Libérer l’investissement vert – Le dossier

30 novembre 2018 - Posté par Marion Cohen, Alain Grandjean - ( 4 ) Commentaires

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VertigoLab
Credit : VertigoLab

A l’occasion d’une intervention dans la conférence Comment accélérer le financement de la lutte contre les changements climatiques, en France et en Europe ? organisée le 29 novembre par le Collectif de députés Accélérons la transition et le think tank I4CE,  nous avons mis à jour notre proposition visant à libérer l’investissement vert en le sortant des calculs sur le déficit public. Notre proposition est non seulement possible, mais bien plus souhaitable en raison des gains économiques qu’elle apporte, de la cohérence avec les objectifs politiques européens en matière de développement durable et d’environnement. Elle redonnerait, de plus, du souffle au projet européen, aujourd’hui largement contesté, en construisant une vision d’avenir, et en lançant des projets qui ont du sens.

Retrouvez ci-après les points essentiels pour comprendre notre proposition ou téléchargez le Dossier complet (24 pages) qui comprend en plus une note technique détaillant les aspects juridiques relatifs au déficit public et l’ensemble des réponses aux questions posées sur cette proposition.

1. Il est impératif d’investir plus dans la transition écologique et énergétique

L’été 2018, avec ses canicules, ses incendies dévastateurs, ses inondations, nous a encore rappelé combien la lutte pour atténuer le changement climatique et limiter ses impacts est vitale. C’est aussi une lutte pour le mieux-être de tous. Nous affranchir du charbon, du pétrole et à terme du gaz fossile… est impératif si nous voulons préserver notre santé, notre économie, la capacité d’agir des futures générations et construire une société résiliente. Mais il s’agit d’un changement majeur de modèle de production et de consommation, ce qui requiert de nombreux leviers. L’éducation et la formation sont essentielles. Nous devons cesser d’allouer des capitaux à des actifs non durables. Nous avons besoin d’une fiscalité écologique incitative sans laquelle cette mutation ne se fera pas. Le mouvement des gilets jaunes en France montre qu’elle doit être accompagnée de concertations et de mesures adaptées pour les populations les plus en difficulté.

Il est aussi fondamental d’accroître l’investissement public et privé dédié à la transition écologique et énergétique[1]. Les montants nécessaires à l’atteinte des objectifs énergétiques et climatiques français ont été estimés par le think tank I4CE entre 55 et 85 milliards d’euros par an (2,5 à 4% du PIB) pour la période 2019-2023. Or fin 2017, ces investissements ne s’élevaient qu’à 31 milliards d’euros répartis à parts égales entre ménages, entreprises et acteurs publics[2] : le compte n’y est pas ! Ce constat est général dans le monde et en Europe où les besoins en investissements sont estimés entre 2 % et 5% du PIB européen[3] ; le déficit de financement est probablement du même ordre.

Malgré le chemin tracé par le plan Juncker, les investissements publics nets[4] sont négatifs en Europe : ils ne suffisent même pas à l’entretien des infrastructures existantes. Le dramatique accident du pont de Gênes aura eu au moins le mérite de réveiller l’opinion sur le fait que nous devons impérativement sortir de la logique mortifère, au sens littéral, qui a conduit à réduire l’investissement public.

Source : Commission européenne

Source : Commission européenne

Il ne manque pas d’épargne privée qui cherche à se mobiliser et a besoin de sens. L’épargnant a cependant besoin d’un rendement minimal, stable et sécurisé (même s’il est prêt à faire un effort de plus en plus significatif pour le « vert ») qui n’est pas toujours assuré. « Pour boucler l’équation », il a donc besoin de soutiens publics catalyseurs : subventions, garanties publiques ou autre dispositif. Pour la rénovation énergétique des logements par exemple, les ménages ne s’engageront pas, sans aides publiques, dans des travaux lourds dont le temps de retour est trop long. La profonde mutation des transports nécessite aussi de gros investissements publics et privés.

