Suite au lancement demandé par le gouvernement d’une étude sur la construction de 6 nouveaux EPR en France, j’ai participé à l’écriture de deux articles pour Enerpresse : Peut-on se passer de nucléaire en France ? [1] (appelé par la suite article GLP) et La montée en puissance des énergies renouvelables électriques ne nous mettra pas sur la paille [2](article GQS). Ces deux articles visaient à comparer le coût et la faisabilité d’un mix électrique principalement ENR à un mix 50% nucléaire. Malgré des horizons de temps, des hypothèses de consommation et de choix de moyens de production différents, ces deux articles parviennent à des conclusions similaires. Les coûts des deux mix sont comparables, ce qui rend caduque un des arguments régulièrement avancés contre les EnR électriques, à savoir leur coût exorbitant. L’analyse rationnelle conduit donc à ne pas s’engager tout de suite dans la construction de 6 EPR pour prendre le temps d’étudier les différentes options. La parution de ces deux articles ainsi que la communication qui les a entouré (tels une tribune dans le Monde, et une interview sur France Inter) ont suscité de nombreux commentaires et questions ; avant de répondre à certaines d’entre elles (d’autres réponses viendront dans de prochains articles) je pense utile de faire quelques remarques visant à « planter le décor » du débat.
- Du point de vue du climat, la priorité est de réduire le recours aux énergies fossiles (et ou, si on le peut, de capter le CO2 qu’elles émettent à la combustion) ; cela peut se faire par économie d’énergie ou par report vers une source non carbonée et avec différents vecteurs : électricité, gaz et solide (bois buches et pellets), le liquide énergétique décarboné (biocarburant) étant a priori moins accessible.
- On ne peut en déduire ipso facto que le nucléaire, source d’énergie peu carbonée, ne pourrait pas par principe être remplacé ; il y a bien un arbitrage à réaliser entre plusieurs options.
- Cet arbitrage doit être réalisé avec les options effectivement disponibles ou à venir, leurs avantages et inconvénients (aux plans climatique, sanitaire, écologique et économique) ; en France les réacteurs nucléaires vont pour beaucoup atteindre les 40 ans dans les cinq prochaines années et vont, qu’on le veuille ou non, arriver en fin de vie d’ici 2050.
- La question posée aujourd’hui (par l’initiative du gouvernement) est celle du lancement ou non de 6 EPR (sur le design de Flamanville) ; ce n’est pas un débat théorique pour ou contre le nucléaire.
- Cette question se pose dans le cadre d’un réseau électrique assez fortement connecté au niveau européen – ce qui offre des possibilités en termes de gestion de réseau supérieures à celle d’une « île » électrique.
- Les choix énergétiques sont majeurs et nécessitent débat démocratique[3] et décisions politiques (en Europe, c’est aux Etats-membres de décider, même s’il existe des directives dans certains domaines). Le rôle des experts est d’éclairer le débat mais pas de se substituer à la décision démocratique
- Nos articles n’avaient pas pour but de construire un scénario précis mais de donner des éléments de raisonnement basés sur des chiffres et des projections plausibles. Dans tous les cas, la priorité est de réduire la demande d’énergie et les projections concevables dépendent au premier ordre du niveau de cette réduction.
Dans ce cadre, les articles auxquels j’ai participé montrent qu’il n’est pas rationnel aujourd’hui de lancer ces 6 EPR et qu’il est préférable d’attendre au moins 5 ans. L’alternative qui consiste à remplacer progressivement les réacteurs en fin de vie par des EnR est aujourd’hui économiquement équivalente ; rappelons qu’en termes d’émissions de GES elle est du même ordre de grandeur.
Ceci provient de trois facteurs majeurs :
- la baisse considérable et qui va se poursuivre des coûts de production des EnR ;
- la dérive considérable du cout des EPR en construction et l’absence d’autre option crédible et maîtrisée (dérivée du design EPR ou autre) en France à ce jour ;
- la capacité accrue des gestionnaires de réseau à faire s’apparier l’offre et la demande d’électricité qui sont toutes les deux variables en disposant de techniques de gestion de la demande, de réseaux adaptés et de moyens variés de stockage, STEP, Batteries, Gaz de synthèse renouvelable (hydrogène, ammoniac, méthane, parfois aussi appelés Power To Gas To Power, P2GP dans la suite).
