Les éléments de cadrage sur la fiscalité et les dépenses publiques mis en ligne sur le site du Grand Débat présentent de nombreux biais qui induisent les citoyens en erreur. Loin de tirer le constat du mécontentement social pour remettre en question les priorités de sa politique économique, le gouvernement les pose comme un contexte inébranlable : la France, championne des dépenses publiques, vit au-dessus de ses moyens et les Français ne veulent plus payer d’impôt. Il faut donc réduire les uns et les autres. On demande alors seulement aux citoyens quels impôts supprimer et quelles dépenses couper. Nous souhaitons ici dénoncer quelques idées reçues et rétablir quelques vérités. Loin d’être une charge pour la société, les dépenses publiques constituent autant de revenus pour les entreprises et les ménages tout en assurant des services collectifs essentiels. Les comparaisons internationales se fondant sur les seuls ratios comptables ne sont pas pertinentes car elles ne comparent pas la même chose. Le discours et les politiques visant à stigmatiser les dépenses publiques en insistant sur leur « nécessaire » réduction contribuent à alimenter la contestation sociale et la montée des extrêmes en délégitimant l’action publique, développant le sentiment de culpabilité et d’abandon et en menant in fine à la dégradation des services publics.
1. Les dépenses publiques ça sert à quoi ?
Tous les tableaux de cette partie sont issus des statistiques de l’INSEE. Si vous voulez vous plonger dans les données, téléchargez le fichier ayant permis de faire ces tableaux.
Avant d’en arriver aux comparaisons internationales, penchons-nous sur le contenu des dépenses publiques françaises. La comptabilité nationale (uniformisée dans tous les pays européens) distingue trois façons de considérer les dépenses publiques, trois nomenclatures, chacune étant riche d’enseignements.
Qui dépense : l’Etat, les collectivités locales, les administrations de sécurités sociales ?
C’est un premier point à éclaircir car trop souvent les dépenses publiques sont confondues avec le budget de l’Etat qui n’en représente que 30%. Comme on peut le constater le plus gros de ces dépenses relève en fait des administrations de sécurité sociale.
Qui sont les destinataires : les ménages, les entreprises, les créanciers ?
On peut également regarder les dépenses publiques en considérant le type d’opération économique. En effet, chacun des secteurs institutionnels présentés ci-avant paye des salaires, réalise des achats (les consommations intermédiaires)[1], investit[2], verse des prestations sociales, des subventions et autres transferts et paye les intérêts de la dette.
Envisager les dépenses publiques par les types d’opération permet ainsi de comprendre qui en bénéficie car, rappelons-le, toute dépense constitue un revenu pour un autre acteur économique. S’agit-il des des entreprises (via les achats, les investissements des administrations publiques ou les subventions et autres transferts), des ménages (via le salaire des fonctionnaires, les prestations sociales, certaines subventions etc.), des créanciers (via le paiement des intérêts de la dette) ?
Les prestations sociales (ou transferts sociaux) versés aux ménages constituent le premier poste de dépenses publiques (46%)
Elles ne sont pas destinées à payer des fonctionnaires, des investissements ou des services publics (par exemple les hôpitaux ne sont pas inclus ici) mais à assurer des transferts de revenus entre différentes catégories de population. Elles ne font donc que transiter par les administrations et sont versées aux citoyens soit directement sous forme monétaire (retraites, chômage, prestations familiales etc.), soit en remboursement de frais déjà engagés (aides aux logements, consultations de médecins, remboursements de médicaments et d’appareils médicaux etc.).
Elles sont destinées à donner aux citoyens l’assurance qu’ils pourront faire face aux différents événements de la vie (avoir une retraite, avoir des revenus de remplacement en cas de maladie, de maternité, de perte de travail etc.). Elles assurent une mutualisation des risques et une solidarité entre différentes catégories de populations : des actifs vers les retraités, des biens portants vers les malades, de ceux qui ont un travail vers ceux qui n’en ont pas, des personnes sans jeunes enfants vers les familles etc.
Les subventions et autres transferts[3] sont plutôt à destinations des acteurs économiques : les ménages en tant que consommateurs et investisseurs (logement, rénovation, transport), les entreprises et les associations.
Si on additionne les subventions et autres transferts aux prestations sociales, on constate que près de 60% des dépenses publiques sont reversés directement dans l’économie française. La dépense publique est ainsi en premier lieu une immense machine à redistribuer de l’argent.
Les dépenses de fonctionnement représentent un peu moins d’un tiers des dépenses publiques.
