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Articles de presse

Cette page regroupe certains articles que j’ai publié ces dernières années. La liste n’est pas exhaustive. En cas de souci avec le droit à recopier ces lignes ici, n’hésitez pas à me contacter, j’enlèverai l’article immédiatement.

  Argus Media Juillet 2016 – Pour un corridor carbone en Europe

Retrouvez cette interview ici.

  Politique Internationale no 152 – La transition, un projet de relance

Retrouvez cette interview ici.

  La relance, oui, mais une relance verte

Retrouvez ici ma chronique dans AlterEcoPlus du 5/9/2016.

  BFM : Après l’accord climat, le financement. Interview d’Alain Grandjean – février 2016

Voir la publication initiale ici.

Diplômé de l’École polytechnique, Alain Grandjean est co-fondateur et associé deCarbone 4, cabinet de conseil en stratégie carbone. Également membre du comité scientifique de la Fondation Nicolas Hulot (FNH), celui qui se définit lui-même comme un économiste «engagé et sensible aux données factuelles», a remis au président de la République, en 2015, un rapport co-signé avec avec Pascal Canfin, intitulé «Mobiliser les financements pour le climat-Une feuille de route pour financer une économie décarbonée». Il répond à nos questions sur les enjeux financiers liés à la réussite de la transition énergétique.

Quel est votre sentiment sur les résultats de la COP21, que ce soit sur l’objectif déterminé mais aussi sur le financement ?

La COP21 est un gros succès diplomatique, qui fait avancer la résolution d’un problème mondial extraordinairement complexe. Il reste cependant encore beaucoup à faire, notamment sur le financement. Certains des pays du «Sud» pointent le fait que ce sont les pays développés qui ont, non seulement émis en majorité les gaz à effet de serre, mais que c’est grâce à cette énergie qu’ils ont pu se développer. Ils s’estiment victimes et réclament des compensations.

Les pays riches ont accepté de dépasser, après 2020, les 100 milliards de dollars annuels d’aide aux pays pauvres. Est-ce une condition suffisante ?

C’était une condition nécessaire pour qu’il y ait un accord et pour que les pays les plus vulnérables limitent chez eux les conséquences du changement climatique qui est en cours. Il reste à négocier la part de ces 100 milliards qui ira précisément à aider ces pays à s’adapter à ce changement climatique. Ces montants ne suffiront pas sur le volet «atténuation du changement climatique», pour lequel les montants en jeu sont bien plus importants. Mais ils devront venir aussi de l’épargne des ménages des pays du Nord et du Sud qui en ont les moyens. Ce n’est pas aux États de tout faire. Il faut arriver à réorienter l’utilisation des revenus vers plus d’épargne, donc d’investissement et moins de consommation. L’argent public doit être utilisé aux bons endroits, pour maximiser l’effet d’entraînement des financements privés.

Qui doit participer au financement de la transition énergétique ? À combien l’estimez vous ? 

Tous les secteurs d’activités et tous les acteurs ont des impacts sur le climat, pour la simple raison que 80% de l’énergie utilisée dans le monde émet du CO2 qui est un gaz à effet de serre et que personne ne sait se passer d’énergie.

Les acteurs financiers (banques assurances et fonds d’investissements) doivent mobiliser les ressources qu’ils collectent (ou qu’ils créent, pour les banques) pour financer des solutions bas-carbone et en particulier les infrastructures qui conditionnent l’économie. En ordre de grandeur on parle pour le monde de 5000 milliards de dollars par an. Soit un tiers de l’investissement et près de 10% du PIB mondial.

Les acteurs publics doivent introduire des régulations qui incitent les acteurs à «flécher» leurs financements. Ils doivent faire en sorte de montrer l’exemple et d’orienter les acteurs privés pour ce qui dépend d’eux : les financements de banques de publiques (comme la Caisse des Dépôts, qui s’est pleinement engagée dans la transition énergétique et écologique) et des banques de développement comme l’Agence Française de Développement qui a défini des règles de financement qui indiquent que 50% de ceux-ci doivent être faits avec des co- bénéfices climat. Si on souhaite que l’argent des investisseurs aille vers des investissements non nuisibles et favorables au climat, il faut le faire exprès, le flécher.

Il faut des règles, une méthode pour corriger les défaillances de marché.

Quelles sont les priorités ?

La décarbonation de l’énergie et la baisse de l’intensité énergétique de l’économie. Les secteurs immédiatement les plus concernés sont l’habitat le transport et l’énergie. Il faut rapidement cesser d’installer des centrales à charbon dans le monde, -Il existe encore des projets de construction-, et tout faire pour limiter les besoins énergétiques.

C’est-à-dire mettre en œuvre l’efficacité et la sobriété énergétique. Car l‘efficacité ne suffit pas sans modification du comportement ; en économie on parle d’effet rebond. Dans nos pays, la priorité est vers le chauffage et les déplacements. Des solutions existent dès maintenant il faut accélérer la cadence.

Par ailleurs il faut arrêter nos gaspillages, notre consommation irraisonnée et réduire notre consommation de viande rouge qui est émettrice de méthane et il faut faire des efforts sur tous les GES !

Pour les pays en développement la clef est d’entrer le plus vite possible dans un modèle de développement «post-fossile», en s’appuyant sur les énergies renouvelables et des infrastructures bas-carbone. Les aider, dans ce cas, ne veut pas dire dupliquer les solutions que nous avons utilisées, mais trouver celles adaptées aux enjeux et spécificités locales.

Ceci est un élément fort d’innovation. Le monde demain n’est pas celui d’aujourd’hui ni d’hier. Il faut s’orienter vers l’avenir !

Quels sont les risques majeurs ?

Qu’on n’aille pas assez vite et que l’énergie dont nous disposons encore assez abondamment soit gaspillée au lieu d’être investie dans la bonne direction. On se préparerait alors une double peine. D’une part un monde «à 4 degrés» est un monde hostile pour l’humanité, hautement conflictuel, avec des crises alimentaires aigües et des migrations massives. D’autre part, un monde qui a dilapidé ses ressources n’a plus les capacités d’intervenir rapidement et efficacement sur les lieux de crise majeure (climatique ou autre) qui se seront multipliés.

Doit-on on inclure au prix de l’énergie payée, l’ensemble des coûts cachés (pollution, maladies, émissions carbone, surveillance, etc.) ?

Oui en raison du principe pollueur payeur et parce que c’est le meilleur moyen d’inciter les acteurs à réduire ces coûts. Si je dois payer le CO2, qui est un déchet, que j’émets, je suis incité à en émettre moins. Et cela crée un intérêt économique pour ceux qui peuvent me faciliter la tâche en me vendant des services ou des produits moins carbonés (leur acheter me permettra de réduire mon coût au CO2).

C’est le donc consommateur qui paye au final ? Peut-il l’accepter ?

Cela créé -toutes choses égales par ailleurs- une hausse des prix unitaires des énergies fossiles, qui peut être compensée progressivement par une baisse des volumes achetés, ce qui est le but recherché. Nous assisterons à des changements de valeurs, mais sur la durée, sur des générations. Le meilleur exemple est celui du prix des carburants. Leur coût élevé a permis aux consommateurs de faire attention et aux industriels de développer des moteurs plus sobres. Ca a fonctionné !

  Finance & Gestion : Pourquoi et comment compter le carbone dans le financement projet ? Janvier 2016

  Le Nouvel Obs : CONFERENCE ENVIRONNEMENTALE. Transition énergétique : investir plus pour consommer mieux – septembre 2014

Par Alain Grandjean, économiste

LE PLUS. La transition énergétique, c’est le passage des énergies fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon) aux énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, etc.). Comment la financer ? Et surtout, comment la rendre moins chère ? Démonstration d’Alain Grandjean, économiste, avec Corentin Sivy, Benjamin Thibault et Alexandre Wagner, experts en énergies renouvelables.

La transition énergétique doit nous mener d’un monde qui consomme toujours plus d’énergie majoritairement carbonée (charbon, pétrole, gaz) à un monde qui consomme moins d’énergie et des énergies décarbonées.

panneauxsolaires

En Allemagne, une expérimentation de source d’énergie à base de plantes (OBERHAEUSER/CARO FOTOS/SIPA)

Or, nos émissions de gaz à effet de serre et notre consommation d’énergie sont souvent contraintes. Pour les réduire, il faudra rénover les logements, produire des véhicules plus sobres, développer des énergies renouvelables. Investissements massifs qui contribueront à la sortie de crise, créant de nombreux emplois et réduisant notre déficit commercial, dont l’importation d’énergie représente 90%, mais qui seront lourds. 

Diminuer leur coût est donc essentiel. Comment faire ? 

Une électricité verte 30% moins chère, c’est possible

Prenons l’exemple de la production d’électricité. Si pour les énergies fossiles, le coût du combustible peut représenter 80% du coût du MWh, pour les énergies renouvelables et les économies d’énergie, c’est l’inverse. Ce sont les coûts d’investissement et de financement qui pèsent jusqu’à 80% du coût.

Si les coûts d’investissement ont fortement baissé ces dernières années, il n’en est pas de même pour le financement. Or, faire baisser le coût du financement de 10% à 5%, une rentabilité moins excessive que les exigences financières actuelles, diminue le coût de l’électricité verte de 30% !

Cela rendrait supportable pour les consommateurs l’atteinte des objectifs de la France en matière d’énergies vertes. Faire baisser le prix du MWh solaire de 200 euros à 140 c’est réduire la contribution au service public de l’électricité (CSPE), pour une puissance installée d’1,5 GW par an, de 2,2 milliards d’euros sur 20 ans.

 Une banque spéciale pour financer la transition énergétique

Pour diminuer le coût du financement, trois mesures sont proposées :

– L’instauration d’un cadre réglementaire stable, dont les évolutions puissent être prévisibles, réduira la prime de risque.

– La création d’une banque de la transition énergétique qui se financerait à taux très bas auprès de la Banque européenne d’investissement, d’une banque publique française comme la Caisse des dépôts et consignations, voire de la Banque centrale européenne permettra d’offrir un financement à moindre coût et qui facilitera le financement des nouvelles technologies. 

– La création d’un fonds de garantie réduira le coût du risque pour les banques commerciales.

C’est ainsi que sera vraiment lancée la transition énergétique. Nous attendons un signal fort en ce sens dela conférence environnementale.

 

  ParisTechReview : L’introuvable mix énergétique idéal – Juin 2014

 Alain Grandjean / Associé, Carbone 4 / June 29th, 2014

Le mix énergétique, c’est la répartition des différentes sources d’énergies primaires consommées pour la production des types d’énergie utilisés dans un pays donné. Pour différentes raisons allant de la disponibilité des ressources aux politiques de lutte contre le changement climatique, les mix énergétiques nationaux sont appelés à évoluer dans les prochaines décennies. Mais le poids de l’histoire ainsi que les coûts politiques et économiques de cette évolution la rendent difficile. Quelles sont les pistes les plus sérieuses? 

ParisTech Review – Existe-t-il dans le monde aujourd’hui un mix énergétique idéal?

eoliennesAlain Grandjean – Aucun mix énergétique au monde ne prend suffisamment en compte les problématiques climatiques. De ce fait, aucun n’est idéal. Principal coupable : notre forte dépendance aux énergies fossiles. Plus de 80% de notre énergie en provient. Or ces ressources présentent deux grands défauts. D’une part, elles émettent une grande quantité de CO2 lors de leur combustion, ce qui constitue l’une des principales causes du réchauffement climatique. D’autre part, leur quantité n’est pas infinie. Avec bientôt neuf milliards d’individus sur terre, il risque d’y avoir un sérieux problème. La raréfaction du pétrole a d’ores et déjà une conséquence majeure : l’augmentation de son prix et un impact économique et social considérable sur les familles les plus pauvres. Et nous n’en sommes qu’au début. Demain, ce sera le tour du gaz, puis du charbon. L’ensemble de ces considérations doit nous inciter à faire évoluer le mix énergétique actuel.

Certains pays, cependant, sont moins dépendants que d’autres des énergies fossiles. Peuvent-ils être pris comme modèle?

Des pays comme la France ou la Suède disposent, il est vrai, de centrales hydrauliques et de centrales nucléaires pour leur production d’électricité. Ils sont donc dans une moindre dépendance des ressources fossiles. Mais l’électricité ne représente aujourd’hui, dans les pays développés, qu’un peu plus d’un cinquième de la consommation d’énergie totale et ces pays ont toujours besoin de pétrole pour les transports et de gaz pour produire les engrais. Par ailleurs, la pétrochimie qui est utilisée par un grand nombre d’industries (matières plastiques, fibres synthétiques, polyester, nylon, médicaments, cosmétiques) est à base de pétrole.

Pourquoi utilise-t-on aujourd’hui autant le pétrole?

L’avantage du pétrole est qu’il présente une densité énergétique élevée. Il est donc très facile d’usage pour le transport de personnes et de marchandises. Sans parler du transport aérien pour lequel il est encore indispensable. En revanche, son utilisation pour le chauffage des bâtiments est un choix aberrant. Il existe bien d’autres solutions comme le gaz, l’électricité, le bois et les énergies renouvelables etc. Il est grand temps aujourd’hui de songer à substituer le pétrole dès lors qu’on en a la possibilité. L’une des priorités est d’apprendre à s’en passer afin de se préparer à la diminution des stocks. Le prix du baril ne cesse de croître. En 2008, il a grimpé jusqu’à 148 dollars. Aujourd’hui, malgré l’arrivée des hydrocarbures non conventionnels il reste supérieur à 100 dollars! Et il ne baissera pas de façon significative, pour une raison très simple : la disponibilité des ressources dépend directement des prix. Certains gisements exploités aujourd’hui ne seraient pas rentables avec un prix de marché de moins de 70 dollars le baril...