A horizon 2035 avec les perspectives actuelles d’évolution de la consommation d’électricité, la démonstration est acquise : il est possible de faire face à une part d’électricité renouvelable variable de l’ordre de 50% de la production. A plus long terme, il semble possible de se passer des EPR, mais cela suppose plusieurs hypothèses dont on peut discuter. C’est pour cela que les travaux de prospective à horizon 2050 lancés par RTE et dont les résultats devraient paraître en 2020 sont indispensables pour préciser les points de tension éventuels.
A ce jour, les études et réflexions ne permettent pas de conclure définitivement sur ce qu’il sera possible et souhaitable dans 5 ans pour plusieurs raisons :
- les possibilités et besoins à terme en matière de stockage et de réseaux – en fonction des scénarios- ne sont pas encore suffisamment documentés ;
- les 5 ans à venir permettront de voir si le développement des EnR prend le bon rythme (il est actuellement clairement insuffisant) et de valider les hypothèses sur les potentiels réellement accessibles ;
- d‘éventuelles nouvelles technologies nucléaires (développées en dehors de la France) pourraient dépasser le stade de prototype et offrir des perspectives moins problématiques que celle de la filière qui s’est concentrée sur l’EPR.
1. Rappels sur le coût actuel de l’EPR et estimations retenues dans les articles
L’EPR de Flamanville3, décidé en 2006 pour une mise en service initialement prévue en 2012, n’est toujours pas terminé (pas plus que celui d’Olkiluoto en Finlande, initié en 2003, qui, 17 ans après, n’est pas mis en service[4]). Son coût à terminaison est estimé aujourd’hui par EDF à 12,4 Mds d’euros, soit près de 4 fois son devis initial (de 3,3 Mds). Le délai de réalisation (à ce stade la mise en service est reportée en 2023) sera rallongé de plus de 10 ans.
A 12,4 milliards pour un réacteur d’une puissance de 1630 MW en retenant un taux d’utilisation optimiste de 85 %, (qui suppose un usage en base et pas de contribution à la modulation de la demande) le coût de revient[5] serait de l’ordre de 150 euros le MWh comme le montre la table de calcul ci-dessous.
(*) Voir le calcul du LCOE en note [6]
(**) Ce qui est proche des conditions financières de l’engagement de Hinkley Point
Dans l’article GLP, nous avons retenu un coût de 80 euros le MWh quasiment la moitié de celui de Flamanville3.
Dans la simulation réalisée par le CIRED (article GQS), le LCOE des nouveaux EPR est de 136 €/MWh avec un taux d’actualisation de 8% et de 87€/MWh avec un taux de 4,5% (voir encadré sur le taux d’actualisation ci-après), et ce malgré un coût d’investissement très inférieur (7,3 milliards d’euros) car son facteur de charge n’est que de 57% et 64% respectivement : en effet, la solution optimale inclut dans chaque cas une contribution des EPR à la modulation de la demande.
Certes les premiers EPR d’Olkilhuoto et de Flamanville sont des prototypes ; mais sans changement de conception, exclu à ce jour, il est difficile de croire à une baisse plus importante du coût d’investissement que celle, déjà très optimiste, utilisée dans nos projections (de 12,5 à 7mds d’euros). Le chantier d’Hinkley Point C a d’ailleurs déjà fait l’objet de deux annonces de dépassement de coût. Nul ne sait quand il sera terminé ni à quel coût[7], sachant qu’à son lancement ce dernier était annoncé à 110 euros le MWh. Notons que malgré des retards, deux EPR sont en fonctionnement en Chine (depuis décembre 2018 et avril 2019). Cependant, ces exemples ne me semblent pas probants : coûts d’investissement en Chine et en Europe difficilement comparables (notamment du fait du coût du travail ou des modalités de financement), exigences de sécurité différentes, pertes de compétences en France. Or c’est bien de la situation en France qu’il est question ici.
Dans l’article GQS, l’optimisation est faite sur la base d’un coût en 2035 d’un réacteur à 4500 euros le kW (« overnight ») –ce qui est très optimiste puisque Flamanville sortirait à 7600 euros le kW et que les observations de Lazard[8] pour 2019 situent ce coût au niveau mondial dans la fourchette 6300-11100 euros. Malgré cela, dans cette optimisation le nucléaire n’est sollicité que pour 10 à 20% de la production, car les autres moyens sont moins coûteux.