Rappelons que ces sommes constituent au moins en partie une demande pour l’économie française. Les fonctionnaires et autres salariés du publics (personnels administratifs mais aussi enseignants, chercheurs, médecins, policiers, gendarmes etc.) sont des consommateurs qui achèteront une partie de leurs biens et investiront en France. Ces charges de personnel représentent 290 milliards soit 22,4% de la dépense publique.
Les consommations intermédiaires c’est-à-dire les achats des administrations (énergie, papiers, prestations de services, nourriture pour les cantines, matériel bureautique et informatique etc.) contribuent à remplir les carnets de commande des entreprises.
Enfin, l’investissement public (6%) est réduit à la portion congrue, à peine le double des intérêts de la dette (3%).
C’est déjà très peu quand on songe aux besoins, en particulier ceux nécessaires pour mettre en œuvre la transition écologique. Nous avons sur ce blog déjà insisté sur ce point et réalisé des propositions (voir notre dossier libérer l’investissement vert).
Ajoutons que ce chiffre tient seulement compte du volume d’investissement réalisé dans l’année. Si on regarde les investissements publics nets c’est-à-dire ceux desquels on a retranché la dépréciation du capital existant (en gros l’usure des machines, des infrastructures etc.) le chiffre est encore plus inquiétant. Ils sont proche de 0[4]. Cela signifie que notre pays investit à peine assez pour entretenir et renouveler les infrastructures publiques (transports, bâtiments publics tels les hôpitaux, les casernes, les écoles, stations de traitement de l’eau, ou des déchets etc.). C’est ce genre de trajectoire qui mène à des catastrophes tel l’effondrement du pont de Gênes.
Enfin, on peut analyser les dépenses publiques en regardant leur fonction : à quoi servent ces dépenses ?
L’INSEE utilise pour cela une nomenclature internationale[5] qui les répartit en dix catégories : services publics généraux ; défense ; ordre et sécurité publics ; affaires économiques ; protection de l’environnement ; logement et équipements collectifs ; santé ; loisirs, culture et culte ; enseignement ; protection sociale. Chacune de ces fonctions regroupe toutes les dépenses (salaires, consommation intermédiaire, subventions, transferts sociaux etc.) réalisées par les administrations publiques dans leur ensemble.
Dans le tableau ci-après nous les avons regroupé de façon un peu différente[6] afin de donner une image plus parlante des différents services et fonctions assurés par les administrations publiques.
Voici les principales modifications que nous avons apportées par rapport à la nomenclature utilisée par l’Insee.
1.Nous avons regroupé dans une première catégorie tout ce qui permet le fonctionnement de la puissance publique :
-Les fonctions régaliennes c’est-à-dire les grandes fonctions souveraines qui fondent l’existence même de l’État et qui ne font, en principe, l’objet d’aucune délégation. Elles visent à i/assurer la sécurité extérieure par la diplomatie et la défense du territoire ; ii/ assurer la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public avec, notamment, des forces de police ; iii/ définir le droit et rendre la justice ;
-Les dépenses visant à protéger les citoyens contre les pollutions et les risques environnementaux qui relèvent en cela de dépenses de sécurité qu’on peut assimiler à des fonctions régaliennes.
-Le fonctionnement des organes exécutifs et législatifs, les services fiscaux, l’aide au pays en développement, les services centraux ne relevant pas d’autres fonctions précises ou les traitant de façon globale (services des Ressources Humaines, centrales d’achat, gestions d’archives, services statistiques généraux).
2. Nous avons regroupé les dépenses de sécurité sociale et de santé car elles relèvent de la même logique assurantielle et de redistribution[7]. Le montant de 740 milliards est plus élevé que celui qu’on trouve dans le tableau 2 car en plus des prestations sociales (donc de la redistribution au ménage), on trouve ici la rémunération des salariés, les consommations intermédiaires et les investissements des administrations qui gèrent cette redistribution. On trouve également ici les hôpitaux publics.
Pour plus de détails, voir tableau 4 ci-après.
3. Nous avons regroupé les dépenses d’éducation (de la maternelle à l’enseignement supérieur), de recherche (qui sont sinon dispatchées dans chacune des 10 catégories de la nomenclature utilisée par l’INSEE) et celles relatives au sport et à la culture. Elles relèvent en effet de la même logique qui vise à assurer un haut niveau de formation de la population française, à développer ce que certains appellent le « capital humain ».