Par ailleurs, nous ne sommes pas à l’abri de chocs géopolitiques susceptibles de créer de fortes tensions sur l’approvisionnement. Les pays non-producteurs doivent d’autant plus s’en préoccuper, qu’ils ne feront pas partie des bénéficiaires de la dernière goutte de pétrole : les pays producteurs la garderont pour leur propre consommation.

Est-ce pour cette raison que l’on assiste à un recours croissant au charbon? Quels en sont les avantages et les inconvénients?

Encore abondant, le charbon demeure une ressource peu chère à produire. Le recours au charbon s’explique aussi par la baisse de son prix sur le marché mondial, conséquence en particulier de l’explosion de la production de gaz de schistes aux Etats-Unis qui rend disponible pour l’exportation des quantités importantes de charbon. De plus, sa présence est mondialement assez bien répartie.

Certes 60 % des réserves mondiales sont situés dans quatre pays seulement (Chine, États-Unis, Inde, Russie) qui ne représentent ensemble que 27% de la superficie des terres émergées et n’abritent que 40 % de la population mondiale), mais on en trouve dans presque tous les pays en plus ou moins grande quantité. Enfin, son impact négatif sur l’environnement n’est pas encore pris en compte dans les calculs économiques. Tout cela contribue à expliquer le recours croissant au charbon, principalement dans la production électrique où le pétrole tient un rôle marginal. Cependant, dès lors que la lutte contre le changement climatique deviendra une réelle priorité au niveau mondial, il faudra bien réduire, aussi, notre recours au charbon.

Quels sont les différents modèles de mix énergétique dans le monde, leurs avantages et leurs inconvénients?

Les choix de mix sont liés au niveau de développement des pays. Ainsi, au sein des pays émergents ou développés, le recours au pétrole reste ultra majoritaire dans le domaine du transport (à l’exception du Brésil qui utilise davantage de biocarburant grâce à la canne à sucre).

En revanche, pour la production d’électricité, chaque pays opte pour un mix singulier en fonction des ressources accessibles sur son territoire et suivant le coût relatif des énergies importées. La faiblesse relative du coût du charbon pousse certains à l’utiliser, même s’il n’est pas produit localement. Le charbon assure en moyenne 40 % de la production mondiale d’électricité, mais cette proportion atteint 70 % en Inde et 80 % en Chine. Il prédomine aussi dans des pays comme la Pologne, les États-Unis ou l’Australie.

Dans d’autres pays, comme la Norvège, le Brésil, le Venezuela ou le Canada, l’hydraulique est très développé. En France, en Suède, en Belgique et en Ukraine, le nucléaire prédomine pour la production d’électricité. Ailleurs, la plupart du temps, le mix est très diversifié (charbon, gaz, hydraulique, nucléaire).

En ce qui concerne les pays les plus pauvres, ceux-ci ont encore un recours important au bois comme source de chauffage et de cuisson, ce qui contribue à la déforestation, nuisible au plan biologique comme au plan climatique. Mais leur consommation est inférieure aux pays développés. Si en Europe nous consommons en moyenne quatre tonnes d’énergie équivalent pétrole (TEP) d’énergie primaire par personne (contre huit tonnes aux Etats-Unis), les pays les moins développés se situent sous la barre d’une TEP.

Quant aux nouvelles énergies (biomasse, éolien, solaire, géothermie, et énergie marine), elles commencent à sortir de la marginalité. Les énergies renouvelables présentent plusieurs avantages décisifs sur la durée : un faible coût d’exploitation (le vent, le soleil nous sont offerts par la nature), une empreinte carbone limitée et de faibles risques industriels. En revanche, elles restent lourdes en termes d’investissement et, pour l’éolien et le photovoltaïque, ne peuvent assurer une continuité d’approvisionnement sur le réseau électrique.

Pourquoi les Etats tardent-ils à faire évoluer leur mix énergétique? Est-ce si compliqué politiquement? Économiquement?

Pour de nombreux Etats, il est très compliqué politiquement de pénaliser l’usage du pétrole, synonyme de mobilité et de liberté. Taxer le pétrole, mettre des normes et des règlements qui en réduiraient la consommation, reste très difficile.

Les subventions au pétrole sont encore très importantes (de l’ordre de 200 milliards de dollars dans le monde par an selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie). Elles sont particulièrement élevées dans les pays producteurs. Même en France, nous avons pu constater la difficulté à faire émerger une taxe carbone, pourtant nécessaire pour réduire l’usage des  énergies fossiles. En ce qui concerne l’utilisation du charbon dans la production d’électricité, ce choix peut sembler avantageux en raison de la faiblesse de son coût. Ainsi, réduire son poids, c’est augmenter à court terme le prix de l’électricité. Une option difficile à défendre au plan politique, même si elle est indispensable à terme. Dans certains pays producteurs comme la Pologne, cette réduction est encore plus complexe. Le charbon y est, de surcroît, un gage d’indépendance nationale et représente des milliers d’emplois.

La marge de manœuvre est donc étroite. Comment, malgré tout, faire évoluer les mix énergétiques?

Il faut d’abord convaincre les populations de l’impact négatif des options actuelles sur le climat et l’environnement. En Chine, par exemple, où les habitants souffrent physiquement de la pollution, l’opinion est sensibilisée et le gouvernement s’active à remplacer ses centrales au charbon les plus polluantesCela a permis aux autorités d’inscrire dans le dernier plan quinquennal chinois des objectifs de décarbonisation ambitieux et inédits. Aux Etats-Unis, les problèmes de cyclones et de gelées permettent d’ores et déjà de faire avancer le débat public. En France, les évolutions sont plus difficiles car nous avons un pays encore « protégé des dieux » en matière climatique. Mais le dernier rapport du GIEC indique bien que l’élévation de la température terrestre relevée depuis le milieu du XXe siècle est bien le fait de l’accumulation des gaz à effet de serre d’origine humaine. D’ici à 2050, un été sur deux sera caniculaire. Cela se traduira par de lourdes pertes de productivité pour l’agriculture. Même la France va devoir continuer à agir. Elle a d’ailleurs pris un engagement de réduction de ses émissions par un facteur 4 à horizon 2050 par rapport à 1990, dans une loi d’orientation de la politique énergétique. La condition sine qua non est que ces changements soient perçus positivement par la population.

L’échelon national est-il le bon étalon pour raisonner sur les mix énergétiques?

Il est vrai que, selon les pays, les ressources disponibles, les choix opérés dans le passé et la sensibilité des populations nationales, les mix sont différents. De plus, l’énergie est un bien particulier et la notion d’indépendance est névralgique pour les Etats. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’idée de créer un mix énergétique idéal identique pour chaque pays européen est irréaliste.

De même, penser appliquer les recettes américaines pour le gaz de schiste, en France, est absurde. On ne peut guère raisonner de la même façon en Arkansas et dans le Lubéron. Le nombre d’habitants au kilomètre carré y est sensiblement différent. Les activités au sol également. En France, nous disposons de nombreuses activités « de surface » comme le tourisme et l’agriculture qui subiraient des pertes importantes en cas d’exploitation intensive du gaz de schiste (à supposer qu’on en trouve qui soit exploitable de manière rentable, ce qui n’est pas prouvé).

Concernant l’électricité, la France fait partie d’une plaque européenne qui doit stabiliser en permanence la fréquence du courant (à 50 Hz). Il est donc absolument nécessaire que les gestionnaires de réseaux et les autorités de régulation se coordonnent, ce qui se fait de mieux en mieux. Afin d’éviter les risques de rupture, le poids relatif des énergies renouvelables doit croître de manière progressive et cohérente. Mais surtout il faut revoir en profondeur l’organisation européenne du marché de l’électricité et des dispositifs qui interagissent avec lui.

Plus généralement, les pays européens ont évidemment en commun une faiblesse stratégique : leur forte dépendance au gaz, au pétrole importés, et, bientôt, au charbon. Ils ont donc intérêt à faire front commun face à ce défi, qui peut les conduire vers les plus grandes difficultés, tant notre développement et notre confort dépend de l’énergie. La priorité absolue commune à tous les pays européens est de réduire cette dépendance, en commençant par baisser leur consommation d’énergie.

Les pays européens, qui sont en pointe sur la question, se sont donnés des objectifs ambitieux pour réduire la part des énergies fossiles de plusieurs dizaines de points en deux décennies. Est-ce réaliste?

Avant de faire évoluer le mix, il faut penser aux moyens de réduire massivement notre consommation d’énergie. Mais où sont les marges de manœuvre ? Il faut notamment réaliser des efforts dans le bâtiment, qui représente 40% de la consommation finale et 25% des émissions de gaz à effet de serre. Cela suppose de lancer une politique de rénovation ambitieuse des bâtiments tertiaires et des logements via des incitations fiscales et des mécanismes d’aide au financement. Il faut également travailler sur l’efficacité énergétique dans le transport de marchandises et des personnes ainsi que dans l’industrie et l’équipement des ménages. Enfin, il faut accélérer la sortie de voitures légères et sobres (deux litres aux cent ou moins).

Prenons l’exemple de la France. Même si la part du nucléaire dans la production électrique contribue à une moindre dépendance envers les énergies fossiles, 70% de l’énergie finale consommée reste issue de pétrole et de gaz. Il y a, par exemple, encore trois millions de logements chauffés au pétrole, dont une partie est occupée par des familles en situation de précarité énergétique. Il est possible et souhaitable de faire basculer ce mode de chauffage vers des pompes à chaleur (ou d’autres solutions de chaleur renouvelable) tout en isolant ces logements. Il faut aussi accélérer le passage des camions à la motorisation gaz et favoriser le report modal vers le ferroviaire lorsque c’est envisageable.

Certains pays ont beaucoup investi dans le nucléaire. Faut-il continuer?

L’exemple de la France, là encore, permet de se faire une idée des enjeux. Nous sommes à la veille d’investissements lourds dans nos centrales qui auront en 2025 presque toutes plus de quarante ans, leur durée de vie prévue initialement. D’importantes décisions sont à l’ordre du jour. Faut-il prolonger toutes les centrales ? Le président Hollande s’est engagé à réduire la part du nucléaire dans la production électrique de 75% à 50% en 2025, mais diversifier les sources de production électrique en passant par les énergies renouvelables n’est pas si simple à cet horizon, même si leur coût tend à diminuer. D’autre part, le nucléaire est une technologie de haut niveau qui nécessite un personnel très qualifié. Pour attirer les ingénieurs et conserver une compétence en la matière, il faut un projet clair et ambitieux.

Atteindre l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50% à horizon 2025 suppose la fermeture de réacteurs nucléaires (une vingtaine en ordre de grandeur). Quelques-uns le seront peut-être du fait des travaux de mise en sûreté imposés par l’Autorité de sûreté nucléaire, trop coûteux pour l’exploitant. Aller au-delà suppose d’avoir établi une trajectoire qui tienne compte de nombreux paramètres : impact social et économique des fermetures, capacité industrielle à réaliser les démantèlements qui en suivront, montée en puissance des énergies renouvelables à un rythme adapté en fonction des progrès et de leurs coûts. Il est probable, en fait, que l’objectif de 50% ne sera pas réalisé en 2025 mais lissé dans le temps. Il présente cependant un double intérêt : permettre la progression des renouvelables, faire évoluer les mentalités et finalement déplacer le curseur.

Un pays comme l’Allemagne a beaucoup évolué au cours de la dernière décennie. Le modèle allemand est-il si vertueux alors qu’il utilise beaucoup de charbon et que les surcoûts liés aux renouvelables sont évalués à 23,6 milliards d’euros pour 2014?

Aucun modèle comme on l’a dit plus haut n’est parfait. L’Allemagne partait d’un mix électrique très intense en charbon et a réalisé de gros efforts dans ce domaine au cours des vingt dernières années. En 1991, le charbon y représentait près de 60% de la production d’électricité, ce ratio est passé à environ 45% en 2010, alors que sur la même période la production d’électricité a crû de 10%. Cela a été réalisé grâce à une hausse des renouvelables et du gaz.

L’accroissement récent du recours au charbon s’est fait au détriment du gaz, ce qui est évidemment dommageable pour le climat (pour un kWh produit, la combustion du charbon émet quatre à cinq fois plus de COque celle du gaz). Cette dérive est due à des facteurs qui ne sont pas spécifiques à l’Allemagne : la France, par exemple, a elle aussi fait ce « switch » depuis 2010 (avec des conséquences moindres car elle consomme moins de gaz et de charbon que l’Allemagne). Deux raisons à cela : la baisse mondiale du prix du charbon, devenu plus compétitif que le gaz en Europe et le dysfonctionnement du marché de quotas de CO2 qui aurait dû permettre de compenser ce différentiel de compétitivité. Du fait de la crise économique et de la baisse de la production industrielle en Europe, les tarifs des émissions de CO2 sont tombés à un niveau si faible qu’ils ne jouent plus leur rôle.