Quel taux d’actualisation retenir? Les énergies décarbonées (nucléaire ou EnR) étant très capitalistiques, le coût du MWh qu’elles fournissent est très sensible au taux d’actualisation employé. L’ADEME a récemment fait un point sur les LCOE des EnR[9]. Pour ne donner qu’un exemple, le LCOE de l’éolien terrestre actuel est estimé à 47-66€ le MWh avec un taux d’actualisation de 3% et à 54-76h le MWh avec un taux de 5%. Pour un projet « privé » le taux d’actualisation correspond au coût d’opportunité des capitaux (qui comprend le financement en capital strict sensu ainsi que les emprunts) investis, c’est-à-dire le rendement qu’il serait possible d’obtenir en investissant ailleurs la même somme. Ce taux intègre une prime de risque lié au projet, qui traduit la probabilité d’échec ou de déconvenues économiques. A priori, le risque est différent selon les filières, notamment du fait de leur maturité, et le taux d’actualisation devrait donc être différent selon les filières. Il dépend aussi fortement, du point de vue d’un investisseur privé, du market design dans lequel est plongé le projet (exposition au marché de court terme ? contrat de long terme avec conditions de prix convenues ex ante ?). Pour un opérateur donné et un projet donné, le taux choisi pour calculer un prix de revient est le coût de financement obtenu (qui est une moyenne pondérée du cout du capital et des emprunts). Dès lors, certains projets peuvent faire apparaître un coût « compétitif » grâce à des financements performants. Dans un calcul vu de la collectivité, dans la ligne des travaux de France Stratégie (commissions Gollier puis E. Quinet)[10], comme de ceux du HM Treasury au Royaume Uni, les économistes s’accordent à retenir un taux réel typiquement dans la zone 3-4%, avec éventuelle majoration pour les technologies qui embarquent des risques de mode commun. Il y a débat sur le taux à retenir pour le nucléaire 4% (David Newbery[11] dit que oui) ou 6-7%, et ce débat renvoie à la fois aux risques techniques et à la régulation du marché. |
2. Facteur de charge des énergies éoliennes
Le facteur de charge d’une centrale électrique est le rapport entre l’énergie électrique effectivement produite sur une période donnée et l’énergie qu’elle aurait produite si elle avait fonctionné à sa puissance nominale durant la même période.
Le facteur de charge des éoliennes dépend :
- du vent (donc de leur localisation) ;
- de leur capacité à le transformer au mieux en énergie : sur ce plan, des progrès permanents sont réalisés comme le montrent les 2 graphiques ci-après (cf blog de Cédric Philibert) ;
- comme pour toute autre source d’électricité, de l’appel effectif du gestionnaire de réseau (il est possible « d’écrêter » une éolienne, autrement dit de ne pas utiliser sa puissance à un instant donné).
* Dans l’article GLP, nous avons retenu un facteur de charge pour l’éolien terrestre, de 28% (2500/8760) (sachant que celui constaté en France en 2018 est de 21,1%)[12] – et de 48% (4250/8760) pour l’éolien offshore.
Ces facteurs de charge, alors qu’ils sont projetés en 2050, sont déjà cohérents avec les données relatives aux éoliennes les plus récentes comme le montre le graphique précédent et celui de l’AIE ci-après.
Ces résultats sont également cohérents avec la récente publication de l’ADEME sur les coûts des énergies renouvelables et de récupération.
Voici par exemple le tableau 19 pour l’éolien maritime (page 38).
* Dans l’article écrit avec le CIRED (article GQS) nous retenons des facteurs de charge plus élevés : 32% pour l’éolien terrestre et 53% pour l’éolien offshore. La méthode utilisée est publiée[13] et validée en reproduisant très bien les facteurs de charge pour la France[14] .
Par ailleurs, ces facteurs de charge ne cessent de progresser dans le monde.
« The average 2018 capacity factor among projects built from 2014 through 2017 was 42%, compared to an average of 31% among projects built from 2004 to 2011 and 24% among projects built from 1998 to 2001”[15].
