50% de nucléaire en 2025 : le noeud gordien de la loi « transition énergétique »

Edit 10 mars 2014 : // Suite aux réactions sur Twitter, j’ai fait une petite modification et ajouté une note de bas de page (ci-après en rouge). Merci pour les échanges et les commentaires. AG. //

L’une des clefs de l’accord politique entre le PS et les Verts est l’engagement pris par le PS de réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité française en 2025, engagement réaffirmé à plusieurs occasions par le président de la République.

Cet engagement est-il tenable à cet horizon ? Peut-il être tenu sans fermer de centrales nucléaires (Fessenheim, dont la fermeture fait également partie du « deal » et d’éventuelles autres) ?

Certains acteurs affirment que ce serait possible, simplement par le jeu de la croissance de la consommation d’ici cette date. Ce statu quo est-il  réaliste et cohérent ? Plus globalement peut-on concilier l’ensemble des engagements pris par la président de la République ? (ce qui devrait constituer la trame de la loi de programmation de la transition  énergétique en cours de rédaction et qui devrait être remise au CESE mi-avril puis au Conseil d’Etat pour être débattue à l’automne de cette année).

 Le Débat National sur la Transition Energétique (DNTE) a eu lieu au premier semestre 2013. La loi de programmation énergétique, qui en résultait, est en cours de rédaction. Ses enjeux principaux sont bien connus et ont été rappelés par le chef  de l’Etat. Il s’agit :

  • de réduire la part des énergies fossiles dans notre consommation énergétique (-30% à horizon 2030),
  • de réduire nos émissions de gaz à effet de serre (-75% à horizon 2050)
  • et de réduire notre consommation d’énergie (-50% à horizon 2050).

C’est ainsi que nous réduirons nos importations d’énergie (entre 60 et 70 milliards annuels), que chacun d’entre nous verra ses factures d’énergie maîtrisées et que nous réduirons la précarité énergétique.

Comment dans ce contexte réduire la part du nucléaire dans la production électrique, de 75% actuellement,  à 50% en 2025, objectif rappelé également par François Hollande ?

Pour certains il suffirait de maintenir l’appareil de production nucléaire en (bon) état[1]. La croissance de la consommation, liée en particulier à la croissance démographique,  absorberait dans ce scénario la différence entre la production actuelle et future.

 Quelques données et calculs très simples montrent que c’est hors d’atteinte. Le nucléaire a produit en 2013 404 TWh soit  73 % de la production annuelle  d’électricité (551 TWh) dont environ 47 TWh « nets » ont été exportés. Une fois enlevées les consommations d’énergie intrinsèques au système électrique et les pertes (de l’ordre de 50 TWh[2]), la consommation finale des ménages et des entreprises s’élève à environ 450 TWh[3].

En 2025, dans un scénario de maintien du parc,  la production nucléaire du fait d’une meilleure disponibilité des centrales mais du remplacement envisagé de Fessenheim (2×900 MW) par Flamanville (1650 MW) pourrait  être  du même ordre qu’actuellement voire légèrement supérieure. Retenons le chiffre de 400 TWh. Qu’elle représente 50% de la production électrique suppose donc que la production d’électricité totale atteigne  alors 800 TWh.

La consommation pourra-t-elle et devra-t-elle suivre ?

Le réseau électrique se doit en permanence d’équilibrer offre et demande, les capacités de stockage étant limitées. Est ce que la demande pourra monter jusqu’à 800 TWh ?

L’export peut croître (même si aujourd’hui l’Europe est en surcapacité électrique) et retrouver des niveaux de 60TWh serait un bon challenge[4]. Les pertes et autres consommations du secteur énergie augmenteront, supposons jusqu’à 80 TWh. La consommation finale pourra-t-elle atteindre 660 TWh, soit 220 TWh de plus qu’aujourd’hui ?

Les scénarios les plus « optimistes » étudiés dans le cadre du DNTE la positionnent à cette date à 550 TWh, soit une croissance de 20% par rapport à aujourd’hui. Les autres la situent entre 400 et 500 TWh.

Depuis quelques années, la  consommation d’électricité est stable, en raison d’une croissance économique molle, d’une stabilisation de la consommation de la grande industrie, mais aussi d’une tendance à la stagnation du groupe « PME/PMI-résidentiels-professionnels ».

Les transferts des usages énergétiques du pétrole et du gaz vers l’électricité,  sont certes à encourager, et réalisables en partie pour les chaudières à fioul des maisons mal isolées  et de certains bâtiments tertiaires remplaçables  par des pompes à chaleur et la croissance des voitures électriques. Mais ces transferts ne pourront  représenter au plus à l’horizon 2025 que de l’ordre de 50 TWh[5], sous réserve d’une impulsion politique forte qui n’est pas encore perceptible.

