Les taux d’intérêt auxquels l’Italie peut emprunter pour se financer sont en ce moment supérieurs à 6%. Avec une dette de 120% du PIB cela pourrait poser quelques menus problèmes. S’il était appliqué à toute la dette (ce qui n’est pas le cas car une partie est financée à des taux plus bas) la charge d’intérêt alourdirait mécaniquement le déficit public italien de 7,2% du PIB…
Rappelons que les ratios Maastrichtiens (déficit public inférieur à 3% du PIB et dette inférieure à 60% du PIB) ne tiennent sur la durée que si le taux de croissance est supérieur au taux réel de la dette. Dans le cas inverse, on observe un effet boule de neige, qui se formalise simplement.
L’effet boule de neige
Une petite démonstration vaut mieux qu’un long discours. D = dette réelle (i.e., déflatée du niveau général des prix) d’un Etat G= recettes réelles publiques T = dépenses réelles publiques r = taux d’intérêt réel moyen auquel l’Etat peut emprunter sur un marché La variation de l’endettement est égale à : G − T + rD. (1) où G − T représente la dette primaire et rD, le service de la dette. En l’absence de croissance du PIB et d’inflation, l’équilibre des comptes publics est très simple, puisqu’il se résume à : G − T = rD. Si le volume réel des transactions et de la production (pour simplifier le PIB), Y , varie, et que l’on note g son taux de croissance (ou de décroissance) : ∂ Y = gY , alors la variation du ratio dette/transactions réelles est égal à : ∂ (D/Y ) = (G – T)/Y + (r − g)D/Y C’est ici qu’apparaît la règle simple : tant que r − g ≤ 0, le service de la dette ne pèse pas sur l’équilibre budgétaire de l’Etat. Il l’allège même, lorsque r < g. L’effet « boule de neige ⟩⟩ apparaît à partir du moment où r > g : dans ce cas, en effet, même lorsque le budget est à l’équilibre, G = T, le ratio dette/transactions réelles augmente : ∂ (D/Y) > 0. Malgré un équilibre budgétaire « primaire », le ratio dette /PIB ne cesse de se dégrader. Les intérêts de la dette s’ajoutent à la dette qui s’envole, alimentant la peur des marchés qui demandent des taux d’intérêt plus élevés, qui accroissent la dette… |
Dans la première décennie de la vie de l’Euro, les ratios d’endettement des Etats[1] européens tenaient grâce à un des taux d’intérêt de l’ordre de 4 à 5 %[2], voisins les uns des autres, une inflation et une croissance de l’ordre de 2% chacun.
Les taux d’intérêt réels (4-5% – 2% = 2 % à 3%) ont été jusqu’en 2008 un peu supérieurs à la croissance mais pas de plus de 1%. Du coup, au total le taux moyen de la dette publique/PIB de la zone euro a été stable aux environs de 69% en moyenne sur la période 1999-2008.
En 2008, la crise venue d’outre-atlantique a changé radicalement la donne. La croissance s’est effondrée, l’année 2009 est une année de décroissance de -4 % pour l’Union européenne et la zone Euro[3]. Les taux d’intérêt se sont mis à diverger entre les pays de la zone Euro et à exploser pour les plus fragiles comme le montre le beau graphique ci-après[4] . La spéculation s’est déchaînée et l’effet boule de neige s’est manifesté immédiatement. La dette publique moyenne de la zone Euro est passée à 80 % en 2009 puis à 85% en 2010[5]….
(Merci à Olivier Berruyer pour son graphique, à consulter dans son contexte ici)
La raison des plans d’austérité est tout simplement là : pour que la dette ne se mette pas à exploser, il faut générer des excédents budgétaires, à un niveau qui dépend de ces deux variables : le taux d’intérêt et le taux de croissance. La situation présente rend peu crédible une croissance élevée, indépendamment du fait qu’elle pourrait buter sur des questions de ressources matérielles et écologiques. Du côté des taux d’intérêt les marchés financiers doutent de la capacité de remboursement des Etats concernés, notamment du fait de la faible croissance, ils demandent donc une « prime de risque ».
Pas facile facile. Nous voilà dans la seringue, non ? Seules solutions, réduire les dépenses publiques ou augmenter les impôts, et pas dans des petites proportions. En France un écart de 1 % sur les taux d’intérêt appliqué à une dette supérieure à 80% du PIB c’est toute de suite 0,8 % du PIB soit 16 milliards d’euros, ca ne se trouve pas sous les pieds d’un cheval. Augmenter les impôts ? Nicolas Sarkozy y est arrivé par petites touches plus ou moins invisibles. Y aller franchement c’est plus compliqué. Qui est vraiment prêt à voter pour un tel programme ?
Du coup le plus simple c’est de faire faire le sale boulot par des experts, des technocrates. C’est l’idée qui vient spontanément à l’esprit et pas qu’à l’esprit d’où les « troikas », et plus récemment la mise sous tutelle puis la démission forcée de Sylvio Berlusconi.