3. Crédit de capacité des éoliennes
Le crédit de capacité est la puissance pilotable dont on peut faire l’économie en gardant le même critère de fiabilité du réseau (trois heures de coupures par an dues à un déséquilibre offre-demande). A ce sujet notons que ce critère de 3 heures est conventionnel, très exigeant et un peu trop global (les besoins de continuité de service ne sont pas les mêmes selon les usages, et les technologies numériques aideront à mettre en œuvre ces différenciations).
Dans l’article GLP, nous avons retenu un chiffre de 10% pour l’éolien terrestre et de 30 % pour l’éolien maritime.
Pour le maritime c’est ce que propose l’AIE :
« Offshore wind can also contribute to the adequacy of electricity supply (the ability of the system to meet demand at all times from a planning perspective). The high capacity factors and seasonality of offshore wind means that 30% or more of its capacity can be counted towards reliability requirements, which is a higher percentage than for onshore wind and solar PV (Figure 23). This reduces the need for investment in other dispatchable capacity, including investment in combined-cycle gas turbines CCGTs). » (Offshore Wind Outlook 2019).
Pour le terrestre, le chiffre de 10% est sans doute sur-estimé aujourd’hui. Mais cela se discute à horizon plus lointain du fait des progrès techniques.
Pour répondre à cette question, Cédric Philibert explique ainsi sur son blog : « C’est bien pour cela que seule une étude de modélisation approfondie, dont RTE a les moyens, avec vingt ans ou plus d’historique de production et de demande mais qui devra également compter sur l’évolution technique (les éoliennes modernes démarrent avec des vents plus faibles, surtout si elles n’ont pas de boîte de vitesse) et l’évolution prévisible de la demande, permettra de calculer avec précision les crédits de capacité et donc dimensionner les stockages et capacités thermiques nécessaires, avec la marge de sécurité souhaitée, sans pour autant construire des capacités superflue. »
Notons enfin que passer de 10% à 5% de crédit de capacité pour les éoliennes terrestres ne remet pas en cause le raisonnement global de l’article GLP.
4. Potentiel des EnR et acceptabilité sociale
Les choix énergétiques sont des choix de société mais ils se heurtent à des réalités physiques ; ni l’électricité ni toute autre forme d’énergie ne sort des murs. Aucune solution n’est sans inconvénient ou sans coût pour les uns ou les autres. Les grands arbitrages reposent sur le niveau de la consommation d’énergie et ensuite sur les moyens pour les satisfaire sous un certain nombre de contraintes (en l’occurrence nous raisonnons ici en visant à respecter les engagements climatiques français).
Concrètement il faut, pour l’électricité, arbitrer entre :
- le niveau de consommation d’énergie et sa part consommée sous forme électrique,
- la part de l’électricité produite par l’énergie nucléaire,
- la part produite par les EnR.
Si nos concitoyens s’opposaient sur le terrain à tout nouveau projet d’EnR (éolien, bio méthane, solaire etc.), il ne serait pas possible de projeter un scénario compatible avec les engagements climatiques de la France sans (ou avec peu de) nucléaire. Cependant, l’acceptation ou non des projets sur le terrain résulte de nombreuses considérations liées en particulier à la manière dont ils sont conduits et communiqués et par ailleurs à l’implication éventuelle (soit dans la décision soit dans le financement) des riverains et des voisins. Il n’est donc pas si facile que cela d’établir des vérités définitives sur cette question. Il y a toujours une forme de pari.
La France a, de ce point de vue, un énorme avantage. Les réacteurs nucléaires produisent une électricité bas-carbone et ils peuvent être prolongés (sous réserve des décisions de l’autorité de sûreté nucléaire). Le rythme d’installations des EnR est aujourd’hui insuffisant par rapport à la PPE (qui est compatible avec la SNBC). Il sera possible (et nécessaire) en 2025 de faire le point pour savoir s’il est envisageable de maintenir ou non l’objectif de fermeture de 14 réacteurs avant 2035 tout en respectant les objectifs de la SNBC.
Discutons maintenant des trois technologies majeures.
4.1 Le solaire photovoltaïque.
Nous avons retenu, dans l’article GLP, une puissance installée solaire PV en 2050 de 100 GW produisant 120 TWh. Cette hypothèse est plutôt basse, les scénarios disponibles à ce jour la positionnant entre 90 et 190 GW.