Quant aux énergies renouvelables (l’éolien et le photovoltaïque majoritairement pour l’électricité), leur déploiement a été permis par des aides payées par les consommateurs et les entreprises. Des aides surdimensionnées qui ont permis, cependant, à l’Allemagne de structurer des industries et des savoir-faire dans un domaine promis à un bel avenir au plan mondial. Reste l’option controversée de l’abandon du nucléaire. Il s’agit là d’un choix de société. En définitive, l’arbitrage entre des risques d’accidents aux conséquences majeures comme à Fukushima et un surcoût significatif de l’électricité appartient aux peuples et à leurs représentants.

Qu’attendez-vous de la loi de programmation sur la Transition énergétique qui sera discutée prochainement en France?

Il faut  avant tout qu’elle fixe un cap clair afin de permettre à tous les acteurs de comprendre notre politique énergétique. Il faut de la visibilité, de la stabilité et des orientations bien définies et quantifiées, assorties d’étapes. Réduire la part des énergies fossiles dans notre consommation énergétique (-30% à horizon 2030), réduire nos émissions de gaz à effet de serre (-75% à horizon 2050) et réduire notre consommation d’énergie (-50% à horizon 2050) constituent de véritables défis pour notre société. Ils peuvent être stimulants, sources de progrès technologiques et d’innovation, quelque soit la difficulté du contexte économique. La transition énergétique est une formidable opportunité pour enclencher une reprise de l’activité. Elle peut à la fois créer des emplois et réduire notre déficit commercial, enjeu majeur aujourd’hui pour notre pays. Il faut savoir être ambitieux.

 

 

  Libération : «La transition énergétique est une formidable opportunité de sortie de crise» – juin 2014

INTERVIEW

L’économiste Alain Grandjean appelle les pays européens à développer ce gigantesque chantier :

Alain Grandjean est économiste. Membre du Comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot et cofondateur du cabinet de conseil Carbone 4, il a présidé le comité des experts du débat national sur la transition énergétique.

La transition énergétique peut-elle être un grand projet européen fédérateur ?

Non seulement elle le peut, mais elle le doit ! Il y a là un formidable levier de sortie de crise. La déflation [baisse générale des prix menant à un enlisement de l’économie] nous menace, même la Banque centrale Européenne [BCE] le craint. Face à ce risque grave, quelles sont les réactions possibles ? L’austérité ne fait qu’aggraver la crise, et une relance keynésienne traditionnelle ne fonctionnerait pas non plus, puisqu’elle doperait la consommation… de produits largement importés.

Il existe une autre méthode, qui consiste à investir pour réduire la facture extérieure, dans laquelle l’énergie pèse de plus en plus lourd. La facture énergétique de la France a ainsi battu un nouveau record en 2012 : 69 milliards d’euros, trois fois plus qu’il y a dix ans ! Investir dans la transition énergétique permettrait non seulement de réduire nos importations de pétrole et de gaz – et notre dépendance en la matière -, de créer des emplois non délocalisables et d’atteindre nos objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de nous prémunir du risque de déflation.

Mais les Etats sont très endettés. Comment faire ?

La BCE met à disposition des banques des moyens importants, qui devraient être affectés en priorité à cette économie verte en les incitant à le faire. Mais il faut un moteur. En temps de crise, le plus rapide, c’est la commande publique, indépendante des anticipations des acteurs économiques, bien trop timorés en Europe. Il est techniquement facile d’isoler les investissements d’efficacité énergétique et politiquement possible de les traiter différemment des autres dépenses. La période est idéale pour négocier ce type d’accord au niveau européen. Les dirigeants sont encore secoués par le résultat des élections européennes. Peut-être en déduiront-ils enfin qu’il faut sortir du dogme actuel de l’austérité, suicidaire économiquement et politiquement. Et qu’ils percevront l’opportunité que représente la transition énergétique. C’est le seul sujet qui concilie à la fois l’avenir – à travers des projets dans les bâtiments publics, la rénovation des logements, la mobilité… – et le présent – mise en mouvement des entreprises, création d’emplois, recherche-développement, etc.

Les visions de la transition énergétique divergent : certains citent les gaz de schiste comme «l’énergie de la transition»… L’exemple allemand ne plaît pas en France. Comment se mettre d’accord sur une politique européenne harmonisée, avec un sujet si sensible ?

Il est temps d’abandonner le logiciel qui nous fait réfléchir aux questions énergétiques par le bout de la production. C’est une source de divergences, qu’il s’agisse du nucléaire ou des gaz de schiste. Il faut se mettre à penser d’abord en termes d’usages, de demande et de sa nécessaire maîtrise. L’Europe doit retrouver une communauté de destin. Or ce qui est commun aux pays européens, c’est que nos ressources énergétiques sont très insuffisantes. La meilleure sécurité, c’est d’en consommer moins, et d’abord au moyen de la rénovation énergétique des bâtiments. C’est un chantier qui a du sens et qui est efficace rapidement. Pour les plus précaires, il faudra de l’argent «budgétaire». Nous n’échapperons donc pas à la nécessité de desserrer la contrainte maastrichtienne pour des actions bien définies qui, outre un retour évident au plan économique et social, assouplit notre dépendance énergétique. C’est l’un des buts du projet SFTE [Société de financement de la transition énergétique], qui devrait être présenté à la Conférence bancaire et financière de la transition énergétique.

Pour réussir cette transition, la condition préalable n’est-elle pas de donner un vrai prix au carbone ?

Souhaitons de fortes améliorations du marché européen de quotas d’émissions de CO2, qui concerne la production d’électricité, la grosse industrie [papier, ciment, acier…] et les grandes installations de chauffage. Et une baisse des subventions aux énergies fossiles, ainsi qu’une hausse des «signaux prix» du carbone pour les émissions diffuses [véhicules, petits chauffages gaz et fioul]. La Suède a mis en place une taxe carbone significative – plus de 100 euros la tonne de CO2. Il faudrait généraliser cela à la majorité des Etats membres. Mais ces négociations sont difficiles, tant parce que certains pays recourent fortement au charbon que pour des questions de souveraineté et d’acceptabilité de la hausse de la taxe carbone. Il faut l’accompagner de compensations pour les plus défavorisés et savoir convaincre.

Tout cela prend du temps, alors que la crise économique est pressante. Ce programme d’investissements serait le meilleur moyen de faciliter ces progrès. Les dirigeants des pays européens ont réagi très vite quand la crise bancaire menaçait, ils peuvent faire de même pour la transition énergétique. C’est une question de vision et de courage.

Recueilli par Coralie Schaub

 

  Le Monde : Pour une loi de transition énergétique ambitieuse – Mai 2014

 La loi de transition énergétique doit être finalisée dans les prochains jours.

Il est important de réaffirmer quelques principes forts qui pourraient en faire un élément déterminant de la politique énergétique française des décennies à venir.ponton-transition

Tout d’abord, tous les acteurs ont besoin d’une trajectoire de référence qui oriente leurs décisions. Le « Débat National sur la transition énergétique » en a étudié quatre qui ont permis de peindre un champ des possibles. Il appartient maintenant au gouvernement d’en proposer une, tout en préservant des éléments de flexibilité.

Ensuite, il est impératif pour la France, comme pour l’Europe, de réduire son usage et sa dépendance aux énergies fossiles majoritairement importées. Les enjeux en sont majeurs : réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la facture énergétique (60 milliards pour la France, de l’ordre du déficit commercial), impulsion de projets industriels innovants et exportables, création d’emplois. Cela passe d’abord par une politique volontariste d’efficacité énergétique. Il faut changer d’échelle, accélérer le rythme dans la rénovation énergétique du bâtiment, tout en agissant sur la précarité énergétique. Le fioul doit être remplacé par de la chaleur renouvelable ou de l’électricité bas carbone avec pompe à chaleur.

ÉNERGIES RENOUVELABLES

Troisièmement, les investissements à réaliser dans le domaine de la maîtrise de la demande, dont la vertu est d’économiser des dépenses de fonctionnement doivent faire l’objet de dispositifs de financement spécifiques à taux bas et à durée longue pour être rendus compétitifs. Leurs bénéfices en termes d’émissions de CO2 évitées, de baisse du déficit commercial et de création d’emplois justifient ces dispositifs. La conférence bancaire et financière prévue au mois de juin doit impulser des outils nouveaux de financement et conduire à la mobilisation du secteur bancaire et financier dans la transition énergétique.

Quatrièmement, les énergies renouvelables doivent être soutenues de manière prévisible et adaptée. Certains dispositifs de soutien ont été mal calibrés – comme le tarif de rachat pour l’électricité photovoltaïque dans les années 2008-2010. Ce n’est plus le cas.

Ce serait une erreur d’abandonner ces sources d’énergie proches des territoires et des citoyens : certaines d’entre elles sont proches de la compétitivité et présentent de nombreux atouts dont celui d’avoir des coûts d’exploitation et une complexité d’installation et de démantèlement très faibles.

Pour le photovoltaïque par exemple, le prix des modules a été divisé par cinq depuis 2008, celui des systèmes par trois, et il continue de baisser. Les critiques récurrentes des effets de l’éolien et du solaire sur le marché électrique européen font oublier les deux principaux problèmes actuels du système électrique. Premièrement, la surcapacité : surcapacité du charbon au niveau mondial entraînant la baisse relative de son prix par rapport au gaz, surcapacité des quotas de CO2 et surcapacité de moyens de production électrique de base. Deuxièmement, l’architecture du marché qui permet l’optimisation d’un parc existant mais pas celle de son renouvellement ou de son développement .

Par ailleurs, au plan physique, il est maintenant acquis qu’avec une bonne organisation des réseaux au plan national et européen, ceux-ci pourraient gérer sans difficulté majeure et sans investissement excessif une part d’énergies variables dans le mix électrique d’environ 30% et qu’il est donc possible de faire croître leur part actuelle.

UN CADRE ÉNERGÉTIQUE EUROPÉEN

Enfin, parallèlement, il faut prendre à bras le corps la question de l’évolution du parc nucléaire. Toutes les tranches nucléaires ne seront pas prolongées par l’ASN au-delà de 40 ans et encore moins de 50 ans. Il n’est donc pas raisonnable d’envisager un grand carénage pour tout le parc.

Il ne l’est pas plus d’envisager un démantèlement sur une durée trop courte (quelle qu’en soit la date de démarrage). Tant pour des raisons sociales qu’industrielles et financières, il faut planifier cet effort sur la durée et laisser ainsi le temps aux options alternatives d’arriver à maturité. L’AIE affirme qu’en 2016 les renouvelables produiront dans le monde deux fois plus d’électricité que le nucléaire, et cet écart s’accentuera ensuite.  Pouvons-nous ignorer superbement ce mouvement mondial, ou devons-nous aider nos industries à s’y insérer ?

La loi de transition énergétique peut nous donner un nouveau cap et mobiliser nos concitoyens sur un projet positif et porteur. Elle doit s’insérer dans un cadre énergétique européen à revoir en profondeur. L’architecture actuelle manque de cohérence et privilégie le jeu de la concurrence sur la programmation des investissements, les logiques industrielles et la coordination des politiques nationales. Elle est source de dysfonctionnements majeurs et de surcoûts incompréhensibles, bien identifiés par les observateurs, et dont certains ont été évoqués ci-dessus.

Il est en particulier urgent de faire émerger un prix du CO2 suffisant et de revoir l’architecture du marché de l’électricité. L’ensemble des réformes à faire est l’un des enjeux clefs de notre politique énergétique, elle-même déterminante pour notre économie et tout simplement notre mode de vie.

 Les signataires

 Les auteurs de cette tribunes sont: Patrick Criqui (CNRS), Gilles Darmois (consultant indépendant), Alain Grandjean (Carbone 4), Nicolas Hulot (Fondation Nicolas Hulot), Nicolas Ott et Christophe Schramm (anciens conseillers du ministre de l’énergie) et Corentin Sivy (expert énergie).

 Voir l’article

  La jaune et la rouge : Réconcilier les enjeux économiques, sociaux et écologiques – Nov 2013

Le récent Débat national sur la transition énergétique a reconnu la nécessité d’une réduction significative de la consommation d’énergie. Il a fait émerger des propositions concrètes qui devraient conduire à une loi de programmation en 2016 et impliquer des investissements considérables dans le domaine de la production et la distribution d’électricité mais aussi des transports et du logement, en conciliant enjeux économiques, sociaux et écologiques.

En France, soixante-dix pour cent de l’énergie finale consommée est issue de sources fossiles, pétrole et gaz principalement. Notre facture extérieure est élevée (70 milliards d’euros en 2012). La combustion de ces sources d’énergie émet du CO2 alors que nous avons pris des objectifs ambitieux de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES).

Nos concitoyens en situation de précarité énergétique sont de plus en plus nombreux et nos entreprises sont soumises à une concurrence internationale rude dans laquelle le prix de l’énergie est un facteur de compétitivité.

La majorité des acteurs du Débat national sur la transition énergétique propose une réduction significative de nos consommations d’énergie.