4. Nous avons également identifié une catégorie « services publics en infrastructure » qui n’existe pas en tant que tel dans la nomenclature utilisée par l’INSEE et y avons placé les transports (normalement inclus dans affaire économiques) et la gestion des déchets et des eaux usés (normalement inclus dans Protection de l’environnement).
5. Enfin, nous avons identifié les intérêts payés pour la dette publique (normalement incluse dans les services publics généraux).
Quid des dépenses de transition écologique ?
La nomenclature utilisée par l’INSEE identifie une fonction « Protection de l’environnement » que nous avons dans notre analyse séparée en deux : « Lutte contre la pollution et protection de la nature » et « Gestion des déchets et des eaux usées ».
Ensemble, ces deux postes représentent à peine 21 milliards d’euros soit moins de 2% des dépenses publiques. Cependant, les dépenses écologiques ne se limitent pas à cela. Elles comprennent également les dépenses liées aux transports collectifs, à la rénovation énergétique des bâtiments publics, aux énergies renouvelables, au soutien des ménages rénovant leur logement ou des entreprises éco-innovantes, à l’approvisionnement bio et local des cantines etc.
Malheureusement, ces dépenses ne sont pas identifiables en tant que tel. Sachant que la transition écologique est d’une nécessité vitale pour notre société et nos enfants, il serait utile d’avoir une quatrième nomenclature permettant de suivre les dépenses publiques qui y sont spécifiquement dédiées, celles qui sont neutres et celles qui contribuent à perpétuer le système existant fondé sur les énergies fossiles et la destruction du patrimoine naturel.
· Le croisement de ces nomenclatures est également riche d’enseignement.
Par exemple, l’analyse fine des dépenses de santé et de protection sociale permet d’approcher la question des coûts de gestion. Comme on l’a vu au tableau 3 ces dépenses représentent ensemble 740 mds€ soit 57% des dépenses publiques.
Pour les hôpitaux publics (78 milliards), il n’est pas possible d’identifier les coûts de gestion à partir des données de la comptabilité nationale puisqu’ils sont mêlés à ceux des activités propres aux hôpitaux (personnels soignants, matériel médical, construction, rénovation et fonctionnement des bâtiments).
Par contre, le reste des dépenses étant essentiellement constituée de la redistribution, on peut estimer en première approximation que les coûts de fonctionnement sont équivalents aux coûts de gestion. Ils représentent moins de 7%[8]. Il serait intéressant de comparer cela avec les coûts de gestion des mêmes services (retraites, assurances chômage, maladie, maternité etc.) réalisés par des entreprises privées. Notons enfin sur ce point que les services publics n’étant pas tenu de dégager des bénéfices, et ayant très peu de frais de commercialisation, cela représente déjà un coût en moins pour les usagers.
2. L’imposture des comparaisons internationales concernant les dépenses publiques (ou comment mélanger des choux et des carottes).
La fiche « Fiscalité et Dépenses publiques » sensée poser le contexte du Grand Débat s’ouvre ainsi : « Les finances publiques de la France sont marquées par le niveau de dépense publique le plus élevé des pays développés lorsqu’il est rapporté au produit intérieur brut (PIB). La dépense publique s’est élevée à 56,5 % du PIB en 2017[9]. ». Elle adopte ainsi une façon de cadrer le débat largement médiatisée : la France dépense trop par rapport à ses voisins. Ceci apparaît comme une raison suffisante pour mettre la priorité sur la réduction des dépenses publiques.
Rappelons tout d’abord que les dépenses publiques ne constituent pas une part du PIB. Si la phrase ci-avant n’est pas fausse en elle-même (il est toujours possible de comparer une grandeur à une autre), il n’en reste pas moins qu’elle apporte peu d’information et peut surtout induire en erreur en amenant à penser que la sphère publique dépense plus de la moitié de la richesse nationale (c’est d’ailleurs ce qu’a affirmé récemment le président de la République).