Le solaire ne pose pas vraiment de problème à ce jour d’acceptabilité sociale. Sur des parcs au sol il faut entre 1 et 2 ha pour produire 1 MW ; donc 100 GW demanderaient (si l’on se limitait à ses seuls parcs) de 100 000 à 200 000 ha ce qui est, comme nous allons le voir, largement accessible
. Le problème principal est celui de l’artificialisation éventuelle des terres agricoles et naturelles.
C’est pourquoi il est nécessaire de :
- faciliter le solaire sur les zones « délaissées » dont le potentiel se situerait (selon une étude du CEREMA réalisée pour l’ADEME) entre 25 et 50 GW[16];
- faciliter l’agrivoltaïsme qui offre une reponse non seulement à l’artificialisation des terres agricoles mais aussi à leur adaptation nécessaire au changement climatique ; il pourrait représenter 50 à 100 GW ;
- faciliter le segment solaire « résidentiel et moyennes toitures» qui représente[17] 31% du volume total raccordé aujourd’hui (qui est légèrement inférieur à 10GW).
4.2 L’éolien terrestre
Nous avons retenu, dans l’article GLP, 72 GW d’éolien terrestre (soit 56 GW de plus qu’aujourd’hui) technologie qui fait aujourd’hui l’objet de critiques très médiatisées. Pour autant, comme nous le disons dans l’article, une densité éolienne équivalente à celle de l’Allemagne aujourd’hui permettrait d’installer 91 GW. Nous projetons donc pour 2050 une densité d’éolienne inférieure à celle de l’Allemagne actuelle.
Fin 2019, sont installées 16,5 GW, pour une production de 34 TWh. La puissance raccordée pendant l’année 2019 a été de 1,4 GW[18]. Les capacités éoliennes sont réparties sur l’ensemble du territoire français, avec près de 1 380 parcs comptant 7 950 éoliennes fin 2018[19].
Notons qu’à 2 à 3 MW par éolienne, il faudrait 20 000 à 30 000 mats pour atteindre 60 GW, soit 3 à 4 fois le parc actuel en nombre d’éoliennes.
Un rythme annuel de 2 GW permettrait au parc français de s’approcher des objectifs du « scénario haut » de la PPE (26GW en 2023) puis, s’il se poursuivait, d’atteindre 40 GW en 2030 puis 80 GW en 2050. L’implantation au sol pour les 20 000 à 30 000 éoliennes nouvelles pourrait « concerner » une surface de 500 000 à 700 000 ha ce qui est tout-à-fait accessible, étant entendu que cette surface est soit sur des zones délaissées soit toujours utilisable pour des usages agricoles avec peu de pertes de rendement agricole. Elle n’a pour contrainte principale que d’être suffisamment éloignée des habitations, en respectant des règles administratives définies.
L’enjeu clef est donc bien la concertation avec les habitants et leur participation financière éventuelle aux projets.
4.3 L’éolien maritime
Dans ce domaine les évolutions ont été très fortes, ce qui a conduit l’AIE à produire un rapport spécial en 2019.
Sa conclusion principale est frappante : l’énergie éolienne en mer devrait voir ses capacités de production être multipliées au niveau mondial par 15 d’ici 2040. Grâce à un investissement de 1000 milliards de dollars cumulés sur les 20 prochaines années, la puissance du parc éolien offshore mondial pourrait grimper jusqu’à 562 GW.
Pour la France, ce rapport projette une puissance installée de 6,5GW en 2030 (et de 26,9 pour le Royaume-Uni alors qu’elle était de 8,2 en 2018, soit une montée en puissance de 1,5 GW par an sur la période). La France prévoit de lancer un appel d’offre d’1 GW par an dans les prochaines années.
Passer de 6,5 GW en 2030 à 80 en 2050 consiste à installer 2, 5 GW par an en moyenne, c’est beaucoup mais pas impossible. L’éolien maritime ne pose pas de problèmes d’acceptabilité sociale. La seule question à poser est celle de son coût y compris raccordement et maintenance.