REPÈRES
Le Débat national sur la transition énergétique, qui s’est tenu au premier semestre de l’année 2013, a mené ses réflexions d’une manière aussi élargie que possible avec des débats territoriaux, une journée citoyenne et un Conseil national. Près de 1 000 débats ont rassemblé 170 000 personnes avec 36 cahiers d’acteurs, 1 200 contributions citoyennes sur Internet, une journée citoyenne impliquant 1 115 citoyens dans 14 régions

Un enjeu industriel

Une grande priorité est à donner au secteur du bâtiment et du logement (40% de la consommation finale d’énergie et 25 % des émissions de GES), principalement à la rénovation de l’existant. Le consensus est large sur la nécessité d’un dispositif complet incluant des incitations, des réglementations et des mécanismes de financement adaptés.

L’efficacité énergétique est également un enjeu industriel dans plusieurs secteurs : le BTP bien sûr et les services associés, mais aussi l’automobile et le ferroviaire, le secteur des nouveaux services de mobilité (autopartage, covoiturage, etc.), le numérique qui est un auxiliaire souvent indispensable, tant la bonne gestion et la communication de l’information sont souvent décisives dans la maîtrise de l’énergie.

Des mesures possibles

Passer au taux de remplissage de deux personnes par voiture

Les mesures et dispositifs sont nombreux pour accompagner ce mouvement. Retenons tout ce qui concerne la rénovation thermique du bâti (avec un gros enjeu autour de l’obligation progressive de rénovation) et, dans le domaine de la mobilité, les projets de « voitures à deux litres» et de «deux personnes par voiture».

Passer d’un taux de remplissage de 1,3 par véhicule (moyenne française actuelle) à 2, c’est en effet faire un gain en consommation énergétique de 54%.

Enfin le fret ferroviaire, encore très en retard en France, devrait bénéficier d’investissements significatifs en nouvelles infrastructures.

Diversifier les sources d’énergie

En ce qui concerne le mix énergétique et son évolution future, le débat a été âpre autour du nucléaire, avec des enjeux lourds en termes d’investissements (sûreté, prolongation, démantèlement), d’emplois et de compétence industrielle, d’environnement et de sûreté.

La nécessaire diversification des sources de production électrique pour ne pas dépendre d’une technologie ne pouvant exclure un accident majeur ni des défauts génériques est évidemment à gérer avec soin, tant pour des raisons économiques qu’à l’égard de la maîtrise des émissions de GES et de la gestion de la part croissante d’énergies renouvelables (ER) variables. Il appartiendra au gouvernement de prendre ses responsabilités dans un domaine évidemment non consensuel.

Le renouvelable devient crédible

Les aides publiques ou assimilées doivent être plus efficaces

Les énergies renouvelables (ER) sortent, elles, de la marginalité. Les ER électriques (dont l’hydraulique) produiront dans le monde en 2016 plus que le gaz et deux fois plus que le nucléaire. Globalement, leurs coûts diminuent. Ceux du solaire photovoltaïque suivent une courbe d’expérience remarquable au niveau mondial (prix divisé par vingt en vingt ans).

Du côté de la biomasse, dont le potentiel est mieux cerné, on commence à voir émerger d’intéressants débats sur le choix des meilleures sources (déchets, agriculture, forêt) et des meilleurs vecteurs (liquide, chaleur, gaz, électricité).

Une demande unanime émerge du débat : celle d’un cadre lisible et aussi simple que possible en matière de développement des ER.

Des aides plus efficaces

La nécessité d’un signal-prix carbone a été réaffirmée par plusieurs acteurs : il est bien connu qu’il est indispensable pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. La commission sur la fiscalité écologique, en parallèle du Débat, a fait des propositions soumises au gouvernement fin juillet. Ce n’est cependant pas de cette fiscalité qu’il faut attendre des recettes significatives pour financer la transition énergétique.

Le risque de défaut générique

L’Agence de sécurité nucléaire (ASN) souligne que «l’expérience a montré que la standardisation comporte aussi le risque qu’un défaut grave, que l’on ne peut exclure a priori, soit générique et affecte plusieurs réacteurs. Dans une telle situation, l’ASN pourrait juger nécessaire, au regard des exigences de sûreté, de suspendre sans délai le fonctionnement de ces réacteurs. L’arrêt rapide d’une part significative des moyens de production électrique provoquerait, en l’absence de marges, une pénurie d’électricité avec des conséquences sociales et économiques considérables.»

En effet, elle ne sera acceptable que si elle se fait à prélèvements obligatoires constants. D’autre part, son affectation pose toujours de redoutables problèmes. Les aides publiques ou assimilées doivent être rendues plus efficaces, mais les contraintes budgétaires et fiscales sont telles qu’il n’est pas possible de les faire croître significativement.

Du côté de la production énergétique, les investissements doivent être majoritairement financés par le prix des énergies et, pour l’électricité, par la contribution de service public de l’énergie1, sous sa forme actuelle ou sous une autre.

Du côté des transports, du bâtiment et du logement, des mécanismes adaptés doivent être mis en place : mobilisation du Plan d’investissement d’avenir, fléchage de l’épargne nationale (livret A ou Livret développement durable), circuits simplifiés pour le financement par l’épargne locale des projets territoriaux, mobilisation des fonds de la BPI pour les entreprises oeuvrant pour la transition.

Signalons deux propositions innovantes. L’une, émise par CDC Climat2, vise à constituer un circuit spécialisé de financement de la rénovation énergétique des logements. L’autre, faite par Gaël Giraud, directeur de recherche au CNRS, envisage une société de financement de la transition énergétique, ciblant les bâtiments publics et conçue sur le modèle de la SFEF, inventée en 2008 pour venir en soutien aux banques au bord de la faillite.

Ce montage permettrait de libérer 10 milliards d’investissements par an pendant dix ans sans grever la dette publique.

En définitive, ce Débat a indiscutablement fait émerger des propositions assez concrètes et de nature à réconcilier les enjeux économiques, sociaux et écologiques. Espérons que la loi de programmation qui en résultera et sera discutée au Parlement au premier semestre 2016 sera à la mesure de l’attente qu’il a suscitée.

(Voir l’article en ligne)

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1. Contribution de service public de l’énergie qui pèse, en 2013, 13,5 euros le mégawattheure soit 10% environ du prix final TTC de l’électricité (tarif réglementé aux particuliers).
2. Missionnée par la ministre de l’Égalité des territoires et du Logement et la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, le 17 avril 2013.

 

  Le Nouvel Obs : Transition énergétique : le gouvernement doit tracer un cap ambitieux et clair – juillet 2013

Par Alain Grandjean, économiste

Sous la pression du Medef, c’est finalement une « synthèse des travaux » (et non des « recommandations ») qui a été remise au gouvernement pour nourrir la future loi de programmation énergétique. Le débat national sur la transition énergétique (DNTE) peut-il pour autant être qualifié d’échec ? Pas selon l’économiste Alain Grandjean, président du comité d’experts du DNTE.

Le débat national sur la transition énergétique s'est terminé le 18 juillet 2013 (capture d'écran)

Le débat national sur la transition énergétique s’est terminé le 18 juillet 2013 (capture d’écran)

Le débat national sur la transition énergétique (DNTE) se termine avec plus de 150 propositions d’actions, dont une dizaine ne font pas consensus. Certes, ce ne sont pas les moins importantes. Mais en déduire que ce débat est un échec, comme le titrent certains médias, est une contre-vérité, blessante pour tous ceux qui sont engagés ensemble pour réfléchir à l’avenir de la France.

Divergences et mesures claires

Sur la forme, rappelons d’abord que la synthèse produite le 18 juillet a bien été signée par tous les acteurs(regroupés dans sept collèges), à l’exception du syndicat FO, qui avait pris cette décision de principe depuis fort longtemps. Ensuite, pourquoi mettre l’expression de divergences, formulées précisément, au débit d’un débat démocratique ? Nous ne sommes ni au pays des bisounours ni dans un pays totalitaire. C’est donc au contraire une preuve de sérieux et de maturité. Les parties prenantes ne se sont pas voilé la face.

Sur le fond, les grands enjeux de la transition énergétique ont tous été abordés, de manière sérieuse et documentée – il suffit pour s’en convaincre de lire les centaines de pages des annexes du rapport de synthèse et des études fournies par les experts. Les investissements à réaliser et les économies d’énergies fossiles qui en résultent ont été chiffrés en ordre de grandeur ainsi que les emplois générés.

Comment maîtriser la facture d’énergie (par une baisse de la consommation), comment développer les énergies renouvelables, comment décentraliser notre politique énergétique alors qu’elle s’inscrit dans un cadre européen ? Sur ces trois sujets, quels financements mettre en place ? Les orientations fournies par le débat et les mesures proposées sont claires, même si elles restent à préciser dans certains cas.

Réduire la consommation d’énergie, un défi

La divergence principale est relative à l’ambition à 2050 en matière de consommation d’énergie. Certes, diviser par deux la consommation à cet horizon (c’est-à-dire réduire notre consommation de 2% par an en moyenne) est un défi, qui ne convient sans doute pas aux énergéticiens (plus précisément, à ceux qui vendent de l’énergie : tout le secteur des services à l’énergie est intéressé à une ambition forte en matière d’efficacité énergétique), dont l’intérêt est globalement inverse. 

Mais les gains de productivité réalisés par l’industrie ou l’agriculture depuis les années 1950 sont de cet ordre de grandeur, ou supérieurs. Pourquoi refuser a priori que ce soit impossible au plan de l’efficacité énergétique ?

Quand le président du comité énergie du Medef (également président de l’Union française des industries pétrolières) déclare « cet objectif nous semble totalement utopique » et qu’il lui « paraît impossible de concilier une telle baisse de la consommation d’énergie avec le développement de l’économie et de l’emploi en France », ne manque-t-il pas d’ambition et de confiance en l’avenir ?

Le gouvernement, garant de l’intérêt général

Quoi qu’il en soit, ce « facteur 2 » est simplement apparu comme nécessaire pour diviser par 4 nos émissions de gaz à effet de serre à cet horizon, suite à l’analyse objective des 15 scénarios énergétiques dont nous disposons. Cet objectif n’a pas été remis en cause formellement dans le débat. Cela étant, les discussions vraiment difficiles sur la fiscalité écologique et la taxe carbone montrent là aussi qu’il faut que le gouvernement assume son rôle de garant de l’intérêt général…

 Précisons toutefois la formulation nuancée qui a été proposée par le Medef dans le document final :

« Ils proposent ainsi de le ramener à un rythme moins élevé, avec une réduction minimale de -20% à 2050, en recourant dès que possible, quand elles seront commercialement disponibles, aux nouvelles technologies nécessaires, notamment aux techniques de capture et de stockage de CO2. »

Pour finir sur ce point, le DNTE a recommandé de faire un bouclage macroéconomique des quatre différentes trajectoires en comparant les résultats de plusieurs modèles. Cet exercice est souhaitable pour éclairer le gouvernement et le Parlement sur la question de la faisabilité économique de telle ou telle trajectoire.

Crainte d’un effet d’éviction dans le bâtiment 

Dans la cinquantaine de mesures proposées pour réduire la consommation d’énergie, celle qui a polarisé les divergences est l’obligation de travaux dans le logement – pour le sectaire tertiaire, l’obligation de travaux est « dans les tuyaux », encore un peu bouchés à ce jour ; le DNTE demande à raison de publier au plus vite le décret d’application de l’obligation de rénovation des bâtiments tertiaires publics et privés.

La  formulation retenue est prudente :

 « Ces conditions, si elles sont réunies, doivent permettre d’envisager progressivement l’introduction d’obligations de travaux aux grands moments de la vie des bâtiments (par exemple travaux de gros œuvre), en particulier collectifs. »

Pourtant, « certains acteurs économiques sont opposés à cette obligation ». Quelle n’a pas été la surprise de la majorité des présents de constater que les fédérations d’entreprises concernées (la FFB et la CAPEB pour ne pas les nommer) ont fait un blocage de principe sur une mesure dont on pourrait penser qu’elles vont en bénéficier massivement ? L’analyse de leur blocage révèle l’une des clefs de ce débat.

 Dans une économie en stagnation, les entreprises du bâtiment craignent un « effet d’éviction ». Si on rend obligatoires certains types de travaux, ce sera, à leurs yeux, au détriment d’autres travaux. La solution à ce dilemme a été proposée et nécessite des innovations, comme la création de la Société de financement de la transition énergétique, qui permettent de développer des crédits privés avec garanties publiques partielles – légitimes, car il s’agit d’opérations d’intérêt général – vers les actions de rénovation thermique des bâtiments. Gageons que sa mise en œuvre lèvera bien des réticences !

Dissensus ordinaire sur le nucléaire

Concernant le nucléaire, qu’un débat participatif ne conduise pas à un consensus en France, ce n’est quand même pas une surprise. La nécessaire diversification des sources de production électrique est plutôt consensuelle en France. Il est raisonnable de ne pas dépendre d’une technologie ne pouvant exclure un accident majeur ni  des défauts génériques (position de l’Autorité de Sûreté Nucléaire [1]

Cela étant, comment réconcilier les intérêts économiques et industriels d’EDF et d’Areva, les intérêts scientifiques et technologiques du CEA, ceux de la défense des emplois existants par les syndicats, avec la demande exprimée clairement des ONG de sortir du nucléaire, selon un calendrier plus ou moins rapide, et celle des citoyens de « diversifier nos moyens de production » ? Sachant qu’il s’agit de résoudre cette équation tout en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre…

Il appartient maintenant au gouvernement d’indiquer sa feuille de route, qui permettra de définir aussi l’objectif (non consensuel à ce jour) sur les énergies renouvelables électriques (y compris hydraulique). En produire 130 TWh en 2030 est accessible techniquement, mais est-ce utile si la production nucléaire est maintenue au niveau actuel  et la consommation stabilisée (du fait d’une diminution de la demande sur les usages actuels compensée par des reports d’usage) ? Soulignons cependant que, sur la biomasse, un objectif ambitieux de 20 MTep (équivalent à  230 TWh) a été fixé de manière consensuelle. 