Par ailleurs comment penser qu’une politique globale de réduction de la consommation d’énergie pourrait se déployer sans un effort sur l’électricité, dont de nombreux usages peuvent être mieux gérés, et… le seront, dans un contexte de hausse du tarif réglementé de vente de l’électricité, celui qui concerne les ménages ?

Enfin un calcul simple montre que si l’on baisse les hydrocarbures de 30% en 2030, et que l’on consomme plus de 700 TWh d’électricité, cela signifierait  que la consommation finale d’énergie n’aurait quasiment pas bougé en 2030. Comment la faire baisser de 50% à horizon 2050 ?

En un mot il est exclu que nous consommions toute l’électricité supposée produite dans ce scénario.

Par ailleurs, la production pourra-t-elle suivre ?

Pour que la part du nucléaire puisse décroître à 50 %, il faudrait que la part des autres sources d’énergie croissent à 50%, donc à 400 TWh…Comment faire ? L’hydraulique (70 TWh[6] environ) est saturé ou quasiment en France et reste assez variable d’une année sur l’autre ; les autres énergies renouvelables électriques (25 TWh aujourd’hui) ne croissent en ce moment que modérément.

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[Image : Unsplash.com]


Quant aux énergies fossiles (45 TWh), dans un scénario de réduction des GES, elles doivent voir leur part baisser, et a minima se stabiliser (car elles seront moins carbonées du fait du passage charbon-gaz). Comment imaginer que les EnR hors hydro apportent, d’ici 2025, 260 TWh de plus qu’aujourd’hui ? D’autant que les décisions qui sont prises depuis quelques années ne leur facilitent pas la vie…Il serait vraiment remarquable vu d’aujourd’hui qu’elles atteignent 100 TWh…

L’heure des choix

Il est donc clair qu’atteindre  l’objectif de réduction à 50% de la part du nucléaire à horizon 2025 suppose la fermeture de réacteurs nucléaires. 36 d’entre eux  auront alors 40 ans ou plus  et quelques-unes  seront peut-être fermées par contrainte, l’ASN exigeant des travaux de mise en sûreté trop élevés pour l’exploitant. Dans les faits, ira-t-on plus loin ?

Si l’on prend le problème dans l’autre sens, c’est-à-dire en partant du cadre rappelé en début d’article et d’objectifs raisonnés en matière de maîtrise de la consommation d’électricité, de transferts d’usages, il apparaît que la consommation   d’électricité à horizon 2025 pourrait se situer aux environs de 450 TWh. Compte tenu d’un export compris entre 30 et 60 et des pertes et autres  de 50, il nous faudrait produire entre 530 et 560 TWh d’électricité. Pour rester simple disons 550 TWh (ce qui revient à dire que les transferts d’usages d’ici 2025 compenseront les économies d’électricité). Les fossiles pourraient en apporter environ 40. Pour les  Enr électriques, l’atteinte d’un objectif de l’ordre de 25% en 2025[7] les situerait à environ 140 TWh (moitié hydro, moitié autres[8]) ; il est envisageable qu’elles puissent apporter plus disons 160 TWh.

Il resterait donc pour le nucléaire une part de 350 à 370 TWh (pour 400 TWh aujourd’hui), soit de 63 à 67% du mix électrique. Dans  ces hypothèses les ENR variables représentent de l’ordre de 15 % à 25% de la production électrique. Ceci ne devrait pas poser de problèmes majeurs de gestion à RTE (qui gère le transport d’électricité) du fait notamment de la part résiduel encore non nulle du gaz, du foisonnement de l’éolien, de l’hydraulique de barrage, des stations de pompage, du  développement du  stockage et des smart grids et de la généralisation des services systèmes sur les ENR. Au plan économique cette proportion encore modeste d’EnR-dont les coûts de revient baissent- reste également très raisonnable pour de nombreux bénéfices : respecter nos engagements européens…  garder des alternatives, rester dans la course mondiale aux EnR (qui dans de nombreux pays sont incontournables pour sortir des fossiles, se développent toujours fortement et connaissent pour certaines d’entre elles des baisses de coût remarquables).

[Image : New Old Stock]
[Image : New Old Stock]

A noter également que cette baisse ne permet pas d’atteindre en 2025 l’objectif de 50%. Mais elle nous met sur la route pour l’atteindre plus progressivement, et à un coût sans aucun doute moins élevé.

Sans entrer dans  le lourd dossier nucléaire, indiquons juste que cette stratégie  a aussi pour intérêt de faire face à un gros problème. Comment éviter un « effet falaise » symétrique de celle de  la construction des années 80 (40 tranches ont été mises en route entre 1977 et 1987) qu’il faudra bien affronter un jour. Elle  nous laisserait aussi le temps de déterminer quelles sont les bonnes options pour la suite (alternatives à l’EPR, via des réacteurs de plus petite puissance par exemple, ou recours accru aux renouvelables si possible techniquement et économiquement).  Au total, on voit donc se dessiner une forme de « voie de la sagesse » qui nécessite une remise en cause politique, une impulsion et repose sur une vision d’un avenir en progrès !