Concernant le cout de l’éolien maritime, le JRC[20] donne un cout d’investissement de 2500 euros le kW à l’horizon 2035 soit un coût au MWh autour de 80 euros (pour un taux d’actualisation de 8%). Nous avons retenu ce chiffre dans l’article GQS pour avoir la même source pour les hypothèses de coûts des différentes technologies. Cependant, sur le sujet spécifique de l’éolien offshore, l’étude du JRC est nettement plus pessimiste que celles de l’AIE dans son rapport spécial sur l’offshore, et que l’US EIA dans son Outlook 2020. Les résultats des récents appels d’offre confirment que les hypothèses du JRC sont très pessimistes. Ainsi, le consortium EDF-Innogy-Enbridge a remporté le marché du parc de Dunkerque grâce à un prix inférieur à 50 € par MWh[21], garanti pendant 20 ans. Ce parc comptera 75 éoliennes d’une capacité de 8 MW chacune, totalisant ainsi 600 MW au total. Il devrait produire 2,3 TWh par an dès 2026.
Nous évoquerons plus loin la question du coût de raccordement.
5. Faisabilité de la gestion offre-demande avec moins de moyens « pilotables »
Même s’il n’est pas facile de raisonner sur cette question sans faire de simulation poussée, un raisonnement schématique permet néanmoins d’avoir des ordres de grandeur.
D’une part, la demande peut être modulée par différents moyens dont la tarification, le groupage de l’effacement diffus ou le stockage par ballons d’eau chaude. Cette modulation joue surtout au pas journalier.
Le besoin résiduel de stockage est à analyser à plusieurs horizons et peut être assuré par différents moyens :
- pour l’infra-journalier, les batteries chimiques ;
- pour le journalo-hebdomadaire, les STEP :
- pour l’intersaisonnier, les STEP peuvent aussi jouer un rôle mais le recours à des moyens thermiques semble incontournable.
Au final, il peut être nécessaire de disposer dans un premier temps de moyens thermiques fossiles (mais c’est aussi le cas aujourd’hui avec le nucléaire), qui pourront être remplacés par du P2G2P ou du biogaz (qui devrait servir cependant en priorité à décarboner les usages difficiles à reporter sur l’électricité, comme le maritime, certains process industriels, et même quelques immeubles – type haussmannien à Paris – où les Pompes à Chaleur ne sont pas adaptées) ;
Il importe de mesurer le besoin intersaisonnier en TWh (qui peut être très faible). Fondamentalement, dans un pays comme la France, on peut estimer qu’il faut de quoi produire pendant quinze jours d’une très faible productivité éolienne et solaire, plus quelques heures par jour pendant deux ou trois mois, soit au total de l’ordre dix pour cent de la production annuelle.
Dans l’article GLP, nous avons procédé en ordre de grandeur et en mettant en avant la couverture de la pointe que nous avons estimée autour de 115 GW[22].
Pour rappel nous faisons appel pour la base à :
- 15 GW d’hydraulique,
- 7 GW de crédit de capacité éolien terrestre (10% de la puissance installée),
- 24 GW- de crédit de capacité éolien maritime (30% de la puissance installée – Voir question 3)
Et pour l’intersaisonnier à :
- 40 GW de capacités thermiques (avec un facteur de charge de 10% ce qui permet de fournir 35 TWh) et nous précisons dans la suite de l’article que les capacités thermiques peuvent venir à terme de P2G2P,
- 15 GW de STEP pour l’hebdomadaire et le journalier (sachant qu’il en existe déjà 5 GW et que 2 GW sont déjà prévus),
- 15 GW de batteries pour l’infra-journalier.
Ceci nous permet de passer la pointe hivernale et un raisonnement global conduit à inférer que c’est suffisant pour le reste de l’année.
Mais pour s’assurer vraiment si un mix électrique permet de satisfaire la demande électrique, il faut faire une simulation aussi fine que possible de l’équilibre offre-demande. C’est ce qui est fait dans l’article GQS, mais à l’horizon 2035. A noter que cette simulation est faite sans coupure (alors qu’aujourd’hui RTE se fixe un objectif de 3 heures de « délestage », c’est-à-dire de coupure, par an), sans élasticité de cette demande au prix de l’électricité et sans intégrer les interconnexions de la plaque européenne. Inversement, elle est réalisée avec une seule chronique de demande (alors que RTE peut simuler des milliers de chroniques climatiquement différentes) et sans intégrer le risque d’erreur de prévision. Elle inclut cependant des « réserves » destinées entre autres à pallier une mauvaise prévision de la production ou de la demande, en reprenant la méthode proposée par ENTSO-E, qui représente RTE et ses équivalents dans les autres pays européens. En pratique, ces réserves aboutissent à doubler à peu près le parc de batteries.
