Les plans de sauvetage menés par les Etats européens en réponse à la crise sanitaire se sont traduits par une forte hausse des dettes publiques. Se pose alors une question lancinante : les « dettes COVID » devront-elles être remboursées et si oui par qui et comment ? Cette question majeure qui occupe aujourd’hui largement le débat public[1] doit être envisagée dans un contexte plus large : celui de la réforme des règles de la gouvernance économique européenne. En effet, depuis des décennies les règles budgétaires définies dans le Pacte de Stabilité et de Croissance (voir annexe) constituent l’une des principales boussoles des politiques économiques européennes. Leur réforme était à l’agenda européen 2020 car elles se sont révélées manifestement inadaptées aux enjeux actuels. C’est au nom de ces règles que les pays européens se sont infligés des cures d’austérité au cours de la dernière décennie, que les services publics sont revus à la baisse, que les investissements publics, et en particulier ceux de la transition écologique, sont toujours remis à plus tard. L’objet de cet article est de recadrer le débat dans son ensemble et de remettre en perspective les grandes priorités dans l’optique de l’accélération de la transition écologique.
La priorité de court terme : les plans de relance
Dès lors qu’il était acquis, au premier trimestre 2020 que les dirigeants européens allaient discuter d’un plan de relance, la priorité était clairement le contenu de ce plan : quels secteurs aider ? quelles conditions à y mettre vis-à-vis des acteurs privés, s’agissant d’argent public ? Nous avons participé ce débat et fait des propositions concrètes[2] .
Aujourd’hui, la priorité à court terme est de faire pression pour que les plans de relance soient effectifs, dans la mesure du possible réalisés dans les secteurs d’avenir (compatibles avec une trajectoire de neutralité carbone) et, pour les secteurs du passé, que les aides publiques soient écoconditionnées.
Seconde priorité : s’assurer que la réforme de la gouvernance économique européenne favorise la transition écologique au lieu d’en être un frein
La deuxième priorité est de préparer la sortie du Covid ou plus précisément la sortie de la période d’exception budgétaire que nous vivons et qui permet aux Etats de faire face à la crise « quoi qu’il en coûte ». En effet, les plans de sauvetage et de relance menés par les Etats européens ont été rendus possible par la suspension des règles budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance. Alors que la Commission annonce que cette suspension ne prendra pas fin avant 2022, que le FMI[3] ou l’OCDE[4] insistent sur l’importance de la mobilisation budgétaire, et que même en Allemagne, pays phare de l’orthodoxie budgétaire, le débat sur le plafond constitutionnel de la dette publique est lancé[5], la France semble aller à contre courant. D’ores et déjà, le ministre du budget en France[6] ou le gouverneur de la banque de France[7] préparent l’opinion : le « quoi qu’il en coûte » ne pourra pas durer, et il faudra bien rembourser la dette. Ils anticipent donc une situation de réduction des dépenses ou d’augmentation des impôts.
Il est essentiel de préparer une alternative sérieuse à ces options, et dans un premier temps en termes de gouvernance budgétaire. La question à poser est bien celle du remplacement des règles du Pacte de stabilité et de croissance par des règles qui favorisent en priorité une transition écologique socialement juste.
Cette question est indépendante en première analyse du niveau de la dette publique, qui, à ce stade, reste soutenable : les dirigeants européens dont la présidente de la Banque centrale européenne arrivent à rassurer les marchés comme le montrent les taux d’intérêt des dettes souveraines[8]. Même si nul ne sait la durée de cette période d’euphorie, il faut bien trouver un accord européen, dans un calendrier relativement court (de l’ordre de quelques mois) sur les règles budgétaires remplaçant des règles devenues inapplicables.
Les questions à poser en vue de la réforme des règles budgétaires européennes sont les suivantes.
En termes de finalités : comment faire en sorte que les règles budgétaires européennes :
- favorisent clairement la transition écologique et la résilience de nos pays aux crises écologiques (notamment via le financement de programmes d’investissement publics adéquats)
- soient conçues dans une logique de complémentarité et de coordination avec les politiques monétaires et prudentielles afin d’orienter au mieux les flux publics et privés vers les projets de transition et d’accompagner la mutation des secteurs de l’économie fossile ;
- permettent de faire face à l’ensemble des risques (sanitaires, écologiques, économiques et financiers) et ne se concentrent plus sur la seule question de la soutenabilité de la dette publique qui n’est qu’un risque parmi d’autres et pas le plus important
- soient adaptées à une situation d’incertitudes radicales ce qui nécessite d’appliquer le principe de précaution[9].
- favorisent la coopération au sein de l’Europe et soient acceptables dans des pays aux cultures, pratiques, et situations économiques très variées
En termes de formulation
- Peut-on sortir d’une formulation exclusivement quantitative des règles budgétaires ?
