Le Dogme contre la démocratie, et …l’Europe. La Grèce rejoint l’Islande ?

Il y a quelque chose de surréaliste dans l’annonce par Georges Papandréou d’un référendum en Grèce, postérieure au sommet de Bruxelles. Comment est-il possible qu’elle n’ait pas été faite en même temps ? On comprend que les marchés dévissent. Ce pourrait être l’allumette qui met le feu aux poudres et nous conduit au « big one »,  le grand krash annoncé. Bref, un beau cygne noir, qui nous rappelle à la modestie : qui l’avait vu venir ?

L’interprétation la plus immédiate est évidemment de dénoncer l’incurie grecque et d’en faire de commodes  boucs émissaires : incapables de gérer leur Etat, fraudeurs, mendiants d’une aide qui nous aurait  coûté un bras,  ils vont en plus planter l’Euro et l’Europe avec.

Je me permets de proposer une autre lecture de cet événement extraordinaire : les européens, le peuple Grec en  étant  l’une des plus beaux fleurons, ne sont pas des Aztèques. Ils ne veulent pas se sacrifier, ni sacrifier leur idéal et en particulier pas la démocratie. Or c’est aussi ce que veut le Dogme. Si des Etats européens ne sont pas capables de gérer leur pays, on va le faire à leur place et envoyer des experts pour le faire. Cela nous rappelle le temps maudit du Chili, soumis aux golden boys, et  de tous ces pays qui ont dû passer sous les fourches caudines du FMI et de ses plans d’ajustement structurels criminels.

La force du Dogme est qu’il repose sur un apparent bon sens et sur quelques épisodes historiques, sur  du solide donc.  Financer un déficit budgétaire par la planche à billets ne peut être qu’une fuite en avant, la preuve que le gouvernement est incapable de lever l’impôt pour financer les dépenses souhaitées par ses électeurs. Cela ne peut se finir que dans l’hyperinflation (celle des assignats révolutionnaires ou des marks de la République de Weimar) et ses suites tragiques. La discipline doit être encore plus stricte, quand on est au sein d’une union monétaire, où la tentation d’un Etat serait forte de faire plaisir à ses électeurs, en comptant sur les voisins pour payer l’addition. C’est d’ailleurs pour cela que le traité de l’union européenne comporte les articles 123 (pas de planche à billets pour financer les Etats) et 125 (pas de solidarité entre Etats). Qu’opposer à ce bon gros bon sens ?

Quelques « détails » déterminants.

1    Si la banque centrale ne peut financer un  Etat, elle peut refinancer les banques qui les financent, en empochant les intérêts au passage; en cas de crise budgétaire la seule différence c’est que le risque est plus élevé : quand les banques sont en difficulté il est difficile de savoir ce qui peut se passer.

2    Ce risque est encore accru par l’invention des CDS, ces instruments de garantie de dette, inventés par nos financiers imaginatifs dont on ne sait pas bien combien sont émis, ni qui perd et qui gagne s’ils sont « actionnés ».

3    La clause de non-solidarité a pour effet de conduire à des appréciations de risque différentes entre les différentes dettes publiques des pays de  la zone euro donc à des taux d’intérêt différents. Or les « ratios de Maastricht » (déficit inférieur à 3% du PIB et dette inférieure à 60%) supposent que 3 autres  variables se comportent « sagement » : le taux de croissance du PIB, le taux d’intérêt et le taux d’inflation.

Ce qui pourrait se passer en théorie mais qui ne s’est pas passé en pratique dans la zone Euro où les économies des pays de la zone se sont mises à diverger.  Dès lors la spéculation a pu s’acharner sur les pays en difficulté.

4    Quand un pays est dans la seringue, il ne peut que recourir, avec ou sans l’aide de ses voisins, à une politique d’austérité visant à redresser ses comptes publics.

5    Mais comme l’a dit François Baroin cet été, le temps de la démocratie n’est pas celui des marchés. Ces derniers ne connaissent que deux émotions : l’exubérance ou la panique.  Ils exercent une pression vite intolérable, par l’intermédiaire de leurs bras armés, sur les peuples, qui ne comprennent pas facilement qu’on leur impose une purge. Surtout quand le déclenchement de la crise provient de la lointaine Amérique et de sa crise des subprimes. Quand les efforts les plus importants des dirigeants européens semblent avoir été faits pour éviter des ennuis aux banques…

6    Désaisir les gouvernements des deux leviers majeurs de la politique économique, le budget et la monnaie, tout en leur laissant s’expliquer devant leurs électeurs puis confier à une troïka le soin d’appliquer un plan de restructuration est un excellent moyen pour faire détester l ‘Europe.

Bref le Dogme a voulu nous faire croire qu’il allait nous permettre d’accoucher d’une belle Europe, c’est une sorcière qui sort de la crise actuelle. Le Dogme veut la peau de l’Europe dont les peuples veulent.