Espérons que les sirènes du statu quo n’envoûtent pas nos dirigeants. Nous avons besoin d’un cap clair qui suppose une volonté politique forte. Il appartient à nos dirigeants de  montrer qu’ils engagent la France dans une transition énergétique conjuguant efficacité énergétique, baisse du recours aux énergies fossiles et  hausse maîtrisée économiquement des EnR.

Certes cette transition a un coût ; elle suppose des investissements. Mais à vouloir les repousser la facture n’en sera au total que plus élevée. Nous continuerons à importer des fossiles,  à faire subir à nos concitoyens et notamment les plus précaires une facture énergétique croissante.

Alain Grandjean

 


Notes :

[1] Ce qui suppose un mix de « grand carénage » (révision lourde des centrales nucléaires existantes, chiffré à ce jour par EDF à 55 milliards d’euros, ce chiffre étant bien sûr à ce jour chargé d’une forte incertitude, faute de retour d’expérience) et de construction de nouvelles centrales (8,5 milliards à ce jour pour 1,6 GW pour l’EPR type Flamanville).

[2] Le bilan 2013 n’est pas disponible à  ce jour ; en 2012 ce montant était de 53 TWh mais il intégrait les consommations liées à l’enrichissement d’uranium Eurodif (11 TWh) qui ont chuté au deuxième  semestre 2012 suite à la montée en puissance de l’usine de retraitement Georges Besse 2.

[3] Non corrigée des données climatiques.

[4] En tout état de cause elles ne pourront pas dépasser le plafond de 100 TWh annuels du fait des contraintes d’interconnexion.

[5] Deux millions de voitures électriques  en 2025 consommeraient en gros de 6 TWh. 3 millions  de chauffage  chauffés par pompe à chaleur consommeraient 29 TWh. Les immeubles tertiaires basculant à l’électricité pourraient en consommer 30. L’ordre de grandeur de 50 TWh est donc déjà un beau défi !

[6] Elle a atteint 76 TWh en 2013, du fait d’une très forte pluviométrie

[7] En fait les objectifs négociés au niveau européen (pour la France 23% en 2020 et pour l’Europe dans son ensemble 27% en 2030) sont toutes Enr confondues, sans distinction par vecteur ni par source. Le chiffre retenu ici est un ordre de grandeur pour les Enr électriques.

[8] Soit en gros 70 TWh. A noter que la PPI 2009  (programmation pluriannuelle des investissements, travail de prospective fait par le gouvernement) fixe des objectifs pour ces ENR  à 2020 de l’ordre de 85 TWh.

2 réponses à “50% de nucléaire en 2025 : le noeud gordien de la loi « transition énergétique »”

  1. Avatar de Gaspero
    Gaspero

    Nous sommes en 2015 et l’on en sait un peu plus.

    On a ici une étude sur la production d’électricité renouvelable possible en 2030 :

    http://energeia.voila.net/renouv2/renouvelable_possible.htm

    En partant de 21% d’électricité renouvelable dans la consommation en 2014 pour arriver à 48% en 2030, l’ordre de grandeur serait de 39 à 40% en 2025 (27 points de plus en 16 ans).

    Ce qui fait 160 TWh d’électricité renouvelable pour une consommation de 500 TWh, car la consommation ne dépassera pas cette valeur en France en 2025. En 2014, c’était 98 TWh d’électricité renouvelable pour une consommation intérieure de 465 TWh.

    En 2014, le nucléaire a produit 415 TWh, égal à sa moyenne décennale. Pour faire 50% dans les 500 TWh de 2025, le nucléaire devra se limiter à 250 TWh, soit 165 TWh de moins.

    La mise hors service des 28 réacteurs nucléaires les plus anciens, sur un total actuel de 58 réacteurs, soit environ 25 GW sur un total de 63 GW, réduirait la production nucléaire de 167 TWh par an.

    Avec l’inaction coupable de celui qui nous promettait de réduire à 50% la part du nucléaire en 2025, cela ne sera pas possible à cette date.

    Mais ce sera possible pour 2030 puisque les allemands ont augmenté leur production d’électricité renouvelable de 98 TWh en dix ans, entre 2005 et 2014, avec une technologie moins évoluée que celle d’aujourd’hui et alors que les coûts des énergies renouvelables ont beaucoup baissé en dix ans.

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      Merci de cette mise à jour
      restent quelques questions difficiles : comment négocier avec les partenaires sociaux à commencer par la CGT la fermeture de 20 réacteurs? comment financer la montée en puissance des enr sans imposer des hausses du prix de l’elec difficiles à gérer socialement? est-on sûr qu’on aura suffisamment de capacité de stockage en step ou autres à ce horizon pour éviter le recours au gaz (le charbon étant en cours de fermeture, je pense que de ce côté là il n’y a pas de risque)
      bien cdt
      AG