- Peuvent-elles ne pas se réduire à des indicateurs relatifs à dette, déficit, PIB, inflation ?
En termes de gouvernance
- Ces nouvelles règles doivent-elles donner plus de pouvoir d’interprétation à la Commission européenne ? Plus de pouvoir au Parlement européen ? Quelle place pour la société civile ?
- Comment faire en sorte qu’elles soient plus transparentes et plus démocratiques ?
En termes de méthode
- Quelles propositions faire et à qui pour faire avancer ce dossier ?
- A quel niveau juridique les propositions doivent-elles se situer pour avoir un impact : réforme des Traités européens, propositions législatives (nouveaux règlement, nouvelles directive etc.), guidance améliorée dans les cadres actuels (via des communications de la commission, via le Vade Mecum) ?
En conclusion, faire des propositions en vue de réformer les règles budgétaires européennes qui ont jusqu’à présent constitué un frein majeur pose de nombreuses questions et va demander beaucoup de travail. C’est un sujet que nous suivons de longue date et sur lequel nous avons déjà publié des propositions que ce soit dans le livre « Agir sans attendre » ou dans diverses contributions[10] publiées sur ce blog. Un des problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés c’est que malgré l’importance vitale de ces règles, la question de leur réforme apparaît comme un sujet abscon, technique et ne mobilise pas le débat public. Un des défis majeurs consiste donc bien à convaincre les citoyens que cette question est à fort enjeu, à mobiliser la société civile pour qu’elle exerce une pression sur les autorités en charge de la décision finale.
Annexe – Le Pacte de Stabilité et de Croissance : la gouvernance économique européenne
Lancé par une résolution du Conseil Européen d’Amsterdam le 17 juin 1997, le Pacte de Stabilité et de Croissance regroupe un ensemble de textes juridiques européens[11] ayant pour objectif de coordonner les politiques budgétaires nationales et d’éviter l’apparition de déficits publics excessifs. Il constitue la déclinaison opérationnelle des grands principes de gouvernance économique inscrits dans le Traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
La PSC comprend deux volets.
- Le volet préventif repose sur l’article 121 du TFUE qui pose les grands principes et les modes de fonctionnement de la coordination Economique[12]. Le semestre européen (qui se déroule de novembre à octobre) fixe le calendrier annuel de cette coordination.
Dans ce cadre, chaque Etat membre doit transmettre un programme national de réforme et un programme de stabilité comprenant un bilan de l’année écoulée et des projections macroéconomiques sur 3 ans. Le volet préventif fixe également les objectifs à atteindre par les Etats en matière de déficit et de dette publics, lesquels sont une déclinaison des règles inscrites dans le TFUE (le déficit public ne doit pas excéder 3% du PIB et la dette 60% du PIB)[13].
- Le volet correctif[14] repose sur l’article 126 du TFUE qui pose le principe général « Les États membres évitent les déficits publics excessifs » détaille les différentes étapes de la procédure concernant les déficits excessifs (PDE) et précise notamment les modalités de déclenchement et les montants des sanctions financières.
C’est la Commission européenne qui est en charge d’instruire la décision de lancement de la PDE. Elle transmet un avis et une proposition au Conseil qui peut sur cette base décider qu’il y a bien déficit excessif et adresser des recommandations à l’Etat concerné en vue d’améliorer son solde budgétaire structurel d’au moins 0,5% chaque année. En l’absence de mesure prises par l’Etat concerné, le Conseil enclenche chacune des étapes suivantes de la procédure jusqu’aux sanctions. A noter que depuis 2011, le vote des sanctions financières se fait à la majorité inversée[15].
En savoir plus
–Les traités de l’Union européenne
–Le Pacte de Stabilité et de croissance sur le site de la Commission (histoire, programme de stabilités des Etats, explications sur volet préventif et correctif, etc.)
-Le Semestre européen sur le site de la Commission européen (agenda, les rapports remis par les pays, les réactions de la commission etc.). Voir en particulier les projets de budget annuels remis par les Etats
Alain Grandjean
Une réponse à “Revoir les règles budgétaires européennes : une priorité de l’agenda.”
Merci pour cette belle analyse, oui je crains que l’on oppose le soutien à l’emploi à la nécessité climatique en la reportant aux calendes grecques (et on connait ce qu’on fait aux grecs).
Tout est urgent mais surtout la question climatique où il nous faut bien commencer à réduire nos 5 Gt européennes de CO2 équivalent/an (importations comprises) pour atteindre moins de une en 2050.
Il faut booster l’emploi bas-carbone et restreindre le reste, non ? Peut-on l’écrire dans un traité européen ?
Vous aviez soutenu notre appel dans Ouest France en juillet, voulez-vous intervenir dans nos http://www.assisesduclimat.fr ?
(Armel Prieur qui préside l’association pour l’emploi sans carbone)