Quand le président de la République s’emmêle les pinceaux « Nous dépensons en fonctionnement et en investissement pour notre sphère publique plus de la moitié de ce que nous produisons chaque année. », cette phrase prononcée par le président de la République lors de son allocution de nouvelle année[10] est erronée à plusieurs titres : -Il existe trois façons de calculer le PIB : par la production, par la demande, par le revenu[11]. (Dans les trois cas, la part du PIB attribuée aux administrations publiques est très largement inférieure aux volume total des dépenses publiques[12]. -La dépense publique ne peut en rien être assimilée, ce que sous-entend la formulation présidentielle, à une destruction ou un prélèvement de richesses créées par les entreprises privées : en effet le secteur public crée également des richesses. Si on prend le calcul du PIB par la demande il comprend les dépenses de consommation finale des ménages et des administrations publique + l’investissement de tous les acteurs économiques (ménage, entreprises, administration) + les exportations – les importations. Il est frappant de constater que d’un côté on encourage la consommation des ménages et l’investissement du privé et que de l’autre on stigmatise les dépenses publiques. -Comme on l’a vu dans la partie précédente les dépenses de fonctionnement et d’investissement représentent moins de 40% du volume total des dépenses publiques. |
Le ratio dépenses publiques sur PIB sert surtout à comparer les pays entre eux mais comme nous allons le voir ces comparaisons sont largement illusoires : une large partie de la dépense publique en France est liée à des services qui, dans d’autres pays, sont payés par les citoyens non pas via les prélèvements obligatoires mais via des dépenses directes au secteur privé (ex : les retraite par le biais de fonds privés, les frais de santé ou de scolarité etc.).
D’un pays à l’autre, les dépenses publiques ne recouvrent pas la même chose.
Elles dépendent de choix de société quant à la volonté ou non de mutualiser les risques de la vie sur l’ensemble des citoyens, de réduire les inégalités, sur la part assignée au public et au privé pour la fourniture de services sociaux ou en infrastructure. Elles dépendent également des tendances démographiques (part des actifs par rapport aux retraités, nombre d’enfants scolarisés) ainsi que des conventions comptables[13].
Prenons l’exemple des retraites qui constituent l’un des premiers postes de dépense publiques partout en Europe. Si la moyenne des pays de l’UE se situait à 10% du PIB en 2016 (10,8% pour la zone euro), certains pays comme la France étaient au-dessus à 13,5% et d’autres comme les Pays-Bas bien en dessous (6,7%). Une des différences majeures tient au fait qu’on a d’un côté un système public par répartition et de l’autre un système mixte public/privé. Les comparaisons basées sur le rapport des dépenses publiques de retraite au PIB sont donc invalides puisqu’elles ne comparent pas la même chose : le coût pour les citoyens des retraites privées est pas définition exclu.
Or, si on retire les dépenses liées aux retraites, la France « championne des dépenses publiques » en Europe passe d’un coup à la cinquième place ex-aequo avec l’Islande.
Source – Eurostat – Dépenses des administrations publiques par fonction
Pour qualifier l’efficacité du système, il ne suffit pas de faire des comparaisons comptables, il faut se poser la question des objectifs poursuivis et de la qualité du service rendu.
Comme on l’a vu la France a l’un des systèmes les plus généreux en matière de protection sociale : quel est l’impact sur la situation sociale en France ?
Le système de retraite permet-il, par exemple, d’assurer un niveau de vie décent aux personnes âgées ? Sur ce point, la France fait mieux que la moyenne européenne, puisque le taux de personnes âgées (+ de 65 ans) en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale est l’un des plus bas d’Europe (9,5% en 2017 au lieu de 17% pour la zone euro et 18% pour l’UE)[14]. De même le taux de pauvreté[15] des plus de 65 ans se situait à 7,8% en 2017 contre 14,3% pour la zone euro.
Plus généralement, les dépenses publiques françaises ont un rôle important dans la réduction de la pauvreté. Selon la DREES[16], le taux de pauvreté en France métropolitaine s’élevait en 2015 à 14,2% : près de 9 millions de personnes vivaient avec moins de 1015€ par mois. C’est l’un des plus bas en Europe (il était à plus de 17% pour la zone euro et l’Union européenne). Sans les transferts sociaux, ce taux de pauvreté atteindrait 22,3%, près d’un Français sur 4.
L’objet n’est pas ici de dire que le niveau des dépenses publiques françaises est justifié dans tous les cas par des impacts économiques, écologiques et sociaux de haut niveau. Mais bien de remettre la question des impacts et de la qualité au cœur du débat.
Le niveau de vie n’est pas simplement déterminé par le revenu après impôt mais par ce que chacun doit débourser pour bénéficier de tel ou tel service collectif.
Il n’y a pas de solution magique soit nous payons les assurances et services collectifs via nos impôts, soit via des contrats privés, soit nous nous en passons.