Plus précisément, l’équilibre de l’offre et de la demande est respecté au pas de temps horaire. Pour chaque pas horaire, le modèle décide du choix optimal. Il place les productions par ordre croissant de coût marginal. Puis si l’offre est supérieure à la demande il choisit de stocker ou d’écrêter (car il a l’information sur le besoin ultérieur d’électricité à satisfaire). Dans le cas inverse, il fait appel aux stockages par coût croissant là-aussi.
Au final dans cette simulation les moyens suivants sont utilisés :
- une petite quantité de moyens pilotables : biogaz (limité à seulement 15 TWh électriques par an, soit 2 à 3% de la demande) et lacs
- 3 moyens de stockage complémentaires :
- les batteries, peu coûteuses par unité de puissance (la « taille du tuyau », en imagé), avec peu de pertes mais chères par unité d’énergie (la « taille du réservoir », en imagé) –> l’optimisation conduit à les utiliser pour le stockage-déstockage à court terme (cycle jour-nuit)
- la méthanation, coûteuse par unité de puissance, avec beaucoup de pertes, mais peu coûteuse par unité d’énergie –> l’optimisation conduit à les utiliser pour le stockage-déstockage à long terme (plusieurs semaines)
- les STEP, pas chères, avec peu de pertes mais limitées –> l’optimisation conduit à les utiliser de manière intermédiaire.
Voici les puissances appelées et les énergies fournies dans les deux scénarios étudiés avec nucléaire (chiffres de la colonne de gauche) et sans nucléaire (colonne de droite).
6. Coûts des moyens de stockage et de back-up
Les principaux moyens de stockage actuels sont les STEP, le P2G2P, les batteries.
Dans l’article GQS, nous avons retenu à horizon 2035 les coûts suivants, qui peuvent être considérés comme très élevés au vu des baisses de coût récentes : BloombergNEF[23] estime que le LCOE des batteries a été divisé par quatre entre 2012 et 2019.
7. Coûts de renforcement et de raccordement au réseau
Rappelons d’abord que le consommateur final achète l’électricité 170 euros le MWh (17 centimes le kWh) dont 30 % pour financer les coûts de réseau, soit 51 euros le MWh, l’ordre de grandeur du coût de production actuel.
Rappelons ensuite que les installations éoliennes terrestres et solaires ne supportent pas seulement le coût de raccordement, mais également une quote-part (en €/MW) du coût de renforcement total du réseau (à l’échelle d’une région), calculé par ENEDIS et RTE, conformément aux Schémas Régionaux de Raccordement au Réseau des Énergies Renouvelables.
Donc le coût de raccordement et une partie du coût de renforcement du réseau liés aux éoliennes terrestres et au solaire PV est déjà intégré dans leur coût actuel.
Ce n’est, cependant, pas le cas pour l’éolien maritime dont le raccordement est réalisé par RTE, qui estime ce cout à 7 Mds d’euros pour 10 à 15 GW. En ordre de grandeur, cela augmente le coût du MWh de 10 à 20 euros (selon le taux d’actualisation retenu), voire deux fois moins si ce raccordement dure 60 ans (la durée de vie des éoliennes marines étant de 30 ans par hypothèse).
Etant donné que les coûts de renforcement et de raccordement au réseau augmentent plus que proportionnellement à la pénétration des EnR variables, nous avons dans les deux articles inclus des surcoûts de réseaux (en plus de ceux déjà intégrés comme noté ci-avant).
Dans l’article GLP, nous avons estimé les surcoûts de réseau liés aux EnR variables (en plus des coûts de raccordement et de la quote-part EnR terrestre déjà intégrés) à 10 à 20 euros le MWh. Cette estimation « du pouce » mériterait d’être étayée plus solidement. Ce n’est possible que par une simulation fine faite par Enedis et RTE.
Alain Grandjean
Je remercie Cédric Philibert, Philippe Quirion et Behrang Shirizadeh pour leur relecture et commentaires sur cet article, qui n’engage cependant que moi
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