Il y aurait bien deux autres solutions, non pas pour régler définitivement la question mais, comme déjà dit ici, pour alléger le fardeau et organiser la transition vers un modèle économique et financier durable :
- que la Banque Centrale rachète la dette (on dit « monétiser ») , ce qu’elle fait un peu, contrainte et forcée ; 180 milliards à ce jour, ce n’est pas grand-chose –rien par rapport aux achats de la FED, qui se mesurent en millier de milliards de dollars. C’est ce qui est recommandé par maints économistes (comme Helene Rey, professeur d’économie à la London Business School, voir les Echos du 9 novembre).
- que les Etats retrouvent la capacité de création monétaire (ce qui réduit à due concurrence les intérêts à payer, ce recours ne réglant évidemment pas l’intégralité de la dette).
Mais vous n’y pensez pas : c’est interdit par le Traité, les Allemands y sont opposés et à juste titre ! C’est grâce à ces interdits que, précisément, les Etats, sous la pression des marchés (et de leur jugement sur leur crédibilité, leur crédit, au sens strict) sont obligés de mettre de l’ordre dans leurs comptes. Bref ces interdits mettent les mauvais gestionnaires « sous la tutelle des marchés » et c’est bien leur rôle. Et nous sommes les gardiens du Dogme.
Nos démocraties vont-elles accepter ce petit jeu, dû, rappelons-le à l’effet boule de neige ? Vont-elles supporter longtemps un dispositif qui transforme nos élus en pantins (version « guignol » ou version « rond de cuir gestionnaire ») de fait, puisqu’ils n’ont plus les leviers de l’exercice des choix politiques les plus importants, et prennent leurs instructions à Bruxelles via des mercenaires de la finance ?
Pas sûr, il est tout-à-fait possible qu’elles préfèrent remettre en cause le Dogme.
Alain Grandjean
Sur le Dogme, lire aussi :
Le Dogme contre la démocratie et …l’Europe. La Grèce rejoint l’Islande ?
Sommet du 26 octobre : le social et l’écologique sacrifiés à l’autel du Dogme
Notes :
[1] Plus précisément les dettes des « APU » administrations publiques (état+ administrations territoriales + sécurité sociale).
[2] En fait, les taux sont différents selon leur « maturité » et il faudrait en toute rigueur de parler de la courbe des taux pour chaque dette. Pour les taux des OAT à 10 ans la moyenne de la zone Euro sur la période est de 4,6%.
[3] Voir par exemple http://www.gecodia.fr/PIB-zone-euro–Taux-de-croissance-PIB-zone-euro–Croissance-economique-zone-euro_a491.html
[4] Voir http://www.les-crises.fr/meteo-des-taux/ pour plus de détails.
[5] Voir http://epp.eurostat.ec.europa.eu/tgm/refreshTableAction.do?tab=table&plugin=1&pcode=tsieb090&language=fr
7 réponses à “Le Dogme terrassé par l’effet boule de neige ?”
Je ne comprends vraiment pas l’intérêt économique qu’il y a aller à se financer sur les marchés plutôt qu’auprès de la banque centrale pour les premiers % de déficit, surtout quand on peut considérer que ceux-ci, comme en France, servent à couvrir la charge de la dette (2,5 points de PIB en gros).
On va s’endetter à 3-4 % (et je ne parle même pas des taux prohibitifs supportés par d’autres Etats comme le montre le graphique) auprès de banques qui se refinancent à +/- 1% auprès des banques centrales… pour payer les intérêts de notre dette.
L’intervention de la BCE ne sert donc qu’à créer une marge de profit auprès des banques.
Si l’on empruntait auprès de la BCE à 1% dans une limite de par ex 3% maximum de déficit, la marge de profit des banques/marchés serait réattribuée de facto aux Etats pour réduire leur dette.
Cela réduirait d’autant le taux moyen d’intérêt réel et gommerait logiquement tout effet boule de neige.
D’un point de vue macroéconomique (je ne suis pas un spécialiste), je n’arrive pas à voir où serait le danger :
– il n’y aurait pas plus de création monétaire qu’à l’heure actuelle, donc aucun impact sur l’inflation (si tant est que la première ait réellement des effets sur la seconde) ;
– il n’y aurait pas d’encouragement au laxisme puisque les Etats auraient tout intérêt à contenir leur déficit dans la tranche maximale de recours direct auprès de la BCE (par ex 3%);
Si quelqu’un pouvait m’éclairer sur les effets pervers de cette stratégie, j’en serais heureux car je n’arrive pas en déceler de mon humble point de vue.
Il m’apparaît qu’en tout cas ce système est largement préférable à la politique actuelle de monétisation de la dette publique qui rachète des obligations sur le marché secondaire émises à des taux très élevés : la BCE n’intervient donc que pour garantir les profits des marchés ; au lieu de prêter directement aux Etats à 1 %, elle prête à 1% aux banques pour financer indirectement les emprunts consentis aux Etats à des taux largement supérieurs.