Si l’école n’était pas payée par les impôts elle devrait l’être par des contrats privés au risque de voir l’éducation réservée à ceux qui en ont les moyens. C’est par exemple ce qu’on observe aux Etats-Unis ou non seulement les disparités sont énormes entre éducation publique et privée mais où en plus le coût moyen par élève est très élevé.
Ce raisonnement est valable de la grande majorité des dépenses publiques : eau potable, gestion des déchets et des eaux usées, santé, retraite, éclairage public etc. Prenons l’exemple des pompiers : on considère aujourd’hui le service qu’ils assurent comme relevant de l’intérêt général. Mais cela n’a rien d’une évidence. Les pompiers privés étaient la norme à Londres jusqu’à la création en 1866 de la Metropolitan Fire Brigade. Depuis les années 80, les brigades privées se développent aux USA à la faveur des coupes budgétaires combinées à l’augmentation des feux de forêt[17].
Le niveau des dépenses publiques dépend donc de la nature (publique ou privée) des canaux utilisés pour financer les services sociaux et collectifs dont nous bénéficions. Des comparaisons internationales dignes de ce nom devraient donc à minima agréger les dépenses publiques et privées concernant ces services pour ensuite les confronter les unes aux autres. De telles comparaisons existent pour certains domaines[18] mais force est de constater qu’elles sont loin d’être au cœur du débat actuel.
3. Le discours stigmatisant les dépenses publiques attise la contestation sociale
L’insistance sur la nécessaire réduction des dépenses publiques traduit la prédominance d’une vision comptable. Les critères financiers, les préoccupations concernant les coûts de gestion deviennent une fin en soi et prennent le pas sur les missions que les services publics sont sensés assurer, conduisant à la dégradation de leur qualité voire à leur abandon. La sociologue Nadège Vezinat explique très bien cela dans l’article « Le crépuscule des services publics » paru récemment sur le site La vie des idées.
Cette prédominance des préoccupations financières se manifeste d’une part, comme on l’a vu plus haut, par la baisse des investissements dans les infrastructures publiques conduisant à leur dégradation progressive (des rams de métro ou de trains, des bâtiments, des espaces verts), brutalement mise en lumière lors de catastrophes telle le déraillement du train Corail Intercités en juillet 2013 à Brétigny-sur-Orge.
Elle se manifeste également par l’insistance sur la « nécessaire » rentabilité des services publics : adoption de modes de gestion inspirés du privé (ex : mode de financement des établissements hospitaliers en fonction des diagnostics et actes médicaux pratiqués) ; fermeture des activités considérés comme non rentables.
Or, le secteur public n’a t-il pas justement pour vocation d’apporter des services sur les segments délaissés par le privé : doit on mettre fin à la prévention en matière médicale ; la recherche doit-elle délaisser les maladies rares ; ne doit-on plus entretenir les routes et infrastructures dans les zones peu denses … au motif que tout cela n’est pas rentable ?
C’est cette logique de rentabilité qui conduit à la saturation des hôpitaux, aux conditions de travail dégradées pour les soignants et in fine à une mise en danger des patients. C’est également cette logique qui préside à la concentration en grosses unités pour limiter les coûts de gestion contribuant ainsi, dans certains territoires, à un éloignement croissant des des tribunaux, écoles, postes, hôpitaux, maternités ; éloignement, qui nourrit le sentiment d’abandon et d’injustice, ferment des contestations sociales actuelles.
En guise de conclusion
Un haut niveau de dépense publique n’est pas le signe d’une mauvaise gestion, mais la traduction de choix de société sur le degré de mutualisation des risques de la vie, sur l’attention aux plus démunis et sur la part des services collectifs assurés par le secteur public. Du coup, les comparaisons internationales n’ont aucun sens car elles ne considèrent pas l’ensemble des coûts relatifs aux services rendus : ceux du privé et ceux du public. Elles traduisent la prédominance d’une vision comptable de l’action publique, une vision délétère qui au lieu de mettre en avant la générosité du système, et la fierté de disposer de services publics et sociaux, au total, de qualité et performants, le stigmatise et entretient la peur et la culpabilisation dans un contexte déjà largement marqué par les contestations sociales.
Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas faire d’économie. Il serait, par exemple, particulièrement cohérent au vue des objectifs affichés en matière d’écologie de supprimer les dépenses publiques et les exemptions fiscales défavorables à l’environnement. Mais ces choix doivent reposer sur un vrai débat portant sur les objectifs et la qualité de l’action publique. La politique actuelle visant à faire des coups de rabots sans vision autre que comptable est particulièrement nuisible.