2. C’est possible sans attendre et sans changer les traités européens 

Pour investir plus et mieux, il faut faire évoluer les instruments européens de pilotage économique, car ils se focalisent sur la réduction des déficits publics aux dépends de l’investissement.

Ceci implique que la Commission européenne utilise résolument les marges de flexibilité dont elle dispose dans l’interprétation des textes relatifs à la coordination des politiques économiques et aux déficits publics afin de favoriser les investissements de transition. Ces marges de flexibilité ont déjà été utilisées dans le cadre du plan Juncker. Il s’agirait désormais d’isoler dans le calcul du déficit public, les fonds publics affectés aux investissements de transition, comme le ferait toute entreprise qui ne confond pas ses investissements et ses dépenses de fonctionnement. (Pour une analyse détaillée téléchargez l’intégralité du Dossier Libérer l’investissement vert (24 pages).

La discussion avec la Commission européenne doit être entamée dès maintenant dans le cadre du semestre européen qui fixe le calendrier de la coordination des politiques économiques. Ne devraient être éligibles à la flexibilité que des investissements dont l’impact climat à terme est positif. Une marge supplémentaire de flexibilité devrait être accordée lorsque le pays met en place des politiques, évaluées dans le cadre de l’exercice de coordination du Semestre européen (voir ci-après), qui le placent sur une trajectoire lui permettant de réaliser les objectifs carbone 2030.

3. Ces investissements ont une valeur économique forte et s’inscrivent parfaitement dans le projet européen

Deux arguments principaux justifieraient l’utilisation des marges de flexibilité.

  • Ces investissements entraîneraient un regain d’activité. En effet, une croissance de la dépense publique, et en particulier de l’investissement public, a un effet positif sur le PIB.

A l’inverse de cet effet multiplicateur, une baisse des dépenses publiques a un effet négatif à court terme sur la croissance, donc sur les recettes fiscales. L’effet multiplicateur est évalué dans les modèles macroéconomiques (Mésange à la direction générale du Trésor ou Three-Me à l’OFCE et à l’Ademe) par le rapport entre cette variation du PIB et une variation d’un point de PIB de la dépense publique considérée. Pour Mésange, par exemple, une hausse de l’investissement public équivalente à 1% de PIB en volume provoque une hausse du PIB de 1,31 la première année et de 1,38% la seconde année[5]. Notons que ces gains sont augmentés si les investissements adoptés améliorent le solde commercial, ce qui est le cas, à terme, pour tous ceux qui économisent des importations de pétrole et de gaz.

Comme notés précédemment les investissements de transition sont essentiels pour atteindre les objectifs que se fixent l’Union dans ces domaines. Ils permettraient de plus de redonner du souffle au projet européen, aujourd’hui largement contesté, en construisant une vision d’avenir, et en lançant des projets qui ont du sens.

Plus fondamentalement, le débat autour des investissements verts et du déficit public invite à interroger la façon dont la coordination des politiques économiques est pensée et construite. En effet, l’article 119 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) stipule que « Les États membres conduisent leurs politiques économiques en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union, tels que définis à l’article 3 du traité sur l’Union européenne ». Or, le champ de la gouvernance économique est défini de façon restrictive si on le compare à l’article 3 du Traité. Il ne porte que sur le développement du marché intérieur, la compétitivité et la promotion du commerce international, l’évitement d’un endettement public et de déséquilibres macroéconomiques excessifs et le renforcement de la surveillance des marchés financiers. Il laisse entièrement de côté le social et l’environnemental. Et ceci, malgré les nombreuses analyses qui font de la montée des inégalités et de la faiblesse des progrès en matière de transition écologique et énergétique deux sources majeures d’instabilité et de risque de rupture du système[6].

