en cohérence multifactorielle, multi scalaire. C’est le seul moyen de rendre ces territoires ruraux plus résilients face à l’ensemble des transformations profondes de leur environnement.
Les projets de transition énergétiques territoriaux doivent être adaptés et spécifiques aux territoires dans lesquels ils s’inscrivent.
La transition énergétique ne peut pas être traitée de manière sectorielle, dans une approche jacobine traditionnelle, avec de grands projets exogènes imposés aux territoires. Au contraire, chaque projet doit être construit localement sur le territoire en y intégrant ses particularités, ses contraintes mais surtout ses ressources.
C’était le sujet central d’un colloque que nous avons organisé à Pau début octobre 2018 en partenariat entre la CACG et le Crédit Agricole Pyrénées Gascogne. En réalité, nos territoires ont d’immenses ressources. Les différents projets présentés lors du colloque en étaient l’illustration.
Ces ressources sont bien-sûr énergétiques (l’eau, le vent, le soleil, la matière organique présente sur le territoire). Ce sont également des ressources culturelles, patrimoniales et économiques qu’il faut savoir identifier et mobiliser. Les territoires ont surtout des ressources humaines, des compétences et des savoirs faire parfois développés sur des générations.
C’est sur ces ressources qu’il nous faut bâtir les projets dans un véritable esprit de co-construction, de coopération[2], laissant ainsi la possibilité aux projets d’évoluer[3], non pas à la marge mais parfois en profondeur et dans une affirmation nouvelle de l’intérêt général, territorialisé[4].
La question de la complémentarité entre agriculture et énergie (agri-énergie) devrait ainsi être traitée à travers cette démarche comme on peut le voir dans les exemples suivants.
La méthanisation est souvent présentée comme un moyen de « valoriser le déchets agricoles ».
C’est beaucoup trop réducteur. La méthanisation doit s’inscrire avant tout comme un élément à part entière d’une filière agricole complète : filière amont de production agricole et filière aval de valorisation des sous-produits. La réussite des projets nécessite donc déjà de stabiliser les filières amonts pour garantir les intrants sur le long terme. Elle est également très dépendante des caractéristiques locales telles, par exemple, que les infrastructures routières pour la circulation des camions d’approvisionnement. Les réussites que nous avons pu examiner[5] intègrent ces aspects, et souvent les complètent par une très large information de la population le plus en amont possible, par un appel systématique à des artisans locaux, et un usage en circuit court par de la réinjection de biogaz sur les réseaux locaux.
L’agrivoltaïsme constitue lui aussi un enjeu majeur pour les territoires.
Pour assurer un développement harmonieux du photovoltaïsme en zone rurale, il faudra savoir l’associer à une production agricole pérennisée. Mais parquer quelques moutons à l’ombre des panneaux, comme on le voit souvent maintenant dans les projets, ne peut se concevoir que dans des zones où la filière ovine est déjà structurée. Y-a-t-il des abattoirs à proximité ? Existe-t-il, comme dans l’Aveyron avec le Roquefort, des races locales et tout un savoir-faire pour produire un fromage à haute valeur ajoutée. Sinon, quelles sont les cultures, les savoirs faire locaux qu’on peut mobiliser ? L’agrivoltaïsme peut-il être l’occasion de redévelopper des filières anciennes, des pratiques agricoles ancrées dans le territoire et abandonnées au profit de la production de masse ? L’autoconsommation énergétique dans les filières déjà existantes, permet-elle de nouvelles évolutions ?
Le développement de serres photovoltaïques est un exemple encore plus criant de ce besoin d’élargissement du champ de vision de l’ambition des projets. Gérer des serres agricoles est un métier de haute technicité. Les couvrir de panneaux crée des contraintes supplémentaires. Il existe aujourd’hui bon nombre d’agriculteurs qui se battent avec acharnement pour développer leurs productions. Cependant faute de mise en commun, de partage des expériences, de structuration du marché pour des productions maraichères spécifiques ou simplement décalées dans le temps, la plupart s’épuisent et abandonnent. On trouve aujourd’hui bien trop souvent des hectares de serres, qui produisent certes de l’énergie électrique mais qui sont de graves échecs agricoles.
Il est donc indispensable d’élargir la réflexion, de profiter de la transition énergétique pour en faire un élément moteur et intégrateur de la recomposition des territoires ruraux. Cette démarche est vitale si nous voulons éviter que le monde rural ne soit plus d’ici 10 à 20 ans qu’un vaste désert avec quelques oasis de richesse abrités à l’ombre de quelques panneaux solaires.
Auteurs
Alain PONCET – Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), Directeur Général
Ludovic LHUISSIER – CACG, Directeur de l’innovation.
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