Dans sa probable panique, Georges Papandréou nous rend peut-être un grand service. Son pied de nez au moment où Jean-Claude Trichet le grand commandeur du Dogme laisse sa place à Mario Draghi ne manque pas de piquant. Si Jean-Claude Trichet  incarne le prototype du grand commis de l’Etat  et si l’on peut penser qu’il ne cherchera pas comme Alan Greenspan à se faire un complément de retraite auprès d’un Hedge Fund comme celui de Paulson, ce n’est pas exactement le cas de son successeur, un ancien de Goldman Sachs, très probablement bien informé des opérations de maquillage des comptes grecs réalisés par son employeur…Le Dogme tombera-t-il tout seul ?

J’ai tendance à le penser.

L’eurolibéralisme  a vécu. Que naisse une Europe débarrassée du Dogme.

Alain Grandjean

9 réponses à “Le Dogme contre la démocratie, et …l’Europe. La Grèce rejoint l’Islande ?”

  1. Avatar de Ermisse
    Ermisse

    Ce « cygne noir » est annoncé depuis des mois ici : http://www.pauljorion.com/blog/

    1. Avatar de admin
      admin

      ah bon; quelqu’un avait prévu que Papandréou demanderait un référendum le lendemain d’un accord européen?
      `bien à vous.
      AG

  2. Avatar de Ermisse
    Ermisse

    malentendu : j’avais compris que le cygne noir était le krach-crash.

  3. Avatar de citoyen
    citoyen

    Je suis un amateur en matière de finances publiques mais j’ai une idée qui me paraît simple et qui pourrait dépasser le clivage entre les tenants, allemands en tête (esseulés ?), de l’interdiction du financement des Etats par la BCE et les partisans d’un recours immodéré à la planche à billets.

    De ce que j’en ai compris, la principale raison d’imposer aux Etats de financer leur déficit sur le marché tient à la régulation qu’impose ce dernier via les taux d’intérêts.

    Or, le pacte de stabilité nous dit qu’un déficit annuel de 3% est tolérable, sinon vertueux (surtout en ce moment).

    Pourquoi donc ne pas permettre aux Etats de se financer directement auprès de la BCE dans la limite de 3% de déficit ?

    Au-delà, pour les Etats non rigoureux, l’obligation de se tourner vers les marchés servira de sanction dissuasive.

    Dans le même temps, les dettes publiques s’en trouveraient particulièrement allégées en évitant de supporter des taux très élevés sur les trois premiers %.

    Cette mesure toute simple permettrait de réduire les dettes, d’éviter d’enrichir injustement les marchés tout en incitant les Etats à se montrer vertueux.

    1. Avatar de admin
      admin

      Bonsoir,
      Tres bonne idee je trouve. Dans la proposition « financerlavenir » l’idée est d’utiliser la création monétaire publique qui doit en effet et évidemment être plafonnée strictement pour financer un plan de transition chiffre a environ 3% du pib par an pendant 10 ans. On retrouve votre chiffre. Il y a sans doute plusieurs regles possibles.
      Mais en periode de croissance faible il ne s’agit en effet pas d’aller trop loin a mon avis.
      Bien a vous.
      AG

  4. Avatar de GO
    GO

    Bonsoir Alain,
    Lecture tjs passionnante de vos posts.
    Je suis globalement d’accord avec vous sur l’aberration d’avoir une BCE qui prête aux banques et pas aux états sous prétexte que les banques sont plus  » responsable ou sages ou intelligentes… », on voit le résultat en 2008 avec le cout pour la société.

    Pour ma part je suis incapable de me faire une idée si les grecs sont les affreux jojos tant décriés ou les innocentes victimes du systeme capitalistique parce que je n’ai pas les chiffres.
    Quid du cout de fct de l’état dans sa globalité et des services rendus que ce soit pour la Grece, la France ou tout autre état européen.
    Comme dans une entreprise je me pose la question :
    Ce fonctionnement de l’état est il efficient ? Existe il des rations de performance comparatif ?
    Dans le poids de la dette aujourd’hui quelle est la part de vrai déficit et d’intérêts cumulés.
    ……..
    Je suis également d’accord avec vous sur la nécessité d’investissements de transition écologique car il y a un payback évident.
    Par contre comment il possible d’avoir un budget de fonctionnement en déficit permanent d’une année sur l’autre et ce depuis 30 ans pour la France( je ne connais l’historique des autres pays européens) sans que un jour « le machin nous pete au nez », car nous entrons dans l’ère des combustibles fossiles plus chers et que nous devons payer l’addition laissé par nos ainés.
    Au final je pense qu’i est impératif de réviser le fct de la zone euro et dans le même temps de remettre à plat la fiscalité, les services rendus par l’état et d’etre à l’équilibre budgétaire de fonctionnement du tout.