Pour compléter ce dossier, nous nous pencherons dans de prochains articles sur la question du financement de l’action publique ainsi que sur la question de la dette.
Marion Cohen et Alain Grandjean
9 réponses à “La France championne des dépenses publiques : comment fausser un débat ?”
Merci pour ce cours salutaire d’autodéfense intellectuelle !
La France « championne de la fiscalité » : c’est faux !
voir l’analyse d’Olivier Passet sur Xerfi Canal début décembre 2018 dont je rappelle le résumé ci-après :
» La France championne d’Europe et même de l’OCDE des prélèvements obligatoires… Années après années, la presse économique rejoue la scène de la stupéfaction. Et dès que le ras-le-bol fiscal resurgit, sous ses formes diverses et variées, qu’ils soient pigeons, bonnets rouges ou gilets jaunes, c’est toujours cette données que l’on exhibe, comme témoignage édifiant de l’enfer fiscal hexagonal. Le chiffre n’est pas contestable, mais il nous livre une version très tronquée de la réalité fiscale hexagonale. On y mélange les impôts proprement dit et le financement de la protection sociale. Et cette deuxième composante contient des éléments très divers dont une large part est un pseudo-prélèvement, puisque qu’il garantit un revenu différé en cas de retraite, de chômage ou d’arrêt maladie notamment (…) « .
Et mon commentaire :
Il faudrait quand même que politiques, économistes et journalistes finissent par intégrer que, comme le dit Olivier Passet, dans la notion de prélèvements obligatoires » on y mélange les impôts proprement dit et le financement de la protection sociale. Et cette deuxième composante contient des éléments très divers dont une large part est un pseudo-prélèvement, puisque qu’il garantit un revenu différé en cas de retraite, de chômage ou d’arrêt maladie notamment « .
Arrêtons de faire de la démagogie par des effets de manche et de gros titres dans les médias.
Combien une protection équivalente coûterait si on passait par des systèmes d’assurances privées ? Et bien sûr elle ne serait jamais équivalente pour les plus modestes qui n’auraient pas les moyens de payer des primes suffisantes pour avoir le même niveau de prestations.
Distinguons les impôts servant aux charges de l’Etat et des collectivités publiques d’une part, la protection sociale et la santé d’autre part.
Et regardons de près l’évolution de chacun sur longue et moyenne période ainsi que leurs composantes.
Merci Alain ! Une fois de plus, tu mérites notre gratitude pour tes… « salutaires réactions d’autodéfense intellectuelle », comme dit un autre commentaire !
Bien amicalement,
Raymond
N B La colonne de droite (celle qui présente le blog), rend illisible le tableau sur lequel tu t’appuies. J’ai essayé de réduire sa largeur, mais ce n’est pas possible.
Bonjour Raymond,
Merci de votre commentaire !
Effectivement si vous lisez sur un téléphone ou sur un ordinateur avec un petit écran vous aurez du mal à voir les tableaux. Mais comme se sont des images on ne peut pas faire grand chose (sauf à les mettre en tout petit et donc illisibles aussi). Nous avons mis en ligne le fichier excel dans lequel vous retrouverez tous ces tableaux et les sources : https://bit.ly/2NMZUug
Marion
Bonjour,
Merci de cette anayse très intéressante. Comme vous le dîtes, la dépense publique est une question de choix de société. Mais au delà des comparaisons, l’argument mis en avant pour réduire cette dépense est qu’elle n’est pas soutenable car il faut toujours emprunter plus pour la financer. Que répondre à cela ?
Merci.
« car il faut toujours emprunter plus pour la financer. Que répondre à cela ? »
Mais est-ce que ce gouvernement (et d’autres) a le moindre souci de ce coté ?
A y regarder on verra QUE NON.
Car enfin, que fait-il pour réduire les paradis fiscaux (l’UE est de ce point de vue une mascarade et la France l’accepte !)
la France privatise et ainsi se prive de revenus qui ipso facto oblige à emprunter ou moins redistribuer, salauds de pauvres.
La France ne fait pas le plus petit effort pour réduire sa dépendance énergétique (entièrement importée) en par exemple taxant les avions camions, en incitant VRAIMENT à isoler, en incitant VRAIMENT à produire localement (pour faire une centrale solaire ou vent, il faut combattre des blocages administratifs parfaitement calibrés pour que rien ne se fasse (sinon epsilon).
BREF
TOUS nos gouvernements favorisent la RENTE des multinationales en place.
c’est une évidence.
leurs discours sont escroquerie.
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