Proposition de loi charpentée

Quant aux gaz de schiste, objets de dissensus, le gouvernement a pris une position assez ferme mais contraire aux intérêts de certains acteurs. La fièvre liée à son développement aux USA fait espérer que son exploitation en Europe pourrait permettre de réduire la dépendance énergétique européenne. Avant de lancer la moindre exploration (séparer l’exploration de l’exploitation est artificiel : quel acteur privé pourrait envisager d’explorer sans bénéficier des droits à exploiter si l’exploration s’avère positive ?) et de prendre des risques de jacquerie, il est raisonnable de faire une étude d’impacts sociaux, écologiques (dont climatiques) et économiques pour avoir une meilleure estimation des enjeux réels de l’exploration en France de cette source d’énergie. C’est précisément l’une des recommandations issues du débat… 

Pour conclure, la synthèse du débat est consistante. La vraie question maintenant, c’est ce que va faire le gouvernement de l’ensemble de ces recommandations. Il doit lancer plusieurs approfondissements ou concertations complémentaires (il lui est recommandé par exemple d’organiser une conférence bancaire et financière de la transition énergétique et Instaurer un groupe de travail partenarial ad hoc pour définir la feuille de route « mobilité des personnes et des marchandises »). 

L’essentiel, c’est qu’il fasse une proposition de loi charpentée sur la transition énergétique, après avoir affirmé un cap convaincant. Voilà qui serait à son honneur et lui permettrait sans doute de redonner du sens à son action politique, qui en a bien besoin.

 

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[1] « L’expérience a montré que la standardisation comporte aussi le risque qu’un défaut grave, que l’on ne peut exclure a priori, soit générique et affecte plusieurs réacteurs. Dans une telle situation, l’ASN pourrait juger nécessaire, au regard des exigences de sûreté, de suspendre sans délai le fonctionnement de ces réacteurs. L’arrêt rapide d’une part significative des moyens de production électrique provoquerait, en l’absence de marges, une pénurie d’électricité avec des conséquences sociales et économiques considérables. » Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN. Contribution au débat national sur la transition énergétique, le 16 mai 2013. Retour au texte.

 

 

  Le Nouvel Obs : Bercy : des comptables qui ne savent pas compter, la preuve en 4 exemples – juillet 2013

 Par Alain Grandjean, économiste

LE PLUS. Alors que le débat sur la transition énergétique s’achève ce vendredi, Alain Grandjean, économiste, fait le point sur les orientations prises par le gouvernement dans ce domaine et dans d’autres. Pour lui, un constat s’impose : nos comptables ne savent pas compter. Explications.

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Ministère de l’Économie et des finances à Bercy, Paris (GELEBART/20 MINUTES/SIPA)

Le pouvoir de Bercy est de notoriété publique : le grand jeu de ces hauts fonctionnaires est de savoir combien de temps il leur faudra pour mettre au pas le ministre de l’Économie et des finances… 

Concernant l’actuel, Pierre Moscovici, le jeu n’aura pas duré très longtemps. Il a rapidement compris qu’il ne fallait pas se compliquer la vie. Son projet de loi sur la séparation bancaire, préparée avec les banques et la direction du Trésor, en est une preuve suffisante [1].

Les fonctionnaires de Bercy ont le pouvoir [2]. Dont acte. Leur job c’est de compter. Dont acte. Ce sont donc les comptables qui nous dirigent. Dont acte. Mais savent-ils compter ? Rien n’est moins sûr. Il se trouve qu’une nation n’est pas une entreprise et que l’application de préceptes microéconomiques à la macroéconomie, la doctrine actuelle des néoclassiques qui règnent à Bercy, ne marche tout simplement pas. Exemples.

1- Les  3% : une marotte sans fondement, stupide et anti-sociale

 Qu’il faille gérer avec soin l’usage de nos impôts, éviter des dépenses clientélistes ou simplement inutiles, aucune personne sensée ne le conteste. Que le bon objectif de déficit public soit 3% au plus du PIB, il est de notoriété publique que c’est sans fondement [3].

Qu’il faille réduire les dépenses publiques dans la période actuelle pour viser un objectif de 3% de déficit public, c’est en plus stupide. La démonstration complète se trouve dans ce bon papier de Guillaume Duval. Tout tient dans l’effet multiplicateur des dépenses publiques (qui a fait couler un peu d’encre quand le FMI a reconnu son erreur à ce sujet). Autrement dit 1 point de PIB de restriction budgétaire entraîne probablement une perte de l’ordre de 1,5 point de PIB d’activité économique [4] et des pertes de rentrées fiscales. Du coup le ratio qu’on cherche à améliorer (déficit/PIB) se détériore !

Rappelons que la Cour des Comptes anticipe un déficit de 4% du PIB pour 2013 (après un déficit de 5,3% en 2012). Si l’obsession maladive du 3% n’avait pas été au pouvoir, et si par exemple avait été visé un déficit de 3,7 (soit 16 milliards d’euros de restriction budgétaire au lieu des 30 milliards qui ont été engagés) nous aurions probablement eu 1 point de PIB d’activité en plus cette année. Et l’objectif aurait été atteint…L’agence de notation Fitch aurait peut-être gardé le triple A. Et nous aurions eu 300.000 chômeurs de moins. Cette obsession (partagée pour des raisons inexplicables par nos dirigeants) est donc non seulement stupide mais anti-sociale.

Gageons pourtant que nos « comptables ne sachant pas compter », mais également sourds et aveugles, vont poursuivre leur sinistre besogne. Ils vont demander des efforts supplémentaires pour 2014. Le résultat est prévisible [5] : plus de chômage et de détresse sociale, un vote de l’extrême-droite croissant et, cerise sur le gâteau, la perte du « doubleA+ » ; les agences de notation constatant que le pays n’est toujours pas sur la voie du redressement…

2- Infrastructures, climat social et compétitivité

Dans cette bien trop longue période de récession et face à l’augmentation des impôts, le MEDEF demande, c’est son rôle, des baisses des charges pesant sur les entreprises. La priorité pour eux c’est la compétitivité de nos entreprises, créatrices de richesses et d’emploi.

S’il est assez clair au plan économique qu’il est de bonne guerre économique de ne pas surcharger les entreprises soumises à la concurrence internationale, il faut faire bien attention à la notion de compétitivité d’un pays. Cette notion n’a rien d’évident. On se rappelle même que pour les économistes classiques comme Ricardo, elle n’avait pas de sens. Ce qui comptait à ses yeux c’était l’avantage comparatif : si le Portugal est relativement plus efficace que l’Angleterre dans le vin par rapport au textile, il faut qu’il se spécialise dans le vin. Peu importe qu’il soit, dans l’absolu, moins compétitif.

 Les raisonnements économiques se sont complexifiés depuis mais il n’en reste pas moins que ce qui fait qu’une nation est « compétitive », ce n’est pas le niveau de ses prélèvements obligatoires, dans l’absolu.

 En particulier, la qualité de ces infrastructures est un élément déterminant de son attractivité. Investir insuffisamment, au motif qu’il n’y a plus de sous dans les caisses, dit autrement au motif qu’on est obsédé par le chiffre fétiche des 3%, est donc de nature à réduire notre compétitivité.

De la même manière un climat social délétère, un manque d’espoir, un manque de débouché pour les jeunes, aucune perspective d’avenir (ce dont nos « comptables qui ne savent pas compter » se moquent, car ils seront souvent recasés chez leurs amis banquiers) c’est évidemment très mauvais pour la compétitivité de notre pays. Une nouvelle erreur de raisonnement ? 

3- Privatisations et recettes futures

 Pris à la gorge (les fameux 3%) notre gouvernement envisage pour financer sa rallonge au Programme d’Investissement d’Avenir de vendre quelques titres d’entreprises. Les privatisations partielles ne sont pas nées aujourd’hui. Sont-elles pour autant une bonne affaire économique ?

On peut vraiment en douter au plan strictement financier (nous ne rentrerons pas ici dans le vaste débat sur l’intérêt géostratégique ou politique [6] de conserver le contrôle de telle ou telle entreprise publique). Supposons qu’il ne s’agisse que de titres d’entreprises cotées.

1. Il n’y aucune raison que la vente se fasse au bon moment. Tout le monde sait qu’à la Bourse il ne faut pas être pressé. Dans un cas précis (celui d’EDF) l’Etat a la possibilité de manipuler le cours (en annonçant des hausses de tarifs pour faire monter le cours). Mais ce n’est pas le cas général. Donc la vente ne se fera pas nécessairement au bon moment. Il est probable que vendre en période de récession n’est pas un excellent calcul…

2. L’Etat se prive donc de recettes futures (les dividendes attachés aux titres vendus) dont on se rendra compte plus tard qu’elles manquent…et obligent à plus de rigueur. Le bilan actualisé sera alors fait, mais un peu trop tard. On se rendra souvent compte que les pertes de rentrée ne compensent pas le gain initial.

3. L’Etat a un autre moyen de valoriser ses actifs ; c’est tout simplement d’accroître les garanties qu’ils donnent. Il existe plusieurs montages qui permettent de générer du cash (certes avec un petit coût lié au mécanisme attaché à la transformation de la garantie en espèces sonnantes et trébuchantes). Pourquoi se séparer de ses bijoux de famille quand on connaît une passe difficile et ne pas se limiter à les mettre en garantie ? Ah, dogmatisme, quand tu nous tiens…. 

4- Développement des énergies renouvelables et CSPE

Nos comptables n’aiment pas la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Pourquoi financer les énergies renouvelables quand on a un parc nucléaire qui peut produire encore longtemps une électricité bon marché ? Et regardez l’Allemagne ou l’Espagne, ils en reviennent car les énergies renouvelables (ENR) leur coûtent un bras. Laissons nos citoyens s’exprimer, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, de toutes façons au moment de l’addition ils refuseront de passer à la casserole, et nous, les « comptables ne sachant pas compter », nous les protégeront de ses doux rêveurs que sont les « anti-nucléaires [11]« . 

La réalité économique est largement plus complexe, comme l’a précisément montré le débat. Les ENR, notamment le solaire photovoltaïque, voient leur coût de revient baisser selon une belle courbe d’expérience.electricite 

Si la CSPE croît encore de manière significative, c’est au titre des engagements passés [8] sur lesquels même nos comptables ne peuvent revenir.

De l’autre côté, les coûts du nucléaire ne cessent de croître. Rappelons que l’AIE annonce qu’en 2016 au niveau mondial les ER électriques (dont l’hydraulique) produiront plus que le gaz et deux fois plus que le nucléaire. C’est donc le moment de relancer progressivement le solaire en France, pour ne pas rater une nouvelle révolution technologique mondiale. Cela peut se faire avec un impact modéré sur la CSPE (sous réserve que les prix de marche de l’électricité en Europe ne s’effondrent pas, mais c’est un autre problème. Encore faut-il donc pouvoir en parler et passer par dessus les oukazes de nos « comptables ne sachant pas compter ».

 En finir avec la doxa ?

On pourrait multiplier les exemples ; comme celui des cadeaux extraordinaires faits aux banques sans véritable contrepartie. 

Mais ces quatre premiers me semblent suffisants. En résumé, nos comptables sont les gardiens du temple, du dogme. Raisonnant à courte vue, ils assimilent la gestion de la France à celle d’une entreprise dont le cours serait coté en bourse et qui devrait donc rendre des comptes tous les trimestres. En faisant ainsi, ils finiront par mettre le pays à feu et à sang

Une conclusion toute bête mais opérationnelle pour le débat national sur la transition énergétique : les évaluations macroéconomiques qui seront faites par « nos comptables ne sachant pas compter » ne doivent tout simplement pas être prises au  sérieux. On ne saura jamais comment leur beau modèle (Mésange, pour les intimes) aura été paramétré mais on ne saura que trop que, dans tous les cas, ce sera pour démontrer qu’en dehors de leur vision comptable, point de salut !


[1] Voir notre série de posts sur le sujet http://alaingrandjean.fr/2012/12/26/separation-bancaire-un-projet-a-lemporte-piece-quil-est-encore-temps-darreter/ et suivants

[2] Certains diront que le pouvoir est à Bruxelles ; si c’est vrai leurs fondés de pouvoir sont à Bercy, ce qui revient au même pour la présente note.

[3] Voir par exemple http://www.leparisien.fr/economie/3-de-deficit-le-chiffre-est-ne-sur-un-coin-de-table-28-09-2012-2186743.php

[4]Le  consensus est quand même assez large chez large chez les économistes pour estimer que le « multiplicateur » comme on dit est supérieur à 1, surtout lorsqu’on se trouve déjà en phase de ralentissement économique et que les principaux partenaires commerciaux du pays mènent eux aussi des politiques d’austérité.