    GO

    1. Avatar de admin
      admin

      Bonsoir,
      D’accord avec vous sur une règle d’or d’équilibre des dépenses et des recettes (sur un cycle économique).
      Il y a juste un point qu’il faut rajouter c’est l’effet boule de neige.
      Post suit.
      Bien a vous.
      AG

  5. Avatar de surmely alain
    surmely alain

    POUR UN AUTRE FINANCEMENT DES ETATS EUROPEENS

    I) Les causes de l’endettement croissant des Etats

    Il y a deux racines au problème des dettes souveraines en Europe.La première racine est l’injustice fiscale qui fait porter l’effort de la nécessaire contribution sur les plus nombreux et souvent les moins riches et qui épargne voire exonère de l’impôt les ménages et les entreprises les plus riches.Comme chacun sait les pauvres ne sont pas riches mais ils sont les plus nombreux.Ce manque à gagner en termes de recettes fiscales a considérablement appauvri les Etats au point que certains d’entre eux sont quasiment devenus des « paradis fiscaux » comme l’Irlande et que l’endettement croissant sur les marchés financiers est devenu une nécessité vitale pour ces mêmes Etats.C’est la deuxième racine des dettes souveraines.Les taux de ces emprunts(conditionnés par les notes des agences dites de notation) destinés à financer les Etats ne cessent de croître au point que l’on peut comparer les dettes souveraines à d’énormes boules de neige dévalant une pente enneigée.En recourant exclusivement aux marchés financiers pour financer la dette des Etats la conséquence a été le financement inflationniste du déficit budgétaire c’est-à-dire l’exact inverse de l’objectif affiché par les traités européens.En effet,le coût annuel de la charge de la dette(c’est-à-dire les seuls intérêts) a dépassé 45 milliards d’euros en France en 2011.Cette charge de la dette devrait atteindre 50 milliards en 2012(soit davantage que l’impôt sur le revenu !) et serait en passe de devenir le premier poste budgétaire de la France.Le problème se trouve aggravé par l’obligation dans laquelle se trouvent les Etats européens de se financer exclusivement sur les marchés financiers(loi de 1973 dans le cas de la France + dispositifs des traités européens).La Banque de France ne peut donc pas prêter d’argent à l’Etat français :elle se contente de fabriquer la monnaie(monnaie fiduciaire).Ce sont les banques commerciales et autres marchés financiers qui prêtent à l’Etat moyennant une rente prohibitive.

    II) L’issue : pouvoir de financement des Etats attribué à la BCE et budget fédéral européen

    On pourrait donc envisager l’issue suivante à l’actuelle crise qui met en péril les Etats ainsi que le système bancaire:les Banques centrales nationales,via leurs gouvernements respectifs,attribuent à la BCE le pouvoir de création monétaire,c’est-à-dire une souveraineté monétaire dont elle reste privée,aux fins de financement des budgets nationaux des pays membres de la zone euro à l’aide de l’actuel FESF (qui deviendrait inutile puisque les Etats cesseraient de recourir aux marchés financiers :l’accroissement démesuré des dettes souveraines comme le risque de krach bancaire seraient enrayés ipso facto),d’une taxe sur les transactions financières(et l’accord de la Chine comme des Etats-Unis n’est pas nécessaire comme voudraient nous le faire croire les organisateurs du récent G20),d’une fiscalité européenne(type éco-taxes à élaborer)et du transfert des revenus des Etats membres à un budget désormais fédéral.La BCE remplirait son rôle de banque qui consiste à financer l’activité économique –au minimum celui des Etats-puisque son rôle actuel consiste simplement à orienter l’activité(fixation d’un taux directeur,respect des critères de Maastricht et autre pacte de stabilité).L’Europe(les Etats # marchés)serait dès lors maitresse du financement des budgets des Etats membres et sortirait de la spirale mortifère du recours aux financements privés(spéculations sur les dettes,variations des taux d’emprunts,CDS ou Credit Default Swaps aux stipulations pour le moins obscures,absence de surveillance des Etats mal gérés).

    III) La direction actuelle : défauts sur les dettes et Krach bancaire ?

    Outre le gain qui en résulterait pour les Etats cela leur permettrait enfin de financer des services publics dignes de ce nom,des politiques favorisant l’emploi,la nécessaire transition écologique,le développement de l’activité économique comme celui des peuples et de s’engager sur la voie du désendettement.Ces mesures-impliquant un approfondissement de l’intégration européenne via un budget fédéral-devraient être adoptées dans des délais raisonnables,avant que le financement des Etats ne devienne trop aléatoire du fait du fonctionnement inhérent aux marchés des capitaux(hausse indéfinie des taux d’emprunt du fait de risques croissants..etc) avant que les dettes souveraines ne deviennent incontrôlables (comme dans le cas de la Grèce), et avant que le Krach bancaire(en mode systémique) ne se produise,les dettes souveraines étant inextricablement liées à des actifs et des intérêts privés.Le prévisible krach bancaire aurait pour premier effet de ruiner nombre de détenteurs de titres de dettes souveraines et autres CDS fort rémunérateurs jusqu’à présent c’est-à-dire nettement plus rémunérateurs que le classique livret d’épargne populaire.Les Etats européens ne peuvent plus continuer à être soumis à une telle instabilité financière,économique,sociale et politique.Il y va désormais de leur avenir.

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