Nous sommes bien d’accord!
Bien a vous.
AG
Hannity and others TV and Radio have a habit of saying the same lines over and over like the Rev. Wright thing and the Obama doubled the deficit. Yet when Obama called Romney a tax cheat, murderer, letting people die and other things instead of hitting back with the Birth Cert. , school records, and passport they would say we have no proof. Well the Dems were lying about Romney and it worked.
Il me semble que la réaction de \citoyen\ met bien en évidence le coté absurde d’un dogme: il existe plusieurs solutions à la crise de la dette publique. Leurs avantages sont manifestes, leurs inconvénients inexistants. Mais… étant contraires au \Dogme\, elles sont écartées sans examen ! (Cela ne nous empêche pas, bien sur, de nous moquer du… dogmatisme de la Corée du Nord !)
A propos des \dépenses publiques excessives… qu’il-faut-absolument-réduire\, comme dirait Fillon &co, voici un autre petit calcul édifiant:
– on peut estimer le stock de dette des 17 pays de l’Eurozone à une moyenne de ~80 % du PIB, soit ~7000 milliards,
– on peut estimer le surcout du recours aux marchés financiers à ~2 ou 3 % par an, en moyenne (par rapport au taux d’hypothétiques emprunts directs auprès la Banque Centrale).
Depuis 10 ans, la dépense publique, (facultative, improductive, et injuste), que constitue le recours obligé aux banques privées et aux fonds de pension, (en UE et hors UE), représente donc entre 1400 et 2000 milliards pour les 17 pays de l’Eurozone !
Mais ce qu’on réduit, ce sont les dépenses publiques pour l’éducation et la santé: Plus absurde… Tumeur !
Correction. dans la réaction ci dessus, bien lire:
« Cela ne nous empêche pas, bien sur, de nous moquer du… dogmatisme des dirigeants de la Corée du Nord ! »
En euros constants valeur 2010 :
– Les soldes primaires (sans intérêts) des budgets des Administrations publiques sont sensiblement en équilibre moyen sur la période 1980 – 2008.
– Les déficits presque systématiques des budgets des Administrations publiques sont dus aux intérêts qu’il a fallu payer et qui représentent maintenant le second poste budgétaire après l’enseignement.
– Fin 1979, la dette, déjà injustifiable, était de 243 Md€ (21% du PIB); Fin 2010, la dette s’établit à 1591 Md€, 82% du PIB !
– Entre fin 1979 et fin 2010 la dette a augmenté de 1348 Md€
– Nous avons, sur cette période, payé 1 408 Md€ pour les seuls intérêts: 125 millions par jour en moyenne, 5 millions par heure!
– Ces intérêts (que nous avons du emprunter) ont, par effet boule de neige, grossi la dette.
Si nous n’avions pas eu à payer ces intérêts la dette publique serait sans doute plus faible aujourd’hui qu’en 1979!
LA CHARGE DE LA DETTE NOURRIT LA DETTE
Je complète en copiant un commentaire que j’ai fait sur un blog aujourd’hui:
Aucun pays européen ne pourra jamais rembourser sa dette et les italiens qui investissent dans leur propre dette sont vraiment très optimistes.
« Prenons un exemple (qui n’est ni l’Italie ni la France, mais l’extrapolation sera vite faite) d’une situation où l’on a 100% de dette avec un intérêt de 5% . On doit donc chaque année 5*100% = 5 points de PIB d’intérêt. Si on dégage un excédent primaire de 5 points, le budget est en équilibre et la dette se stabilise à 100% du PIB. Si on dégage un excédent primaire de 6 points, on dégage un excédent d’un point de Pib : la dette passe à 99% du Pib.
Mais, car il y a un « mais », les pays les mieux gérés (l’Allemagne et même l’Italie, mais pas la France … sauf pour elle en moyenne entre 1980 et 2008) n’arrivent tout juste qu’à un budget primaire en équilibre: donc, du fait des intérêts, la dette – en % de PIB – ne peut que croître: du montant des taux d’intérêts réels.
Devant ce fait il n’existe que 4 solutions
1 – forte inflation provoquée mais ce n’est pas très facile sans « 3 »
2 – défaut total ou quasi total; que les créanciers aillent se faire voir (j’allais rajouter « chez les grecs » mais c’est eux qui devraient dire celà, pas nous)
3 – monétisation directe (sans intérêts) par la banque centrale (avec risque léger d’inflation puisque les capacités de production sont loin d’être utilisées à plein) , mais cette solution est interdite par les traités.
4 – arriver à un budget primaire positif de 1% pendant une centaine d’années pour pouvoir payer les déjà plus riches ; récession assurée!
Ah si, il y a une 5° solution qui est exposée ici : http://postjorion.wordpress.com/2011/11/04/215-resume100monnaie/
Peut être que la dette nourrit ladette, mais il n’empêche que notre parlement vient encore une fois de voter un budget déficitaire … donc générateur de dette pure. la faute aux banques ou aux marchés sans doute ?