[5] Voir également la note de Gael Giraud http://alaingrandjean.fr/2013/05/09/la-dette-publique-francaise-justifie-t-elle-lausterite-budgetaire/

[6] Ni dans celui très pittoresque de l’intérêt pour l’Etat de réduire sa participation dans EDF au moment où il veut s’affirmer comme un Etat stratège, qui définit la politique énergétique de la Nation…

[7] Que le monde ne soit pas manichéen et qu’il soit possible en France de prôner la diversification croissante du mix électrique sans être antinucléaire échappe en général à nos bons comptables

[8] Voir http://www.carbone4.com/fr/l_actu_de_carbone_4/pourquoi-le-photovolta%C3%AFque-est-l%E2%80%99%C3%A9nergie-renouvelable-qui-profite-le-plus-de-la. En 2020 les raccordements antérieurs à 2012 représenteront 40% de la puissance installée mais 60% de la part de la CSPE liée au solaire.

 

 

  Le Nouvel Obs : Tarifs d’EDF : 2 pistes pour gérer la hausse (inévitable) des prix de l’électricité – juin 2013

Par Alain Grandjean, économiste.

 

Alors que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) recommande une augmentation de 6.8 à 9.6% des tarifs d’électricité, la ministre Delphine Batho a aussitôt indiqué qu’il n’était pas question d’opérer la moindre hausse. Quelles sont les marges de manœuvre du gouvernement alors que la hausse des prix semble pourtant inévitable ces prochaines années ?

Pylônes électriques de lignes à haute tension à Meyzieu, le 1er octobre 2012 (P.FAYOLLE/SIPA).

Pylônes électriques de lignes à haute tension à Meyzieu, le 1er octobre 2012 (P.FAYOLLE/SIPA).

La Commission de régulation de l’énergie vient de proposer que la hausse des tarifs réglementés de l’électricité prévue cet été pour 27 millions de clients résidentiels (93 % du marché) s’établisse entre 6,8% et 9,6%.

En effet, la loi indique que les tarifs réglementés doivent couvrir les coûts de production, commercialisation et acheminement. Or ces coûts augmentent pour de multiples raisons : la maintenance du parc nucléaire vieillissant, les mesures de sécurité post-Fukushima, le renchérissement du prix des combustibles, la hausse des coûts commerciaux, le financement de l’efficacité énergétique (les certificats d’économie d’énergie). 

Selon les calculs de la CRE, il faudrait en plus un rattrapage temporaire de 7,6% pour compenser la hausse nettement insuffisante de ce même tarif l’an dernier. Rien de nouveau sous le soleil : la CRE avait déjà estimé en mai 2010 que les tarifs pour les particuliers devraient être augmentés de 25 à 30% de 2010 à 2015.

Réduire notre consommation d’énergie

Le gouvernement a réagi immédiatement en déclarant qu’il n’était pas question d’accepter de telles hausses de tarif. On peut le comprendre. Même si, en moyenne, les ménages ne dépensent annuellement que 400 euros d’électricité spécifique et, pour certains, 900 euros de chauffage et eau chaude, ils n’ont pas envie de ces hausses. Ils se souviennent que le marché de l’électricité a été libéralisé. Ils en attendaient des baisses de prix et une gestion d’EDF plus serrée.

Le gouvernement a raison, d’ailleurs, de demander des efforts à EDF, la répercussion de certaines de ses charges dans le prix de l’électricité n’étant pas facile à faire accepter dans un contexte de rigueur généralisée. Mais cette annonce de la CRE est porteuse de leçons importantes si on prend un peu de recul.

Le prix de l’électricité va augmenter significativement dans les prochaines années. Outre les facteurs sus mentionnés, il faudra en plus continuer à développer et sécuriser nos réseaux et les rendre plus communicants. Et le coût des autres vecteurs et sources d’énergie va aussi augmenter. 

Il est plus que jamais impératif de réduire notre consommation d’énergie : c’est seulement ainsi que, pour chacun d’entre nous, la facture finale sera maîtrisée et notre pouvoir d’achat sauvegardé, la baisse des volumes compensant la hausse des prix unitaires. Nous pourrons ainsi réduire nos émissions de gaz à effet de serre et faire notre part dans la lutte contre le changement climatique.

 Une attention particulière est bien sûr à donner aux ménages en situation de précarité et aux entreprises électro-intensives mais ces situations spécifiques ne peuvent justifier l’immobilisme.

Poursuivre nos efforts sur le plan des énergies renouvelables 

Les énergies renouvelables, dont les coûts ont fortement baissé (surtout pour le photovoltaïque) deviennent du coup plus compétitives. Quelques chiffres : le cout du MWh produit par l’EPR (nucléaire de troisième génération) en Grande-Bretagne sera de 110 euros, l’éolien terrestre ressort à 80 euros, le solaire PV de 100 à 200 euros selon la taille des installations. Seul l’éolien maritime, entre 170 et 200 euros le MWh, semble durablement un peu cher. 

Installer 60 GW d’énergies renouvelables à l’horizon 2030 n’aura donc pas un impact majeur sur les coûts. Ces dernières années, nous avons installé 4 GW de solaire ; le surcoût, par rapport aux prix de marché de l’électricité, d’en installer 16 GW de plus, sera moitié moindre que celui que nous avons déjà accepté de payer. Ce n’est pas le moment de reculer, alors que nous sommes si près de disposer d’une énergie inépuisable et enfin compétitive !

Ce sera en outre un investissement pour relancer l’activité dans un secteur d’avenir dont l’expansion est mondiale. D’ici à trois à quatre ans, les renouvelables, hydroélectricité incluse, produiront dans le monde deux fois plus d’électricité que l’énergie nucléaire.

Réduire notre consommation d’énergie, diversifier notre mix électrique ne sont pas un luxe ni une lubie. Ce sont des impératifs. D’une part pour améliorer la résilience de nos systèmes de production face à de multiples incertitudes et risques potentiels. D’autre part pour nous aider à maîtriser notre facture sur la durée en suscitant une concurrence saine entre diverses solutions et divers opérateurs. 

La hausse des tarifs de l’électricité peut donc être une opportunité. Allons-y bien sûr de manière progressive. Mais ne renâclons pas devant l’obstacle. La repousser une fois de plus ne peut que nous promettre un réveil douloureux.

  Libération : Inverview «La transition énergétique sécurise l’avenir» – décembre 2012

Le président du comité d’experts chargé d’envisager un autre modèle de développement trace le chemin permettant d’y arriver.

Alain Grandjean préside le comité d’experts chargé d’éclairer le débat national sur la transition énergétique lancé jeudi. Il vient de cosigner, avec Corentin Sivy, Benjamin Thibault et Alexandre Wagner, une note de la fondation Terra Nova (proche du PS) prônant des financements à très faible taux d’intérêt pour favoriser l’essor des énergies renouvelables.

Pourquoi un tel débat ?

alaingrandjeanDéjà, pour clarifier les enjeux. Notre modèle énergétique émet bien trop de gaz à effet de serre. Il est incompatible avec la stabilité du climat. Pour y remédier, il y a deux grands leviers. D’abord, réduire la consommation d’énergie. C’est un triple enjeu, économique, social et écologique. Cela permettra de faire baisser notre déficit commercial, de prémunir ménages et entreprises de la flambée du prix de l’énergie et de diminuer nos émissions. Ensuite, il faut décarboner l’énergie : réduire la part du pétrole, du gaz et du charbon.

Vaste chantier…

Cela ne se fera pas en sifflotant, car l’énergie est au cœur de notre société. La transition énergétique touche tous les domaines, agriculture, industrie, transport, chauffage… Par exemple, pour décarboner le transport, il faut aussi s’attaquer à la mobilité au sens large et à l’urbanisme. La transition est une politique d’ensemble. Il n’y a pas d’outil unique, miracle.

En quoi est-ce aussi une chance ?

Cela permettra de revitaliser les territoires. Les gens en ont assez de dépendre des grandes structures lointaines, technocratiques, centralisées. Ils veulent un minimum d’autonomie énergétique. Il faut valoriser les initiatives locales de ce type. Décentraliser la production via les énergies renouvelables créera aussi des emplois, car il y aura un fort besoin de main-d’œuvre dans l’exploitation et la maintenance.

Avez-vous un ordre de grandeur ?

Difficile de donner des chiffres précis. Mais on sait que chaque mégawatt [MW] de solaire photovoltaïque installé permet de créer 9 emplois, en grande majorité non délocalisables. Un MW équivaut à 3,3 emplois nouveaux dans l’éolien et à seulement 1 dans le nucléaire. Grâce à la transition énergétique, l’Allemagne a créé plus de 400 000 emplois rien que dans l’énergie verte et en a «uniquement» détruit 40 000. Le potentiel de travail non délocalisable est aussi immense dans la rénovation thermique des logements.

Mais cette transition coûte cher…

C’est vrai, il y a beaucoup d’argent à débourser tout de suite. Mais on sécurise l’avenir en passant à un modèle aux coûts stabilisés, puisqu’il ne faudra plus payer un combustible dont les prix vont grimper. Pour sauver les banques de la faillite, on a contourné les traités européens et mis l’argent sur la table illico, 1 000 milliards d’euros… En France, rénover les logements coûtera 10 à 15 milliards par an. Ajouter de nouvelles capacités d’énergies renouvelables, entre 2 et 6 milliards par an. Et cet argent ira vraiment dans l’économie.

Comment faire en sorte que la facture du consommateur ne soit pas trop salée ?

Petite mise au point préalable. On croit trop, en France, que l’énergie peut rester peu chère. Surtout l’électricité, grâce au nucléaire. C’est de moins en moins vrai. Notamment parce que le nucléaire de troisième génération coûtera bien plus. Il faudra accepter de payer l’énergie plus cher. Mais ce sera compensé par une baisse de la consommation. Les Allemands l’ont intégré et ont énormément économisé : là-bas, un ménage consomme jusqu’à 25% de moins d’électricité que chez nous, hors chauffage. En plus, nous allons bénéficier de l’effort qu’ils ont fait pendant dix ans : ils ont lancé la machine et permis de faire baisser le coût des renouvelables. Il y a cinq ans, le solaire photovoltaïque coûtait 600  euros du MWh, aujourd’hui on peut en faire à 100 euros, pas loin du coût du nucléaire de troisième génération. Ceci dit, il faut un outil permettant de financer les énergies renouvelables à moindre coût et, in fine, limiter la hausse de la facture du consommateur. C’est ce que propose notre étude, dont le mécanisme peut aussi s’appliquer à la rénovation des bâtiments.

Que préconisez-vous ?

Pour favoriser les énergies renouvelables et les économies d’énergie, il faut réduire leur coût en capital, c’est-à-dire le prix de l’argent nécessaire aux investissements. La moitié du coût de production d’une énergie décarbonée sert à financer les intérêts et le retour sur capital attendu ! C’est énorme, d’autant que les investisseurs exigent une rentabilité de 8 à 15% dans ce secteur, contre 3% dans le BTP. Il suffirait de diviser par deux les taux d’intérêt appliqués aux renouvelables pour baisser le coût de l’électricité verte de plus d’un tiers.

Comment réduire ces taux d’intérêt ?

Il faut des règles du jeu stables, le contraire de ce qui se passe depuis cinq ans. Ensuite, nous proposons un fonds ou une banque spécialisée, sur le modèle de la banque publique allemande KFW, qui finance la transition à des taux descendant jusqu’à 1% et permet ainsi de payer l’énergie renouvelable Outre-Rhin bien moins cher que nous. Les Britanniques créent, eux, la Green Investment Bank. En France, il serait judicieux d’utiliser la Banque publique d’investissement (BPI). Le fonds pourrait s’appuyer sur la Banque européenne d’investissement (BEI) ou la Caisse des dépôts (CDC). Notre parc nucléaire a bien été financé à des conditions très avantageuses, avec la garantie de l’Etat. En fait, le financement n’est pas un obstacle. L’Etat devra juste penser la transition énergétique, fixer un cadre, sans lequel rien ne se fera. Et il permettra à cet argent très peu cher de bénéficier directement aux entreprises françaises.

Quid du gaz de schiste, dans tout ça ?

Ce n’est vraiment pas le cœur du débat. Et c’est une illusion. Ce n’est pas forcément le paradis décrit en termes de rentabilité. Surtout, cela envoie le mauvais message politique. C’est autant qu’on n’investit pas dans la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Certains opérateurs pétrogaziers n’ont pas forcément intérêt à la transition, considérant que le changement climatique n’est pas leur problème. Il se trouve que c’est celui des Français. Photo Frédéric Stucin

Recueilli par Coralie Schaub

 

 

  Le Monde : 5 pistes pour une vraie réforme fiscale – octobre 2012

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  Le Nouvel Obs : Transition énergétique, repenser le financement. Sept 2012

repenser-financement-transition-energetique

  Le Nouvel Obs : « RIO + 20. Les pauvres sont-ils responsables du changement climatique ? – Juin 2012

RIO + 20. Les pauvres sont-ils responsables du changement climatique ?

Par Alain Grandjean, économiste

Le sommet sur le développement durable s’est ouvert le 20 juin au Brésil. Selon le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, « Rio + 20 nous donne une chance unique de corriger les choses ». Reste à savoir comment. Pour Alain Grandjean, de la Fondation Nicolas Hulot, la réduction de la natalité n’est pas une réponse aux défis écologiques.

Manifestation en marge du sommet Rio + 20, Rio de Janeiro, Brésil, le 20 juin 2012 (C.SIMON/AFP).

