La Commission européenne a lancé le 19 octobre 2021 une consultation relative à la réforme des règles budgétaires européennes. Avec plusieurs économistes et personnalités, nous avions lancé en septembre dernier un appel proposant de transformer le Pacte de Stabilité et de Croissance[1] en Pacte de Résilience et de Solidarité. Ce court article vise à proposer des pistes de réforme.
Les attendus d’une réforme souhaitable des règles budgétaires européennes
- Il est irréaliste de viser une réforme des traités et souhaitable de viser une réforme législative et des guides d’interprétation utilisés par la Commission européenne.
- Les investissements publics et privés de la transition sont massifs et croissants dans le temps[2] ; à ce stade insuffisants (et limités par l’application des règles actuelles du PSC), leur caractérisation précise demande des choix planifiés et une appropriation par les gouvernements nationaux.
- Un consensus se dégage sur le fait que les objectifs de dette publique doivent être adaptés à la situation de chaque pays.
- Il est souhaitable que des décisions politiques importantes ne soient pas fondées sur des variables non-observables (Nairu, Déficit structurel, Out-put gap..)[3].
- La situation de sous-emploi actuel ne peut être caractérisée par le taux de chômage mais par des indicateurs intégrant le temps partiel subi.
- La capacité de pilotage des investissements publics est à renforcer dans les domaines clefs de la transition.
- Les avancées envisagées par la coalition allemande sont à prendre en considération. En particulier, celles qui concernent un « recalcul » de l’out-put gap[4].
Notons cependant que quelles que soient les améliorations apportées à ce cadre budgétaire, la gouvernance économique et budgétaire de l’Union monétaire restera perfectible en l’absence d’un renforcement durable des capacités budgétaires de cette dernière et de compétences de l’Union et des États membres permettant de mettre fin à la concurrence des régimes fiscaux.
Propositions
Principes généraux d’une réforme du Pacte de Stabilité et de Croissance :
- simplifier les procédures budgétaires,
- les aligner sur les objectifs transversaux de l’Union (climat, biodiversité, résilience, solidarité),
- les démocratiser.
Concrètement :
1-Faire de la procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques[5] le cœur de la gouvernance économique européenne en :
- intégrant le volet préventif du PSC dans cette procédure[6] et,
- en fondant les évaluations de l’économie, y compris du solde budgétaire et de la dette publique, sur une batterie de critères[7] traduisant les enjeux de stabilité macroéconomique, de stabilité sociale, et les objectifs de transition écologique. Ces indicateurs doivent être suffisamment faciles d’accès pour permettre d’alimenter le débat public.
En effet, Il n’est pas possible de juger de la pertinence d’une politique budgétaire en ne se fondant que sur des indicateurs comptables sans prendre en considération les interactions avec d’autres variables et politiques macroéconomiques, financières et monétaires, sociales et maintenant climatiques.
2-Sanctuariser les programmes d’action d’une transition juste, de manière pluriannuelle en n’en tenant pas (ou que partiellement) compte dans le calcul du déficit pertinent ; intégrer dans la « batterie » de critères, des critères physiques caractérisant l’avancement de ces programmes d’action et conditionnant cette sanctuarisation.
En effet, la qualité des finances publiques, leur impact sur le fonctionnement de l’économie, est actuellement un angle mort des règles budgétaires.
L’encastrement de l’économie dans les limites planétaires par une transition juste et la prise en compte des risques afférant doit devenir la préoccupation prioritaire tant pour les volumes de financements que pour l’efficacité des politiques financées. Les objectifs agréés au niveau européen, notamment pour la transition énergétique et la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, devraient être les deux phares de la qualité des finances publiques.
3-Evaluer la soutenabilité de la dette publique pays par pays, en intégrant des indicateurs économiques et écologiques complétant le PIB et en utilisant des projections macroéconomiques – par exemple pour l’évolution du PIB ou l’inflation- laissant apparaître une fourchette d’incertitude, pour éviter le risque de sous-dépense[8] (lié à une surévaluation du risque de tensions sur les capacités productives).
Dans un contexte d’incertitudes grandissantes et de possibilités d’évènements extrêmes, une attention particulière est portée à distinguer ce que l’on sait de ce que l’on ne sait pas, y compris les difficultés à ce jour à intégrer dans les modèles macroéconomiques l’énergie et les boucles de rétroaction économie-environnement.
Cette évaluation étant politique, doit être assumée par les gouvernements nationaux. La nouvelle gouvernance devra ouvrir des espaces pour des arbitrages politiques devenus plus complexes, y compris du point de vue de la justice intergénérationnelle, entre stabilisation, endettement et financements des politiques écologiques. Ces pressions seront politiques, juridictionnelles et proviendront également des investisseurs privés en manque d’orientations claires.
4- Permettre l’implication étroite de la société civile dans la préparation des orientations budgétaires et des politiques économiques.
En particulier, des ajustements s’imposent au niveau des méthodes pour en assurer la transparence et la fiabilité, comme l’abandon de toutes les variables non observables. Dans un contexte d’incertitudes grandissantes et de possibilités d’évènements extrêmes, une attention particulière doit être portée à distinguer ce que l’on sait de ce que l’on ne sait pas, y compris les difficultés à ce jour à intégrer dans les modèles macroéconomiques l’énergie et les boucles de rétroaction économie-environnement.
Annexe – Pour mémoire les propositions de l’appel à remplacer le PSC par un Pacte de résilience et de solidarité
Le texte intégral de l’appel et la liste des signataires est consultable sur le site d’Alternatives Economiques.
1 – Prendre pleinement en compte les risques écologiques et sociaux dans le pilotage budgétaire de l’UE. La soutenabilité de la dette publique est évaluée en intégrant notamment les risques d’un sous-investissement dans la transition juste.
2 – Sanctuariser et encourager le financement de la transition juste. Les dépenses publiques nécessaires à une transition juste de l’UE sont exclues du calcul du déficit et encouragées. Ces dépenses ne se limitent pas aux investissements verts. Elles incluent les aides aux l’investissements vert des ménages et entreprises, ou encore la formation professionnelle des travailleurs de secteurs en transition.
3 – Réviser les outils de coordination économique. La coordination des économies n’est plus dominée par les règles numériques de gestion budgétaire. Elle intègre les réalités économiques de chaque pays et de la zone euro, en particulier patrimoine public, taux d’intérêt, dette privée ; elle porte une attention égale aux coûts et risques générés par les déséquilibres d’emplois, sociaux, écologiques, monétaires et financiers.
4 – Démocratiser la gouvernance budgétaire et économique : La nouvelle gouvernance est basée sur des objectifs économiques, écologiques et sociaux lisibles et cohérents. Elle favorise le débat démocratique et la légitimité politique des règles communes.
Alain Grandjean et Ollivier Bodin (ancien fonctionnaire international, fondateur de l’ONG Greentervention)