Nous avons vu dans ce post que les réserves prouvées d’énergie fossile sont environ 4 fois supérieures à notre « budget carbone » d’ici 2050, si nous voulons rester en-dessous d’une hausse de 2 degrés. Dès lors 80 % de ces réserves prouvées ne valeraient rien puisqu’elles ne pourraient être exploitées.
Une étude récente de l’ONG Carbon Tracker détaille cela. Elle précise les chiffres en fonction des hypothèses d’augmentation de température et des échéances (2050 et 2100). Elle étudie la répartition des réserves entre acteurs privés et Etats (qui en détiennent la majorité). Elle s’intéresse aussi au flux de capitaux engagés pour augmenter ce niveau de réserves. Dernier point, elle montre en quoi les espérances qu’on peut mettre dans le captage stockage géologique du CO2 ne modifient pas fondamentalement la donne.
La conclusion est sans appel. La valeur en bourse des entreprises « fossiles » et la valeur du patrimoine public pour les Etats propriétaires de réserves fossiles s’effondreraient si on décidait de garder sous terre ce qui est pour eux un actif, une richesse, stratégiques. On comprend que les actionnaires de ces entreprises et les dirigeants de ces Etats ne se pressent pas pour reconnaître l’origine du changement climatique en cours.
Bref arrêter la dérive climatique, c’est-dire sauvegarder un précieux capital naturel entraîne la destruction de capital financier. Nous avions déjà vu dans une série de posts que la comptabilité actuelle ne représentait pas correctement les enjeux collectifs auxquels nous sommes confrontés. On se rappelle que dans notre Ile de Pâques imaginaire [1] un « Enarque ne sachant pas compter » gérait en bon père de famille les ressources naturelles stratégiques de cette ile (la forêt et les poissons). Qu’un « Enarque sachant compter » et pilotant l’activité économique avec le PIB et le CAC40 comme boussoles, accélérait la destruction de l’ile et conduisait ses habitants à une mort sans phrases.
Changeons vite de boussole. Retrouvons le nord avant de subir le sort de toutes les civilisations disparues avant la nôtre. A ce propos un livre passionnant vient de sortir sur ce sujet : La véritable richesse, une économie du temps retrouvé[2].
Il montre dans la suite du livre de Tim Jackson[3] qu’il faut remettre en cause notre credo de la croissance, viser une économie de la plénitude ; et il est plein d’exemples d’initiatives qui vont « dans le bon sens ». Bref retrouver le bon sens c’est possible. Il faut juste laisser tomber nos livres de comptes et leur préférer sans doute les bons livres de contes…
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[1] Voir Jean-Marc jancovici et Alain Grandjean, C’est maintenant, 3 ans pour sauver le monde, Le Seuil, 2009
[2] Par Juliet B. Schor, sociologue au Boston College, livre publié chez ECLM, avril 2013. Voir
[3] Prospérité sans croissance, De Boeck, 2010
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