Manifestation en marge du sommet Rio + 20, Rio de Janeiro, Brésil, le 20 juin 2012 (C.SIMON/AFP).

L’impact de l’humanité sur la planète est évidemment fonction de la démographie de notre espèce. Nous étions moins de 10 millions au début de la sédentarisation, il y a une dizaine de milliers d’années. Nous sommes aujourd’hui 7 milliards, soit environ 1000 fois plus. Et nous filons vers les 8,5 à 9,5 milliards en 2050. La maîtrise de la démographie semble donc clairement la priorité des actions pour réduire cet impact. Elle s’impose, pour des raisons humaines, sociales et écologiques, dans les régions où ce n’est pas le cas. Les plus pauvres sont les victimes du changement climatique et, plus généralement, des crises environnementales qui vont se multiplier et s’aggraver. Ce sont eux qui ont le moins de capacité d’adaptations au changement climatique en cours.

 Rappelons que, pour limiter la hausse de la température moyenne planétaire à moins de 2 degrés par rapport à ce qu’elle était au milieu du siècle dernier, objectif négocié dans les conventions internationales sur le climat, il faut que nos émissions de gaz à effet de serre baissent de 50 milliards de tonnes actuellement à environ 20 d’ici 2050. Le défi auquel l’humanité est confrontée se joue dans le demi-siècle qui vient. Nous allons voir qu’il ne faut rien attendre de significatif de la démographie pour limiter la dérive climatique face à de défi, et ce pour trois raisons principales.

 Une natalité plus basse, c’est plus d’émissions de gaz carbonique

D’une part, la démographie humaine est un processus à forte inertie. Seules des dictatures (comme la Chine ou l’Iran) ont imposé des méthodes – comme celle de l’enfant unique – qui accélèrent la réduction de la natalité. Mais elles ne seront pas mises en œuvre dans les démocraties qui couvrent maintenant la grande majorité de la planète. Les actions indispensables en matière de démographie auront un effet déterminant pour la deuxième partie de ce siècle mais très limité dans les décennies à venir.

Il est d’autre part bien établi que la réduction du taux de fécondité passe, pour un pays pauvre, par la croissance économique. Ce n’est qu’à partir d’un certain stade de développement que la fécondité baisse. Mais, dans la période de décollage, la croissance nécessaire suppose pour encore quelques décennies l’utilisation des énergies fossiles. Une natalité plus basse, c’est plus d’émissions de gaz carbonique (CO2émis quand les énergies fossiles sont brûlées) par personne, mais aussi, l’expérience le montre, pour l’ensemble de la population !

 Les plus riches sont les plus gros pollueurs 

Enfin et surtout, la pression de l’espèce humaine sur le climat est principalement le fait des riches (de tous les pays) alors que l’accroissement démographique est le fait des pauvres. Un calcul[1] relatif au CO2 – qui représente 60% des gaz à effet de serre, en ordre de grandeur – montre que 75% des émissions de CO2 sont le fait de 25% des habitants de la planète, ceux qui émettent 5 à 50 tonnes de COchacun. Ces gros pollueurs sont les plus riches de tous les pays du monde. La moitié des êtres humains, les plus pauvres, émettent, quant à eux, moins d’une tonne chacun. Pour mémoire, les émissions engendrées par un Français moyen (y compris celles générées par ses importations) sont de l’ordre de 10 tonnes de CO2.

L’accroissement de 7 à 9 milliards d’habitants anticipés d’ici 2050 se fera en Afrique et en Asie, dans les pays les plus pauvres, avec des émissions individuelles actuellement inférieures à une tonne par habitant. L’empreinte carbone de ces futurs habitants est donc de l’ordre de 2 milliards de tonnes. Ce ne serait évidemment pas négligeable, s’il était concevable de la supprimer, ce qui n’est pas le cas. Mais en tout état de cause, le défi qui est devant nous est d’une autre ampleur : il s’agit (pour le CO2) de réduire nos émissions de 20 milliards de tonnes d’ici 2050, un chiffre dix fois supérieur à la contribution des pauvres qui vont venir habiter sur cette planète.

Émissions de CO2, ne nous exonérons pas de nos responsabilités 

La réduction de la natalité de l’espèce humaine est, comme on l’a dit, un objectif-clef sur tous les plans, y compris climatiques, mais sur le siècle à venir. Pour l’horizon qui doit être le nôtre, celui des deux générations qui viennent, la solution à la dérive climatique doit donc être recherchée ailleurs. Les chiffres évoqués ci-dessus le montrent sans équivoque. C’est aux plus riches habitants de notre planète – à savoir les classes moyennes et riches des pays développés et émergents – de réduire substantiellement leurs émissions. La France, rappelons-le, a voté en 2005, une loi d’orientation de sa politique énergétique, l’engageant à réduire nos émissions d’un facteur 4 par rapport à leur niveau de 1990.

Comment allons-nous faire ? Massimo Tavoni et ses coauteurs proposent que les émissions des plus riches soient plafonnées, par des quotas, à environ dix tonnes par personne à l’horizon 2030. Depuis le protocole de Kyoto, des expériences et des études ont été conduites pour déterminer les meilleures manières de faire. Le travail est immense. Mais ne croyons surtout pas que nous pouvons nous exonérer de notre responsabilité, celle qui incombe à ceux qui peuvent profiter des bienfaits de notre planète. Notre planète est finie, il va nous falloir apprendre à partager. Est-ce vraiment si grave ? Est-ce vraiment inconcevable ?

 

  Le Nouvel Obs : Energie, faux débats et vrais enjeux – Avril 2012

La flambée du coût du pétrole (donc de l’essence, entre autres) et bientôt celle de l’électricité exigent une refondation de notre stratégie énergétique. L’économiste Alain Grandjean passe en revue les questions incontournables qu’il faudra bien trancher après les élections présidentielle et législatives.

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Photo prise lors de la conférence de Copenhague sur le climat, le 18/12/2009 (WITT/SIPA)

La politique énergétique de la France va évoluer fortement dans les prochaines années, que nous le voulions ou non. Nous vivons une transition énergétique mondiale : notre monde est fini, nos ressources limitées, tout comme la capacité de la biosphère à absorber le CO d’origine humaine. La dérive climatique est un péril mortel pour nos civilisations. 

En finir avec les affrontements sur les questions périphériques

L’ampleur des enjeux économiques, écologiques, sociaux et sanitaires ainsi que les risques et opportunités associés légitiment l’organisation d’un débat national. Les pièges en sont nombreux qui pourraient rendre l’expérience douloureuse et/ou inutile. La première priorité est de bien cibler les enjeux pour éviter les enlisements ou les affrontements dans des questions périphériques. Je me permettrai ici de proposer une structuration de ce sujet complexe. 

1- Nous sommes toujours très dépendants du fossile

Tout d’abord, il faut bien poser la problématique dans son ensemble (en énergie finale, l’électricité représente 400 TWh, un peu plus de 20% de l’énergie consommée par les Français) et ne pas se limiter à la question du nucléaire. Nous consommons beaucoup de pétrole (le tiers de notre énergie finale) dans les transports de personnes et de marchandises, mais aussi dans le chauffage (3 millions de logements sont encore chauffés au fioul).

Les tensions sur le prix, le possible rationnement dans nos pays de ce précieux liquide lié au plafonnement de la production, aux tensions géostratégiques au Moyen-Orient, sont un enjeu déterminant pour les ménages, les entreprises et… la balance commerciale française.

2- Comment faire face au fléau grandissant de la précarité énergétique

Trois questions se posent ensuite : comment gérer la croissance future du prix des énergies (y compris l’électricité), la nécessaire maîtrise de la demande pour en limiter le coût et améliorer la situation et la santé des millions de ménages en situation de précarité énergétique ?

Ne faut-il pas installer une contribution climat-énergie qui oriente la production et la consommation vers les sources d’’énergie les moins impactantes sur l’environnement ? Comment affecter les sommes prélevées ? En baisse de charges sociales ? En aide aux plus défavorisés ?

3- Les économies d’énergie : une nécessité qui exige des investissements lourds

Certes la plus propre et la moins coûteuse des énergies est celle qu’on ne consomme pas. Encore faut-il investir pour cela et malheureusement ces investissements ne sont pas à ce jour d’une rentabilité suffisante.

Le lancement d’un grand programme d’investissement et de financement de la maîtrise de la demande s’impose dont le volet social est essentiel. Peut-on le financer ? Ne doit-on pas mobiliser des prêts  à taux très faible de la BCE ? 

4- Les atouts et les incertitudes du nucléaire

Installation nucléaire de Pierrelatte, le 25 novembre 2011 (WITT/SIPA)

Installation nucléaire de Pierrelatte, le 25 novembre 2011 (WITT/SIPA)

Comment faire évoluer notre mix énergétique ? Le nucléaire contribue à la résolution du problème climatique, a un avantage micro-économique (c’est la plus compétitive des sources d’énergie) et pose plusieurs problèmes : le risque d’accident, la pertinence de l’utilisation du MOX, très radioactif et radiotoxique, l’intérêt commercial et économique de la filière EPR et la limitation des réserves mondiales d’uranium (à ce stade elles représentent en équivalent énergie finale fournie 50 GTep, soit 6 ans de consommation mondiale actuelle toutes énergies confondues, alors que les ressources mondiales d’énergie fossile – essentiellement le charbon – sont de l’ordre de 3 à 4000 GTep).

 

 

Installation nucléaire de Pierrelatte, le 25 novembre 2011 (WITT/SIPA)

 

Dès lors son développement passe à terme par celui de la 4ème génération. Saura-t-on faire un surgénérateur qui garantisse l’absence de risque de criticité ?

5- Gaz : l’avenir radieux d’une… dépendance

Le gaz, (dont la combustion émet du CO2 même si c’est la moins intense en carbone des énergies fossiles), semble appeler à un avenir radieux tant pour le chauffage domestique que pour la production d’électricité.

Quel problème géostratégique pose-t-il ? Peut-on limiter notre dépendance à la Russie et à l’Iran ? Pour ce qui concerne le gaz de schiste, s’agit-il d’une solution ou d’une fuite en avant ? Quel est son potentiel en Europe ? Sa production n’est-elle pas une source significative d’émissions de méthane dans l’atmosphère ? Le charbon en France est éliminé progressivement de la production électrique et ne pose donc aucun problème chez nous. 

6- Rendre obligatoire le captage de CO2 

La seule vraie question est… mondiale : il faut imposer des règlements qui rendent obligatoire le captage et stockage du CO2. Nos champions industriels y ont intérêt.

 Les énergies renouvelables posent toutes des problèmes bien identifiés (de volume atteignable, d’intermittences pour les électriques, de coût, de filières industrielles) dont on sait que certains d’entre eux vont se résoudre dans les prochaines décennies. La question essentielle reste bien sûr celle de l’adaptation des réseaux, du stockage de l’électricité (dans des stations de pompage) et de la tarification horo-saisonnière qui nécessite des compteurs communicants.

 7- D’abord ne pas créer d’irréversibilités majeures

 Dans ce contexte, la stratégie la plus rationnelle est celle qui nous ouvre des espaces de liberté, tout en limitant les risques humains. N’est-il pas clair qu’il faut avancer étape par étape et lever les incertitudes qui restent à lever avant de créer des irréversibilités majeures ?

Profitons du coût du nucléaire actuel, que la Cour des Comptes a permis de bien évaluer, pour investir dans un bouquet d‘investissements : la maîtrise de la demande, les ENR, la levée des incertitudes sur les énergies d’avenir. Assurons-nous d’une optimisation du dispositif pour y arriver. 

8- Refonder la gouvernance énergétique

 La  question centrale est donc bien celle de la gouvernance. Dans le secteur électrique, l’architecture actuelle issue d’un compromis entre la défense du service public « à la française » et les impératifs de dérégulation « à l’européenne » est pour le moins inefficace et incompréhensible pour les citoyens.

La loi Nome est loin d’avoir réglé tous les problèmes. Du côté de la maîtrise de la demande, ni les tarifs, ni la fiscalité, ni l’organisation institutionnelle ne permettent de croire à une avancée significative dans les prochaines années. Il est temps de mettre ce chantier stratégique sur le métier.

A retrouver dans le magazine « Le Nouvel Observateur » du 5 avril 2012.

 

  Le Monde : La BCE doit aussi financer des investissements favorables à l’activité – 21 juin 2011

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  AEF : Le rôle des entreprises dans la lutte contre le changement climatique – février 2013

  Les conditions de la croissance verte

Cet article a été publié dans la revue des annales des Mines de Janvier 2011, dans la série Responsabilité & Environnement ; numéro titré « Une croissance verte ? ». Pour lire l’article en plein écran, cliquez sur le bouton « fullscreen » du cadre ci-dessous.

« La «croissance verte» : un oxymore de plus? Ce serait le cas, si elle était limitée à (ou confondue avec) la croissance du « green business », conçu comme «Le» relais de croissance suivant celui des nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication et des énergies renouvelables. Il ne s’agirait alors que d’un nouvel avatar d’un modèle condamné, que cela nous plaise ou non. La croissance exponentielle des flux matériels, verts ou pas, bute en effet sur la finitude du monde … »

  « Les habits verts de la croissance » publié dans Sciences Humaines

Un de mes articles publié dans « Sciences humaines »…En voici le début, vous pouvez lire la suite sur le site de Sciences Humaines

La période de transition économique que nous traversons aboutira-t-elle à l’émergence d’un capitalisme vert ? À la condition que des incitations fiscales et réglementaires promeuvent l’environnement, le respect des ressources et le long terme.