Un des points majeurs à mettre à l’agenda européen, notamment dans le cadre des élections qui s’annoncent, consiste donc à redéfinir le champ de la gouvernance économique pour y intégrer et prendre en compte des indicateurs sociaux et de transformation écologique. Le processus de coordination du semestre européen permettrait ainsi de placer au moins au même niveau les objectifs purement budgétaires et ceux relatifs aux enjeux écologiques et sociaux majeurs qui conditionnent notre avenir.

Alain Grandjean et Marion Cohen

Notes

[1] Il est nécessaire d’avoir une définition de ce que signifie « investissements verts ou de transition ». Il y a donc un travail analytique assez précis à faire. La Banque européenne d’investissement dispose cependant déjà de référentiels utiles pour définir un investissement vert. La Commission européenne a également lancé début 2018 un groupe de travail technique pour établir une « taxonomie » suite aux travaux du High Level Expert Group sur la finance responsable (dont le rapport final est consultable en ligne)
[2] Source : Edition 2018 du Panorama des financements climats – I4CE.
Précisions : i) les investissements climat totaux pour 2017 sont évalués par I4CE à 41,4 milliards d’euros. Par contre, pour réaliser la comparaison entre le niveau d’investissement 2017 et les besoins futurs, I4CE se base sur la Stratégie nationale bas-carbone et la Programmation pluriannuelle de l’énergie. Ces documents ne permettant pas de mettre en évidence des trajectoires de besoins d’investissements dans certains secteurs (tels l’agriculture, l’industrie ou le nucléaire), I4CE les a exclus du périmètre retenu pour comparer le niveau d’investissement 2017 (qui s’élève alors à 31 milliards) aux besoins à venir. ii) Les besoins d’investissement de 55 à 85 milliards d’euros par an sur 2019-2023 incluent ceux de la trajectoire initiale mais aussi le rattrapage du déficit d’investissement estimé pour la période 2016-2018.
[3] La cour des comptes européenne estime les investissements annuels nécessaires à 1.115 milliards d’euros de 2021 à 2030. Le HLEG évalue les investissements cumulés d’ici 2030 à environ 11 200 Mds € et le déficit d’investissement à près de 2 000 Mds (voir Financing a sustainable Economy – Interim report by the High-Level Expert Group on Sustainable Finance, July 2017.)
[4] L’investissement net retranche la dépréciation du capital de l’investissement brut réalisé. Il permet de savoir si le stock de capital s’accroît ou se réduit, en dehors des effets de revalorisation du stock existant.
[5] Source : Le modèle macroéconométrique Mésange : réestimation et nouveautés document de travail, Insee et direction générale du trésor 2017
[6] Voir par exemple sur les inégalités : Les travaux du FMI sur les inégalités : un lien entre la recherche et la réalité ; « Croissance et inégalités : défis pour les économies de l’Union européenne » 14e Colloque EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, (juin 2017 – Berlin). Sur la question du risque Climat voir le discours fondateur de Mark Carney, Gouverneur de la Banque d’Angleterre et Président du Conseil de stabilité financière Breaking the tragedy of the horizon – climate change and financial stability – au siège de la Lloyd’s (29/09/15) et les travaux menés depuis par le Network for Greening the Financial System, qui regroupe plusieurs banques centrales et superviseurs financiers.

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4 Responses to “Libérer l’investissement vert – Le dossier”

