[Edit 20/04/17 Une interview sur AEF (désormais en accès libre) fait suite à et complète ce plaidoyer. Voir aussi notre page dédié au Green QE]
La BCE a lancé en mars 2015 un important programment dit d’assouplissement quantitatif, consistant à acheter des obligations pour un montant mensuel de 80 milliards abaissé à 60 entre avril et décembre 2017. Ce programme est supposé durer jusqu’à la fin de l’année (et plus si nécessaire, la décision d’arrêt n’est pas prise). Il avait pour objectif annoncé de faire croître l’inflation et de participer à la relance de l’activité (par un coût du crédit extrêmement bas, les taux directeurs de la BCE étant eux-mêmes voisins de zéro).
En Juin 2016, la BCE a élargi la liste des actifs éligibles au QE pour inclure les obligations d’entreprises. Depuis lors, les banques centrales nationales de l’Eurosystème ont acheté directement plus de 75 milliards d’obligations d’entreprises. Il semble[1] que la part des « industries fossiles » dans les achats d’obligations de l’Eurosystème ait pu aller jusqu’à 68% du total des achats alors que très peu d’investissements dans les énergies renouvelables ont été réalisés[2].
A cela les économistes de la BCE pourraient répondre que leur intervention doit être sectoriellement neutre et qu’il se trouve que la part des industries carbonées est importante dans le mix actuel. En effet, il est possible de montrer qu’un portefeuille d’actions qui reflèteraient la composition du Stock 600 serait clairement aligné sur une trajectoire 4°C. La neutralité sectorielle en matière climatique conduit nécessairement à financer le réchauffement climatique. L’indice bas carbone d’ Euronext qui est compatible avec une trajectoire 2°C sous-pondère le secteur des energies fossiles et privilégient les entreprises à impact carbone aussi faible que possible (émissions induites faibles et évitées fortes).
C’est pour cela que la France a pris en 2015 une initiative législative remarquable et remarquée dans l’article 173 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte. Conformément à cet article l’ACPR (qui dépend de la Banque de France, donc de la BCE) a fait un remarquable rapport sur la manière dont les banques intégraient les risques climatiques et fait des recommandations pour qu’elles intègrent cette dimension dans leur stratégie et dans leurs financements. Les investisseurs financiers sont de plus en plus actifs en ce sens. Les émissions de green bonds croissent fortement et intéressent manifestement les marchés.
La BCE doit intégrer la question climatique dans son Quantitative Easing et peut le faire. Les critères et les méthodes existent.
C’est d’autant plus important aujourd’hui que si ce programme était réduit, comme annoncé et conduisait à des hausses de taux d’intérêt, ce serait sans aucun doute le moment d’étudier au niveau européen des moyens d’action plus efficaces, dans la ligne des propositions que vient de publier Adair Turner et de celles de la Fondation Nicolas Hulot. Il s’agirait de recourir au financement monétaire des investissements de la transition.
Dans tous les cas, le pouvoir d’orientation monétaire de la BCE est structurant, Dans tous les cas, la BCE doit intégrer le climat dans sa politique monétaire et elle peut le faire.
Il est plus que souhaitable que le futur président de la République agisse dans ce sens auprès des autorités monétaires, dans le respect bien sûr de leur indépendance. Et que d’ici là que le Groupe d’experts sur la finance durable (HLEG) créé en octobre 2016, s’empare de cette question et l’intègre dans ses recommandations.
On ne voit pas au nom de quoi la BCE ne devrait pas aligner sa politique sur l’accord de Paris et les engagements européens en la matière.
Alain Grandjean
Annexe : L’interview intégrale d’AEF (Cliquez ici pour télécharger le PDF)
[1] Apparemment la Banque de France ne publie pas le montant détaillé de ses achats, se contentant de publier la liste des actifs détenus par l’Eurosystème. Voir https://corporateeurope.org/economy-finance/2016/12/ecb-quantitative-easing-funds-multinationals-and-climate-change
[2] https://corporateeurope.org/economy-finance/2016/12/ecb-quantitative-easing-funds-multinationals-and-climate-change
Une réponse à “Pourquoi la BCE serait la seule à ne pas appliquer l’article 173 ? Plaidoyer pour un green QE”
Bonjour Alain,
Idée très intéressante qui pose quand même la question du cadre juridique dans lequel s’inscrirait la démarche.
Depuis toujours les statuts et missions de la BCE ont posé question, qu’il s’agisse de son indépendance ou de l’inscription dans l’article 2 de l’annexe du TCE de nouvelles missions (comme l’accompagnement de la croissance).
En l’occurrence, la mise en place de l’article 173 en tant que tel au niveau communautaire ne me semble pas juridiquement défendable… mais une réforme des statuts permettant de faire de la BCE un organe de combat indépendant au service de la croissance verte me paraît souhaitable (bonne chance pour convaincre nos partenaires européens).
A bientôt