S’il est facile de constater que la généralisation de notre modèle de développement est impossible, tant la pression sur les ressources naturelles est élevée, il est évidemment bien plus difficile de dire ce que pourrait être une croissance durable ou « verte ».

Mais qu’est-ce que la « croissance » et quelle est sa relation avec la gestion des ressources et l’environnement ? Dans une première phase, la croissance du PIB s’accompagne en général de progrès social et de détérioration de l’environnement. Dans une deuxième phase, les sociétés, plus développées, réussissent à contenir les nuisances environnementales locales. Mais aujourd’hui, nous entrons dans une troisième phase, celle des nuisances globales, comme le dérèglement climatique, fortement corrélées à la croissance du PIB, du moins dans le modèle économique actuel. La légitimité de cette croissance est alors …
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  Taxe carbone : toujours indispensable (Tribune parue dans le journal Le Monde le 08/01/10)

Les difficultés rencontrées à Copenhague dans la lutte contre le réchauffement climatique ne peuvent pas servir de prétexte pour ralentir les ambitions françaises dans ce domaine. Le fait que le Conseil constitutionnel censure le dispositif voté par le Parlement pour mettre en place la taxe carbone ne doit pas conduire à mettre de côté cet instrument-clé dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Après trois mois d’intenses débats au Parlement et au sein du gouvernement, la mesure qui devait entrer en vigueur au 1er janvier, est ressortie affaiblie, loin du compromis du rapport de Michel Rocard et du discours du président de la République. Le nouveau texte, qui devrait entrer en vigueur le 1er juillet doit donc être l’occasion de remettre de l’ambition dans un projet fondamental pour l’équilibre social, économique et environnemental de notre société.

Une contribution carbone toujours indispensable

Le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l’opportunité de la taxe carbone. Il a simplement rappelé que la loi votée par le Parlement n’était pas conforme à la Constitution. Trop d’exonérations ont été introduites par le législateur, rendant de fait l’instrument nettement moins efficace que la proposition initiale du rapport de Michel Rocard.

Or la logique du problème énergie-climat répond à quelques évidences physiques qui s’imposent à tous : le climat est en train de se réchauffer, tandis que pétrole et gaz sont en voie d’épuisement. Ne pas s’engager dans un effort général de réduction des consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre revient à prendre des risques considérables pour le devenir de nos sociétés. Le changement climatique nous concerne tous, car l’ensemble de nos activités émet des gaz à effet de serre. De même, la raréfaction des énergies fossiles touche tous les secteurs, et particulièrement ceux qui étaient exonérés de taxe carbone. L’agriculture, la pêche, le transport routier vont en effet connaître dans les années à venir, des mutations profondes. Or mieux vaut anticiper et choisir la mutation, plutôt que de la subir. C’est pourquoi la contribution carbone ne peut pas souffrir de multiples exonérations, dont l’inclusion dans le projet de loi de Finance ne révélait qu’une certaine difficulté à faire accepter les changements nécessaires.

Des exonérations à revoir

Dans ce contexte, le cas des entreprises déjà soumises au système européen des quotas d’émissions doit être examiné séparément. On peut regretter l’insuffisante efficacité du système actuel au niveau européen, et notamment une allocation de quotas encore parfois excessive sur la période 2008-2012. Mais ce dispositif a des mérites : il a conduit les grandes entreprises à prendre rapidement conscience du problème et à réorienter leurs stratégies, car elles doivent payer une pénalité de 100 euros la tonne de CO2 en cas de dépassement des quotas alloués. Avec le paquet climat-énergie européen, les difficultés initiales devraient être surmontées, notamment avec moins de quotas alloués aux industriels.

On ne pourra alors envisager l’instauration d’une double pénalité : les quotas plus la taxe. Et par ailleurs le choix du système des quotas pour les grands émetteurs est un choix collectif européen, sanctionné par plusieurs directives. Le Conseil constitutionnel a connaissance de ces réalités. S’il faut revoir les dispositions pour les grandes industries, il devrait être possible d’envisager une solution transitoire, dans l’attente en particulier de la mise aux enchères des quotas, à partir de 2013.

Restera la question des secteurs et des ménages les plus vulnérables. Pour les entreprises, le monde de l’agriculture et de la pêche, mieux vaut un accompagnement organisé permettant de poser les bases d’un nouveau modèle économique qu’une série d’exonérations. Plutôt que de retarder l’échéance, il convient d’organiser pour ces filières une concertation multipartite, permettant de considérer sérieusement les alternatives et l’aide de la collectivité dans leur transition écologique. Pour les ménages, on ne peut ignorer que certains sont déjà durement touchés par la hausse du prix de l’énergie. Ici aussi, il faut accompagner socialement et économiquement la transition. En finançant l’isolation des logements des plus pauvres, en développant les infrastructures de transport collectif, en soutenant l’achat de véhicules peu consommateurs, nous disposons de solutions triplement gagnantes : aux plans économique, écologique et social. Dans un contexte de crises à venir, la plus grande injustice pour les plus vulnérables serait de ne rien faire.

Faire de la contribution carbone une mesure ambitieuse

Les sages offrent une occasion de revoir la copie et de réintroduire plus d’ambition et d’équité dans la politique française de lutte contre le réchauffement climatique. Il faut revenir maintenant à un texte de loi qui se rapproche des conclusions du rapport Rocard, en particulier pour limiter les exonérations, mais aussi pour réintroduire le principe de la progressivité de la taxe. C’est un de ses volets les plus consensuels, car il donne aux agents économiques la visibilité nécessaire pour qu’ils s’organisent. Insistons à nouveau sur l’importance de la mise en place, prévue dans la loi de Finance, de la commission de suivi qui permettra d’élargir l’assiette de la contribution à d’autres gaz à effet de serre et de suivre l’évolution de son taux. C’est une commission indispensable si l’on veut, comme le demande le Conseil Constitutionnel, que la taxe réponde à l’ambition de la politique climatique française.

La censure initiale est donc l’occasion de faire mieux. D’assumer qu’en contrepartie de la mise en place d’une fiscalité environnementale, soit discuté un nouveau pacte social, qui ne laisse pas les plus vulnérables de côté dans la transition écologique. Mieux expliquée, mieux accompagnée, la taxe carbone sera plus efficace et mieux acceptée. Malgré les difficultés, il est impératif de persévérer pour un avenir énergétique et climatique plus durable.

Auteurs :

Dominique Bourg (Philosophe), Patrick Criqui (Economiste), Marc Dufumier (Agronome), Alain Grandjean (Economiste), Jean-Marc Jancovici (Ingénieur), Jean-Jouzel (Climatologue), sont membres du Comité de Veille Ecologique de la Fondation Nicolas Hulot.
Benoit Faraco est coordinateur changement climatique énergie à la Fondation Nicolas Hulot.

Pour aller plus loin :

* La FAQ de la FNH sur la taxe carbone ici

* Le communiqué de presse du Conseil Constitutionnel portant notamment sur la taxe carbone

* Le livre « Les Etats et le carbone », de Patrick Criqui, Benoît Faraco et Alain Grandjean, Editions des PUF, novembre 2009

  Fiscalité écologique, la voie de la raison

Cet article, « fiscalité écologique, la voie de la raison« , co-signé par Nicolas Hulot, Dominique Bourg, Patrick Criqui, Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean a été publié par Les Echos le 9 juin 2008. Il s’agit d’un appel à la création d’une Contribution Climat Energie et a son mode de compensation, appelé à l’époque par les experts de la FNH l’allocation universelle climat.

Un petit morceau d’histoire de la taxe carbone donc…

« Proposer l’instauration d’une nouvelle taxe sur l’énergie, à l’heure où son prix augmente fortement, ne relève pas d’une provocation irresponsable. C’est au contraire la voix de la raison. C’est donner à tous les acteurs le signal qu’ils doivent se préparer à une évolution inédite depuis le début de la révolution industrielle : la hausse structurelle du prix de l’énergie, alors que la valeur de celle-ci n’a cessé de diminuer depuis deux siècles (1). C’est se prémunir contre le risque climatique. C’est de plus conserver les moyens financiers dans les pays consommateurs plutôt que de les laisser partir vers les pays producteurs. »

Lire l’article sur les échos

  Le climat a besoin d’une taxe carbone

Une longue interview de la Revue Durable m’a permis d’exprimer mes positions sur la taxe carbone, la fiscalité écologique et ses enjeux.

J’en profite pour vous conseiller ce bimestriel de qualité. Ils sont sérieux, engagés et professionnels. Ils prennent le temps d’exprimer les idées et leurs dossiers sont toujours très bien documentés.

Pour en savoir plus, voici ce qu’ils disent d’eux-mêmes sur leur site.

Voici des morceaux choisis de cette interview (Parue dans La Revue Durable no 35, septembre-novembre 2009) :

LRD : Est-il impératif de taxer le carbone pour lutter contre le changement climatique ?
AG : Il me paraît essentiel d’insister très lourdement sur le besoin de mettre un prix sur les émissions de CO2, car cela n’est pas évident pour tout le monde. Il y a des gens qui, pour des raisons idéologiques, pensent qu’il ne faut jamais donner de prix à la nature, qu’il soit positif ou négatif. Je pense au contraire que sans contrainte économique, l’être humain n’est pas dissuadé de polluer. Et un système économique qui ne dissuade pas de polluer risque de générer un énorme sentiment d’injustice, car même s’ils se fondent sur une forte éthique personnelle, ceux qui font des efforts pour ne pas polluer n’accepteront jamais l’idée que les pollueurs ne sont pas sanctionnés.

Pour que le prix du CO2 puisse orienter les choix des industriels et les actes de la vie courante, il faut qu’il soit suffisamment lourd pour être dissuasif.

LRD : Mais un prix « lourd » ne peut pas être instauré du jour au lendemain.
AG : Bien sûr ! L’imposer trop vite ferait exploser le système. Pour ne pas contraindre des entreprises à déposer le bilan et épargner les ménages défavorisés, ce prix sur le carbone doit être mis en place à un niveau de départ assez bas, puis croître en permanence.

LRD : Concrètement, que propose la Fondation Nicolas Hulot ?
AG : Nous soutenons la proposition de la Commission Quinet4, qui recommande de partir avec un prix de 32 euros la tonne de CO2 en 2010 pour monter à 56 euros en 2020, 100 euros en 2030, 200 euros en 2050. Cette taxe s’appliquerait aux énergies fossiles : gaz, pétrole et charbon. Nous sommes en revanche très hostiles à l’idée de taxer le contenu en carbone des produits. Savoir combien de carbone il y a dans une fraise, c’est possible, mais cela prend du temps et ce contenu en carbone bouge… Or, il y a des millions de produits.

Certes, ce que nous proposons ne prend pas tout en compte. Il faudra s’attaquer rapidement par un mécanisme complémentaire au méthane et à l’oxyde nitreux issus de l’agriculture et de l’éructation des bovins, par exemple. Mais il faut agir vite, et dès lors faire avec ce qui est disponible. Pour l’administration, on sait faire : tous les pays européens taxent les combustibles. Le problème principal sera de garantir la croissance de la taxe : il est juridiquement beaucoup plus difficile de mettre en place un prélèvement qui croît qu’un prélèvement stable.

LRD : Cette taxe ne ferait-elle pas doublon avec le système européen des quotas, qui met déjà un prix sur le carbone ?
AG : Le système des quotas s’adresse aux grandes entreprises très intensives en carbone dans quelques secteurs : l’électricité, l’acier, le ciment, le verre, le papier et bientôt le transport aérien. Au total, il ne couvre, au niveau européen, que 50 % des émissions de CO2. En France, 30 % des émissions. Lorsque je me chauffe ou que je roule en voiture, par exemple, je ne suis soumis à aucune contrainte économique liée à la pollution que j’engendre.

LRD : Un autre sujet de discussions avec la taxe, c’est la redistribution de ses revenus.
AG : Sur ce point, nous proposons d’instaurer une allocation universelle climat pour les ménages. Idéalement, il faut garder la taxe jusqu’à la fin des temps, mais l’allocation doit être provisoire, le temps de permettre à chacun de s’adapter. Si les gens savent que la taxe est là pour rester, mais pas l’allocation, ils prendront toutes les dispositions pour diminuer leur charge fiscale carbone.

Aujourd’hui, par exemple, les gens emménagent sans considération du prix énergétique de la localisation du logement. Avec un système qui pénalise de plus en plus la consommation de carburant fossile, on fera beaucoup plus attention à ce paramètre. Il faut laisser l’allocation le temps que la transition sociale s’effectue – cinq ou dix ans –, car cela prendra du temps.

LRD : Mais tout le monde ne va pas déménager en cinq ou dix ans. Et les pouvoirs publics n’ont pas les moyens de revoir la configuration des agglomérations dans un laps de temps aussi court.

AG : La pression sur les ressources s’accélère, elle aussi, inéluctablement. Il faudra peut-être recourir à de grands travaux, comme lors du New Deal, solution que nous évoquons avec Jean-Marc Jancovici dans C’est maintenant ! Ce point sera soulevé à l’occasion du grand emprunt national.

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