  1. Compter sur l’UE qui est incapable de s’entendre sur les GAFAM, sur les taux d’imposition des pays membres ? le dumping social ? dont certains pays sont des paradis fiscaux ? …..mais que sera-t-elle dans 5 ans ? 10 ans ? cette UE ….
    Je vous admire , à continuer à écrire des choses (un vrai langage techno ) auquelles 95% des Français ne comprennent rien ( moi compris ) alors que la maison brûle ; les 3 pays dont je vous parlais dans mon post précédent , sont dans une impasse encore plus grande ce WE :
    —–UK : un ministre démissionnaire de plus ce samedi , le projet de sortie de l’UE semble de moins en moins assuré d’être voté au parlement , après c’est la grande inconnue ? le plus probable : un 2ième référendum pour corriger le premier ( et dire que nos GJ ne voient que par le référendum !!!) ce qui va laisser un pays très divisé …
    —-Italie : après 6 mois de gvt keynésien , annonce de ce vendredi , le pib du 3 ieme trim est corrigé à – 0,1% ; visiblement, le choc de confiance n’a pas eu lieu ; la récession est possible au 4 ième trim ( et les crispations de la France ne va pas les aider ) . Oui, il faut améliorer les infrastructures mais encore faut-il que les entreprises italiennes fassent du bon boulot ( un exemple vécu: une entreprise italienne vient travailler sur des ouvrages d’art en France mais ne respecte pas les notes de calcul , continue les travaux alors qu’on leur demande de les arrêter , tout cela parce qu’elle est moins chère et que l’on est obligé de la choisir ….)
    —-France : que dire après ce samedi ?
    Bcp d’intellectuels se demandent comment » l’effondrement » va arriver : catastrophe climatique ? financière ? black out sur un grand réseau elec ou internet? cyber attaque d’envergure ? …il arrivera probablement mais il prendra tout le monde de court parce qu’on avait pas pensé à ça …Et si cet effondrement ne commençait pas par ce qu’on vient de vivre ? : quelques faiblesses en Europe et tout s’auto-alimente . Alors , oui ,il faut bcp d’éducation et d’ouverture sur le monde ( mon fils a travaillé en Inde , à Madagascar , là-bas , il a vu des gens survivre , il a admiré leur courage , leur résilience , il en est revenu en se disant : les Français ne se rendent pas compte de leur chance ) bcp de sagesse et philosophie ( arrètons avec tous ces biens matériels qui ne servent qu’à pouvoir épater le voisin , à nous donner l’impression de réussir sa vie ) remettons les vraies valeurs au centre du jeu ; vous, Mr Grandjean , qui avez maintenant un poste très haut ( conseiller le Président ) , vous allez pouvoir vous acquitter de cette noble tâche parce que je pense que vous la partagez .
    Cordialement

    •   Alain Grandjean   2 décembre 2018 à 19 h 16 min

      @didier; j’ai écrit des choses je crois claires et assez dures sur l’europe dans mon blog (je vous invite à les lire, c’est pas difficile à trouver)
      mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait faire avancer cet ensemble complexe. Si 95% des gens des français ne comprennent pas ce que j’écris, c’est sans doute que cela nécessite
      un petit peu d’effort (pas trop je pense car j’essaie d’etre clair et simple)mais je suis tjs disponible pour expliquer. je partage le sentiment de votre fils (partagé par le mien qui a vécu en roumanie et en inde)
      j’ai écrit de petites choses sur l’effondrement, reparlons-en; bien à vous? _. AG

  2.   NICOLAS GRILLY   18 décembre 2018 à 1 h 46 min

    MERCI POUR CET ARTICLE. QUELLES SONT LES DIFFÉRENCES ENTRE LA PROPOSITION DÉVELOPPÉE DANS CET ARTICLE, ET LE PACTE FINANCE-CLIMAT DONT VOUS ÊTES ÉGALEMENT SIGNATAIRE ?

  3.   PATRICK LUCAS   30 janvier 2019 à 8 h 20 min

    Un grand merci à Alain Grandjean pour le travail considérable que représentent ce dossier, son blog et ses livres.Ses présentations trés synthétiques me permettent de comprendre le fonctionnement de l’Europe ,ses insuffisances pour qui désire (c’est mon cas ) une réponse à la hauteur des enjeux climatiques et sociaux .Je compte travailler ces données afin de mieux me battre pour que le PFC finisse par s’imposer .Il m’est réconfortant de constater que des hommes et des femmes ont compris l’urgence de la situation et que se dévouer à l’intérêt commun est le meilleur moyen de défendre son intérêt privé.

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